1. Un changementde paradigme
Par l’adoption de l’article 25b de la loi sur la circulation routière (LCR; RS 741.01), entré en vigueur le 1er octobre 2023, l’Assemblée fédérale a délégué au Conseil fédéral la compétence de réglementer les conditions dans lesquelles le conducteur d’un véhicule équipé d’un système d’automatisation est déchargé de ses obligations (art. 25b al. 1 LCR) et dans lesquelles les véhicules équipés d’un système d’automatisation peuvent être admis à circuler sans conducteur sur des tronçons prédéfinis (art. 25b al. 2 LCR).
En exécution de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a mis en consultation le projet de l’ordonnance sur la conduite automatisée du 17 octobre 2023 (P-OCA). Le P-OCA introduit un changement de paradigme, suivant la voie des pays européens. Jusqu’à présent, mise à part certains systèmes de niveau 2, seuls les systèmes d’assistance à la conduite, dits de niveau 1, étaient autorisés et, pour certains, obligatoires en Suisse.
Ces systèmes aident les conducteurs à respecter les obligations prescrites par la loi sur la circulation routière, tel le régulateur de vitesse qui aide le conducteur à se conformer à son obligation de respecter les limitations de vitesse (art. 27 al. 1 LCR). Seul le conducteur est tenu de respecter les normes en matière de circulation routière. Il doit demeurer constamment maître du véhicule (art. 31 al. 1 LCR), être en mesure d’actionner rapidement les commandes de son véhicule en mouvement, à tout moment, de façon à manœuvrer immédiatement d’une manière appropriée aux circonstances en présence d’un danger quelconque.
Aussi, bien que la tentation puisse être grande d’invoquer un dysfonctionnement du système en cas d’accident, un tel argument n’est pas recevable. Ces systèmes ne déchargent pas le conducteur de l’obligation de maîtriser le véhicule. Le P-OCA consacre une modification importante de ce principe: le conducteur n’est plus le seul débiteur de cette obligation. Les systèmes d’automatisation se substituent sous certaines conditions au conducteur, se voient transférer des obligations à charge du conducteur et doivent respecter les règles de la circulation routière (art. 3 al. 2 let. b P-OCA).
Le conducteur est en contrepartie déchargé de l’obligation de tenir l’appareil de direction (art. 3 al. 3 de l’ordonnance sur les règles de la circulation routière [OCR; RS 741.11]), soit parce qu’il est déchargé momentanément de conduire (véhicules équipés d’un système d’automatisation avec conducteur), soit parce qu’il n’est qu’un passager (véhicules équipés d’un système d’automatisation sans conducteur). Lorsque le système d’automatisation est activé conformément aux prescriptions, le conducteur/détenteur devrait ainsi pouvoir se fier au fait que le système assume la tâche de conduire.
Malgré cette évolution sans précédent, le régime de responsabilité causale aggravée du détenteur n’a toutefois pas été modifié. Aussi, la présente contribution a pour objectif de déterminer si les obligations ou les décharges d’obligations consacrées par le P-OCA assurent une juste répartition des responsabilités en application du régime actuel des articles 58 ss. LCR.
2. Décharge et transfert des obligations du conducteur/détenteur
2.1 Véhicules avec conducteur
2.1.1. Définition
Le chapitre 3 P-OCA réglemente les véhicules équipés d’un dispositif émettant des demandes de transition, lequel permet au conducteur de lâcher le volant après avoir activé le système et de ne plus surveiller le véhicule et le trafic en permanence. L’article 2 let. b P-OCA définit ces véhicules comme ceux équipés «d’un système d’automatisation qui informe le conducteur lorsque le système atteint les limites des conditions d’utilisation inhérentes à sa construction et que le conducteur doit reprendre la conduite du véhicule».
2.1.2 Obligation de tenir l’appareil de direction
L’article 22 al. 1 P-OCA décharge le conducteur de son obligation de tenir l’appareil de direction au sens de l’article 3 al. 3 OCR. La décharge est conditionnelle dès lors qu’il incombe au conducteur d’avoir «réussi à activer le système d’automatisation conformément aux instructions du constructeur» (art. 22 al. 1 in fine P-OCA). La décharge est partielle puisque le conducteur doit reprendre le volant dans deux situations.
