Des paroles
Pourtant, la Suisse avait accepté le principe de mettre en place un mécanisme après l’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme en 2018. Dans le quatrième rapport national de la Suisse pour l’Examen périodique universel du 23 septembre 2022, on ne trouve aucune trace de cette promesse. Le Conseil fédéral en appelle au statu quo: «En tant qu’autorités d’enquête, les parquets indépendants sont chargés de poursuivre et de punir les fautes commises par les membres de la police. Toute personne victime de violences policières peut déposer une plainte directement auprès de la police et exiger que l’incident soit traité, ou déposer une plainte directement auprès du ministère public indépendant des autorités.»
Des améliorations attendues
Face à ce manque de réactivité, des voix s’élèvent. De nombreuses ONG confirment que porter plainte contre la police reste un chemin de croix. Interviewée par GHI, Alicia Giraudel, d’Amnesty International, alerte: «Rien n’a vraiment changé. Il existe une connivence entre la police et le ministère public. C’est pourquoi nous demandons que des instances indépendantes soient créées dans tous les cantons de Suisse, dont Genève. Il s’agirait d’une instance de plainte dotée d’un mandat clair et de ressources adéquates. Elle devrait avoir les pleins pouvoirs d’enquête sur toutes les allégations de violations graves des droits humains commises par des agents de police ainsi que des capacités de mener ses propres enquêtes.»
Les cantons romands peinent à mettre en place un mécanisme propre à rétablir la confiance de la population. Dans le canton de Vaud, certains députés du Grand Conseil ont tenté de faire bouger les lignes. En 2018, le postulat Jean-Michel Dolivo et consorts proposait de mettre en place un mécanisme indépendant pour les victimes de violences policières. Au mois de mars de cette année, Marc Vuilleumier, après avoir cité plusieurs affaires où les victimes racisées sont décédées, a interpellé le Conseil d’État: «Au-delà des procédures judiciaires en cours, quelles mesures le Conseil d’État a-t-il prises pour prévenir de tels drames, dans les domaines de la prévention et de la formation des policiers notamment?»
Une apparente accessibilité
Les mesures prises dans les cantons pour répondre aux inquiétudes sur les potentiels abus de pouvoir de la police prouvent que les parlements et les gouvernements sont au fait de la problématique. Ces démarches restent toutefois timorées et leurs effets restent à prouver.
Le canton de Neuchâtel a récemment modifié sa législation afin de renforcer le mécanisme de plaintes. La modification législative neuchâteloise porte sur deux points. Le ministère public pourra désormais faire appel à des policiers d’autres cantons et le Service de la cohésion multiculturelle recueillera les plaintes contre la police. Certes, la possibilité donnée au ministère public de collaborer avec des fonctionnaires hors du canton vise à limiter les risques de conflit d’intérêts. Il n’en demeure pas moins qu’on pourrait s’interroger sur la mise en pratique de cette possibilité.
Seul le canton de Genève fait mieux en matière d’enquête sur les actes de la police. Le Ministère public genevois mène ses enquêtes en collaboration avec l’Inspection générale des services (IGS). L’IGS n’est pas pour autant indépendante puisqu’elle est administrativement rattachée au commandant de police qui nomme les membres de cette police des polices. Dans son rapport annuel, l’IGS publie le nombre de plaintes contre la police, où il est fait état de 75 affaires concernant des abus d’autorité ou des lésions corporelles pour l’année 2022. Au-delà de ces chiffres, c’est surtout le nombre infime de condamnations qui interpelle. Bien que l’on puisse estimer que certaines plaintes sont infondées, ces chiffres amènent à réfléchir sur l’effectivité des enquêtes.
Genève dispose d’un organe de médiation mais son efficacité est contestée. Et pour cause, la mission de l’Organe de médiation de la police a un rôle pour le moins limité. Selon l’art. 62 al. 2 de la loi cantonale sur la police, l’organe est chargé «de mener des tentatives de conciliation et d’assurer une bonne compréhension du travail de la police». Ne traitant pas les cas de violence physique et disposant d’une indépendance relative en raison de son rattachement au Département de la sécurité, de la population et de la santé notamment, son efficacité dans le mécanisme de lutte contre les violences policières demeure restreinte. En 2019, le canton de Vaud a également mis en place un service de médiation dénommé «Médiation, doléances et remerciements». Ces initiatives cantonales peuvent certes faciliter le contact avec la population mais demeurent axées sur une base volontaire. Aussi, le policier ou la policière mis en cause peut refuser d’entrer en discussion.
Difficile aujourd’hui de se satisfaire de ces quelques mesures. Les récentes affaires fortement médiatisées portent à croire que les outils développés à ce jour ne suffisent pas. Encore faut-il une réelle volonté parlementaire. Pour ce faire, il faudra encore marteler qu’il ne s’agit pas de vilipender l’action de la police, mais de renforcer sa crédibilité. ❙