L’histoire du site est, en elle-même, particulière. Important gisement de calcaire, il est exploité par une cimenterie depuis 1953. Les intérêts contradictoires en balance ont exacerbé les tensions. D’une part, les enjeux économiques actuels semblent constituer une entrave à l’arrêt de l’exploitation du site, réclamé par les Zadistes et les organisations de défense de l’environnement. La cimenterie qui a élu domicile sur la Commune d’Éclépens emploie plus de cent personnes. Il s’agit en outre d’un site de production de ciment d’importance nationale.
D’autre part, le projet d’extension contesté se trouve en bordure d’une zone figurant à l’Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels d’importance nationale et est inscrit à l’Inventaire cantonal des monuments naturels et des sites – collines du Mormont et de Tilérie. On comprend bien les inquiétudes quant à l’exploitation d’une carrière de calcaire.
La ZAD, histoire d’un vocable très particulier
Le terme «ZAD» a en fait été emprunté du droit de l’aménagement du territoire français, à savoir la zone d’aménagement différé. Il s’agit d’abord d’un outil permettant aux collectivités publiques d’assurer la maîtrise foncière d’un terrain par l’entremise d’un droit de préemption particulier, et ce dans l’optique d’une opération d’aménagement (cf. article L102-15 du Code de l’urbanisme). Autant dire que l’utilisation de ce néologisme n’est pas innocente: les Zadistes français, belges ou suisses – aujourd’hui – se prévalent d’un droit d’occupation de parcelles pour défendre l’environnement contre des atteintes préjudiciables. L’usage du vocable formalise une critique des gouvernements dont l’aptitude à mettre en œuvre une politique environnementale est pointée du doigt. Une question nous turlupine pourtant: l’Etat de droit est-il ici annihilé par l’action de groupes isolés? Qu’en est-il des instruments légaux prévus pour contrecarrer des projets portant atteinte à des sites à haute valeur environnementale?
Des questionnements devant le Tribunal cantonal
Plusieurs organisations de protection de l’environnement se sont initialement opposées au projet d’extension de la carrière. Il faut bien relever que les griefs (impacts des tirs de mine, protection des eaux, mesures de compensation envisagées...) ont été intégralement rejetés par la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal dans son arrêt du 26 mai 2020. Un recours est encore pendant au Tribunal fédéral et les pronostics ne penchent pas en faveur des organisations de protection de l’environnement.
Le jugement du Tribunal cantonal permet de mettre en exergue les moyens mis en œuvre pour garantir un équilibre des forces entre l’économie et la protection de l’environnement. Sur ce point, les organisations de protection de l’environnement ont fortement critiqué la composition de la Commission cantonale pour la protection de la nature (CCPN): le chef du Département de la sécurité et de l’environnement et des chefs de services liés et certains représentants d’organismes de protection de l’environnement y siègent. Malgré le caractère tardif du grief déposé par les recourants, l’existence d’une base légale claire et le rôle consultatif de la Commission, nous pouvons nous interroger sur l’indépendance de ses membres. Relever ce grief n’est pas dénué d’intérêt puisque l’avis de la Commission est repris à maintes reprises dans l’arrêt (mesures de compensation envisageables, p. ex.).
L’arrêt en cause apporte par ailleurs des clarifications bien maigrelettes quant à la pesée des intérêts entre les besoins économiques et la protection de l’environnement.
Des interventions politiques
Lors de la séance du Grand Conseil du 30 mars 2021, une motion, intitulée «il faut sauver le Mormont» a été renvoyée en Commission. Signée par une vingtaine de députés, essentiellement des Verts, elle exige que la zone du Mormont bénéficie d’une protection accrue. L’occupation illicite du site et sa médiatisation aura attiré l’attention de la classe politique. Les organisations de protection de l’environnement pourraient aussi profiter de ces courants favorables pour élargir le débat (caractère dynamique de la planification territoriale, équilibrage des commissions consultatives,etc.).
L’urgence climatique peut-elle légitimer cette action illicite?
Les tribunaux se sont déjà prononcés à ce sujet et certaines considérations illustrent la problématique: la justification des Zadistes perd de la consistance, compte tenu de la procédure en cours devant le Tribunal fédéral. Certes, il pourrait être rétorqué que les Zadistes tentent d’écarter l’imminence de la portée d’une atteinte à la colline du Mormont au sens de l’article 17 CP. Mais c’est bien là que le bât blesse, vu le recours encore pendant. Bien que l’urgence climatique ou environnementale soit interprétée de manière large par les tribunaux, les Zadistes restent exposés à des procédures pénales. Cet élément servira de garde-fou. L’usage des voies de droit existantes est toujours préférable à un état de non-droit, mais cette action a eu pour avantage d’ouvrir le débat. Le site du Mormont a aujourd’hui une notoriété portée par les médias et les opposants au projet d’extension, les écologistes gardent bon espoir que la pression actuelle produise ses effets sur la mise en oeuvre du projet d’extension. ❙
La création de cette ZAD permet de réfléchir à la viabilité de la définition actuelle des intérêts environnementaux et économiques. En décrivant de manière aussi succincte l’intérêt à la continuation de l’exploitation de la cimenterie, le Tribunal cantonal semble reprendre une version surannée et basée sur le maintien d’une situation générant des bénéfices à court terme au lieu d’intégrer les développements générés par la prise de conscience climatique. Beaucoup relèvent que l’environnement doit être pris en compte comme un élément intrinsèque du développement économique. L’évolution actuelle le démontre puisque la modification des modes de construction aura un impact notable sur la consommation de ciment.
Interpellé par Plaidoyer, Luc Recordon1 note que les Zadistes n’ont commis que des infractions mineures. «Les impacts irréversibles sur le site doivent être plutôt relevés. Les Zadistes n’ont, pour leur part, causé aucun dommage sur le site.»
Membre du comité du CENAC (Centre pour l’action non-violente), l’avocat précise que l’association a discuté en amont avec les occupants et leurs soutiens: «Il était essentiel d’éviter tout débordement violent qui aurait entravé le bon déroulement de leur action sur le terrain. Nous avons également eu des contacts avec les militants actifs à Notre-Dame des Landes (FR). L’échange d’expérience est ici précieux.»
Interrogé sur la légitimité de l’action, Luc Recordon admet que de tels faits sont acceptables lorsqu’il s’agit de l’ultima ratio. «Dans le cas du Mormont, le caractère irréversible des dommages (ndrl.: la destruction des collines) et le peu de moyens de défense juridiques restants peuvent justifier une telle occupation. Il faut se souvenir que l’action non-violente existe de longue date, du Major Davel à Mandela en passant par Tolstoï. Il s’agit d’un véhicule de communication constructive essentiel.»