D’abord lorsque le système l’y invite («demande de transition») (art. 22 al. 1 let. a P-OCA): le système n’est plus à même de comprendre un événement et est capable de reconnaître sa propre limite. Ensuite lorsque le conducteur aurait pu ou aurait dû s’apercevoir sur la base de circonstances manifestes que les conditions nécessaires à une utilisation du système d’automatisation en toute sécurité et sans entraver la fluidité du trafic ne sont plus remplies ou ne l’étaient plus (art. 22 al. 1 let. b P-OCA): le conducteur doit être en mesure de s’apercevoir lui-même que le système arrive à ses limites.
Il y a lieu de relever que si le système peut lui-même se retrouver dans l’incapacité de se rendre compte qu’il atteint ses limites, il apparaît que les systèmes autorisés par les articles 22 ss. P-OCA doivent être qualifiés de niveau 2 d’automatisation et non de niveau 3.
2.1.3 Obligation de «surveiller le véhicule et le trafic en permanence»
L’article 22 al. 2 P-OCA prévoit que «lorsque le système d’automatisation est activé, le conducteur n’est pas tenu de surveiller le véhicule et le trafic en permanence, mais doit rester prêt à reprendre la conduite du véhicule à tout moment». Le Conseil fédéral définit l’obligation résiduelle du conducteur en cas d’activation du système par le fait de «garder une vue d’ensemble sur le trafic et la situation environnante». Le fait d’être prêt à reprendre la conduite impliquerait que le conducteur doive rester en état de conduire (qu’il ne peut pas dormir ou être en incapacité de conduire) ne peut pas se détourner complètement du trafic ou s’adonner à quelque activité susceptible de retarder la reprise de la conduite.
Resteraient ainsi prohibées selon le Conseil fédéral la rédaction de messages ou la saisie d’objets. La définition et les exemples précités démontrent une volonté de décharge restrictive des obligations du conducteur et ne diffèrent que peu de la jurisprudence actuelle. En effet, le conducteur d’un véhicule conventionnel doit éviter toute occupation qui rendrait plus difficile la conduite, doit vouer à la route et au trafic toute l’attention possible et le degré de cette attention doit être apprécié au regard de toutes les circonstances, telles que la densité du trafic, la configuration des lieux ou les sources de danger prévisibles. L’attention requise du conducteur implique qu’il soit en mesure de parer rapidement aux dangers qui menacent la vie, l’intégrité corporelle ou les biens matériels d’autrui.
Par ailleurs, il est d’ores et déjà admis que le conducteur effectue des activités au volant telles que lire un journal posé sur ses genoux dans un bouchon à l’arrêt ou durant les phases d’attente à répétition des feux et tenir durant quinze secondes son téléphone dans la main sans le regarder. En conséquence, il apparaît disproportionné que le Conseil fédéral considère les activités qu’il énumère comme interdites lorsque le système est activé. Ce d’autant que si le conducteur a fait preuve de l’attention nécessaire en cas de «circonstances manifestes» (art. 22 al. 3 P-OCA), il ne devrait pas être tenu pour fautif quelle que soit son activité.
Au demeurant, les «circonstances manifestes» sont définies comme celles qui sont perceptibles même lorsque le conducteur détourne son attention de la route et du trafic, par exemple un freinage nettement perceptible et raisonnablement incompatible avec une conduite sûre. Il devrait donc être admissible que le conducteur ayant activé un système d’automatisation effectue des activités qui sont aujourd’hui qualifiées de fautes graves, telles que rédiger un SMS ou détourner son regard pour prendre une bouteille d’eau loin du siège conducteur, ce pour autant qu’il ait la capacité de reprendre la maîtrise du véhicule en cas de circonstances manifestes.
2.2 Véhicule sans conducteur
2.2.1 Définition
Le chapitre 5 du projet du P-OCA réglemente le véhicule sans conducteur. Aucun conducteur ne doit maîtriser la conduite, celle-ci étant gérée par des opérateurs qui doivent interagir avec le système d’automatisation, par exemple en confirmant une manœuvre proposée par le système. L’article 2 let. d P-OCA propose la définition suivante: «un véhicule équipé d’un système d’automatisation et destiné à parcourir sans conducteur le trajet entre son point de départ et sa destination, du moins sur certains tronçons prédéfinis».
Ce type de système d’automatisation correspond au niveau 4 d’automatisation, soit une automatisation élevée mais pas complète, le système permettant la conduite uniquement sur des tronçons définis. L’ordonnance prévoit également le cas d’application du parcage sans conducteur, lequel ne fait toutefois pas l’objet de la présente contribution puisque les dispositions y relatives seront réexaminées ultérieurement en raison du développement en matière d’automated valet parking (AVP).
2.2.2 Transfert au système d’automatisation
En l’absence de conducteur, l’obligation de respecter les règles de la circulation routière est transférée au système, a fortiori au constructeur (art. 3 ss. P-OCA) ainsi qu’au détenteur et à l’opérateur. En d’autres termes, la maîtrise du véhicule et le devoir de prudence qui incombent usuellement au conducteur sont intégralement automatisés et/ou délégués. Mis à part les exigences techniques générales et abstraites ou le fait de délivrer des attestations aux opérateurs pour garantir qu’ils comprennent le fonctionnement et les limites du véhicule (art. 30 P-OCA), peu d’obligations incombent toutefois au constructeur selon le P-OCA.
Au contraire, l’article 33 al. 2 P-OCA lui réserve expressément la faculté de compléter les obligations de l’opérateur dans son manuel d’utilisation, ce qui paraît inconcevable. D’une part, la procédure de contrôle des conditions d’utilisation, pour autant qu’elle s’applique au manuel, ne prévoit pas l’examen des obligations prescrites à l’opérateur par le constructeur (art. 40 al. 4 let. d P-OCA). D’autre part, le détenteur est seul soumis à cette procédure (art. 40 P-OCA). Enfin, la procédure de réception par type ne permettra pas de vérifier la conformité du manuel au droit suisse, celle-ci étant instruite par une autorité étrangère.
Qui plus est, si le constructeur est tenu d’actualiser son manuel conformément à l’article 8 LSPro, aucun mécanisme permettant de le contrôler n’est prévu. Le droit octroyé au constructeur par le P-OCA d’ériger des obligations de manière unilatérale à l’opérateur est ainsi malvenu, ce d’autant que celles-ci entraîneront indubitablement des conséquences sur la responsabilité civile en cas d’accident.
3. De la responsabilité civile
3.1 Un statu quo discutable
Bien qu’il existe un transfert des obligations de conduite au constructeur ou à l’opérateur, aucune responsabilité civile y relative ne leur est attribuée. Si cela prête le flanc à la critique, la position de la Suisse n’est pas isolée: la France a elle aussi dans un premier temps édicté des dispositions sur les modalités des systèmes d’automatisation, sans modifier le régime de responsabilité civile. Si la tâche de le modifier a depuis été déléguée au gouvernement, ce dernier ne s’est pas encore exécuté. Cela étant, le Conseil fédéral considère que la responsabilité causale aggravée du détenteur, à savoir la création d’un risque par suite de l’emploi d’un véhicule automobile instituée aux articles 58 ss.
LCR, doit s’appliquer à l’utilisation d’un système d’automatisation, à tout le moins provisoirement. À ce stade, le conducteur/détenteur reste donc de lege lata responsable même en cas de défaut du système (art. 58 al. 4 LCR). La responsabilité primaire du constructeur est exclue. Quant aux opérateurs, on pourrait en tirer la même conclusion. Cette solution apparaît néanmoins insatisfaisante au vu des décharges d’obligations prévues par le P-OCA, mais surtout du risque créé par le constructeur par la mise en circulation des systèmes d’automatisation.
3.2 Libération de la responsabilité civile du conducteur/détenteur
3.2.1 Responsabilité civile du constructeur
En cas d’activation du système autonome, le risque spécial d’accident peut résulter directement d’un défaut du logiciel distribué par le constructeur et ne résulte plus uniquement de l’emploi du véhicule, à savoir de l’activation purement mécanique du véhicule dont il résulte un danger spécial. Qui plus est, le risque spécial lié à l’emploi du véhicule comprend aussi le danger que représente la conduite humaine, de sorte que son application lorsque le conducteur/détenteur est déchargé de ses obligations de conduite n’apparaît pas soutenable.
À titre d’exemple, en cas d’accident dû à un défaut du système activé de manière conforme, sans demande de transition et sans que le conducteur n’ait pu ou dû s’apercevoir de ses limites (art. 22 P-OCA), on conçoit mal que le détenteur soit de lege lata responsable. Cela est d’autant plus inconcevable lorsqu’un véhicule sans conducteur circulant sur un tronçon défini cause un accident, alors même que le détenteur a rempli ses obligations, notamment en matière de maintenance du système (art. 32 P-OCA). Maintenir le régime actuel de responsabilité civile reviendrait à attribuer une responsabilité primaire du conducteur/détenteur qui découle de risques inhérents du système, soit de risques qu’il ne crée et ne maîtrise pas.
Le maintien du régime actuel aurait également pour conséquence que l’assureur privé du conducteur/détenteur doive intenter une action récursoire contre le constructeur (art. 59 al. 1 LCR) sous l’angle de la loi sur la responsabilité du fait des produits (LRFP; RS 221.112.944) dont les limites en matière de conduite automatisée sont connues. En premier lieu, la preuve du préjudice, du défaut et du lien de causalité entre les deux incombe au conducteur/détenteur alors que celui-ci ne dispose pas des ressources propres à démontrer les défaillances du système.
En second lieu, la notion du défaut est indéterminée puisque selon l’article 4 al. 1 LRFP, «un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances». Or, les exigences de sécurité prévues par le P-OCA relatives aux systèmes d’automatisation sont abstraites: le constructeur doit uniquement apporter la preuve que la sécurité et la fluidité du trafic sont garanties. Est-ce que le public peut alors légitimement s’attendre à ce que son véhicule équipé d’un système d’automatisation le transporte sans qu’il ne cause d’accident?
En l’état du P-OCA et de la LRFP, il faut répondre à cette question par la négative. En cas d’accident causé par un défaut du système d’automatisation, il lui reviendrait en effet de prouver qu’il a activé le système conformément aux prescriptions, a surveillé la circulation et ne pouvait ou ne devait pas s’apercevoir d’une défaillance (art. 22 P-OCA), mais également de démontrer l’existence d’un défaut, ce qui s’avèrera difficile. La notion de défaut dépend d’ailleurs de la présentation du produit (art. 4 al. 1 let. a LRFP), de sorte que le constructeur pourrait être tenté d’exclure sa responsabilité dans son manuel d’utilisation (art. 9, 10 et 33 P-OCA).
En dernier lieu, le lien de causalité entre le défaut du système et les dommages sera ardu à établir vu l’opacité des algorithmes et le fait que le processus ayant conduit à l’accident soit souvent incompréhensible. En sus des difficultés de preuve dans le cadre de l’action récursoire, les possibilités d’exonération du constructeur au sens de la LRFP ne sont pas adaptées aux systèmes d’automatisation. La LRFP ne prévoit pas une responsabilité inhérente aux risques de développement mais une responsabilité en raison des obligations consécutives à la mise sur le marché, en particulier l’obligation d’observer son produit.
Le constructeur n’est toutefois pas responsable s’il prouve que l’état des connaissances scientifiques et techniques lors de la mise en circulation du produit ne permettait pas de déceler l’existence du défaut (art. 5 al. 1 let. b et e LRFP), par exemple en raison d’une évolution non anticipée de l’intelligence artificielle, ce malgré les risques connus d’accidents avec les voitures autonomes. Sous l’angle de la LRFP, le constructeur pourrait donc être tenu responsable en cas de défaillance du système après sa mise en circulation uniquement en cas d’absence de mise en garde ou de rappel lorsqu’il découvre des risques concrets qui déclenchent de telles obligations, ce qui n’est pas suffisant.
Ce d’autant que le constructeur pourrait aussi invoquer que le dysfonctionnement du système est imputable au logiciel (art. 5 al. 2 LRFP) ou à son développeur. Or, le constructeur étant responsable du choix et de l’intégration du logiciel dans le véhicule, le logiciel et le véhicule doivent être considérés comme un produit d’ensemble qui est susceptible d’être défectueux. Une exonération de responsabilité sur ce fondement ne devrait donc pas être admise. Aussi, si le régime actuel de responsabilité peut paraître suffisant pour le lésé, lequel est assuré d’être dédommagé en faisant usage de son droit d’action directe contre l’assureur du conducteur/détenteur (art. 65 al. 1 LCR), tel n’est pas le cas pour le conducteur/détenteur.
En effet, il supporte les risques inhérents au système et n’a que des moyens très limités pour se libérer de sa responsabilité dans le cadre d’une action récursoire contre le constructeur. Il est ainsi nécessaire qu’il soit procédé à la révision de LRFP, dès lors que la proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil relative à la responsabilité du fait des produits défectueux du 28 septembre 2022 a été approuvée en octobre 2023 et qu’il était prévu de s’en inspirer. Il faut encore relever que la promesse des constructeurs qui déclarent assumer une responsabilité totale en cas d’accident ne peut remédier aux problématiques susmentionnées et, pire encore, met à mal les droits du lésé.
Afin de permettre au lésé d’être dédommagé par le constructeur, ces déclarations devraient en effet remplir les conditions d’une stipulation parfaite pour autrui (art. 112 al. 2 CO) ou devraient faire l’objet d’un contrat entre le détenteur et le constructeur. Quoi qu’il en soit, un tel glissement vers le droit privé soulèverait de nombreuses autres questions d’applicabilité (for, interprétation des clauses, etc.) et s’avère inutile puisque le régime de responsabilité civile peut aisément être encadré par la LCR.
3.2.2 Responsabilité civile de l’opérateur
L’opérateur se voit attribuer le rôle de pilote et de surveillant du système et est en partie soumis aux exigences usuelles du conducteur (art. 35 P-OCA). Si le Conseil fédéral considère qu’il faut distinguer l’opérateur du conducteur, dès lors que le conducteur doit exécuter des manœuvres et non l’opérateur, ce dernier assume aussi des obligations sans lien avec la conduite du véhicule qui devaient être satisfaites jusqu’ici par le conducteur. Par exemple, lors de transports de personnes, il doit communiquer avec les passagers.
Cela étant, l’opérateur devrait à tout le moins être qualifié d’auxiliaire au service du véhicule, soit une personne qui accomplit un acte d’emploi du véhicule sans conduire. Le cas échéant, le détenteur pourrait se libérer de sa responsabilité en cas de faute grave de l’opérateur. Cependant, la notion de faute grave est indéterminée: la faute serait-elle grave exclusivement en cas de commission d’infractions pénales (art. 44 P-OCA)? De plus, il est prévu que les obligations de l’opérateur soient majoritairement définies par le constructeur dans son manuel, lequel pourrait alors ériger unilatéralement certains manquements au rang de faute grave.
Cela est sans compter les autres conditions prescrites par l’article 59 LCR, notamment l’absence de faute par le détenteur lui-même ainsi que l’absence de défectuosité du véhicule. L’application du régime actuel n’apparaît ainsi pas plus adaptée aux véhicules sans conducteur s’agissant de la responsabilité de l’opérateur.
4. Conclusion
Si le Conseil fédéral considérait en 2021 que le régime de responsabilité actuel devait être provisoirement maintenu, l’entrée en vigueur du P-OCA et les décharges ainsi octroyées au conducteur doivent induire une révision de celui-ci. Le Conseil fédéral reconnaissait d’ailleurs déjà cette évidence en 2021, affirmant que si les conducteurs sont déchargés de leurs obligations, ils doivent en principe être exemptés de la responsabilité civile liée à la violation de ces obligations. En sus d’une révision de la LRFP, il appert que l’instauration d’une responsabilité causale aggravée du constructeur et de l’opérateur aux côtés de celle du détenteur est tout particulièrement souhaitable.
Cette solution permettrait en effet de faire supporter le poids de la responsabilité à toute personne qui crée et/ou maîtrise les risques. Le constructeur met en circulation le système, il en tire profit et en exerce la maîtrise de fait, de sorte qu’il devrait également en supporter les risques en première ligne. En réalité, la responsabilité civile en matière de véhicules équipés de systèmes d’automatisation ne constitue rien d’autre qu’un cas spécial de responsabilité civile, comparable à celle de l’entreprise de la branche automobile pour un véhicule qui lui a été remis à des fins de réparation (art. 71 LCR). Dès lors, elle pourrait être instituée en tant que nouveau cas spécial dans le chapitre 3 du Titre 4 de la LCR et prévoir ainsi une répartition des responsabilités entre les divers acteurs concernés en fonction des risques créés par chacun d’eux.
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