1. Introduction
Dans la revue plaidoyer 3/2021, il a été constaté que certaines règles de procédures, appliquées de manière stricte, rendraient impraticable une action en partage. Nous avons conclu que lors d’une action en partage successoral, les intervenants au processus judiciaire doivent accorder à la procédure le rôle ancillaire qui est le sien pour que les héritiers bénéficient d’une intervention judiciaire effective.
Le 6 septembre 2023, le Conseil fédéral a communiqué son souhait d’adapter le code de procédure civile à la pratique et fixé l’entrée en vigueur de différentes modifications du code de procédure civile au 1er janvier 2025.
La modification, comme le nom du message le révèle, a pour objectif l’«amélioration de la praticabilité et de l’application du droit». Selon le Conseil fédéral, la modification des règles sur les frais de procédure et sur la procédure de conciliation contribueront à améliorer la praticabilité du code de procédure civile.
La présente contribution a pour objectif, par une analyse choisie de certaines modifications du code de procédure civile, de déterminer si les modifications conduiront à réaliser leur objectif, spécifiquement en lien avec l’action en partage.
Avec l’introduction du code de procédure civile fédéral le 1er janvier 2011, les dispositions cantonales qui réglaient l’action ont été remplacées par des règles procédurales uniformes qui ne traitent pas spécifiquement de l’action en partage. La modification du code de procédure civile qui entrera en vigueur le 1er janvier 2025 n’introduit malheureusement pas des dispositions spécifiques de l’action en partage.
Ainsi, le caractère praticable de l’action en partage au vu de la modification du code de procédure civile doit s’analyser au regard de problématiques choisies.
2. Conséquences des modifications
Les premières problématiques choisies reprennent celles relevées en pratique et relatées dans la contribution 3/2021 au regard des modifications du code de procédure civile qui entreront en vigueur le 1er janvier 2025 (infra 2.1, 2.2 et 2.3).
2.1. Conclusion abstraite
Constatant l’impossibilité d’une lecture rigide de l’art. 58 al. 1 CPC, la contribution publiée dans la revue plaidoyer 3/2021 distinguait les questions préalables et les questions préjudicielles.
Les questions préalables doivent être traitées spontanément par l’autorité, au préalable ou dans le jugement au fond.
Les questions préjudicielles doivent, en principe, faire l’objet d’une conclusion.
Les questions préalables, dont les faits doivent être allégués, devraient au moins comprendre la détermination des biens extants, comprenant la détermination de la créance matrimoniale liée à la liquidation du régime, l’étendue des dettes ainsi que la composition de la communauté héréditaire (et des parts de chacun) et par conséquent toutes les mesures d’instruction nécessaires pour y parvenir.
La modification du code de procédure civile ne prévoit pas de réviser les principes applicables, par exemple d’exclure l’action en partage du principe de disposition, malgré le fait qu’il est, en pratique et en réalité, souvent inenvisageable qu’une demande puisse intégrer des conclusions qui seraient celles du dispositif du jugement.
Ainsi, la problématique soulevée perdure sans qu’une solution spécifique ne soit apportée par le code de procédure civile.
La solution demeure qu’il est du devoir de l’autorité, selon le droit matériel, d’ordonner un partage conforme aux règles établies par le droit des successions. Le justiciable est au bénéfice de la possibilité, selon le droit matériel, de prendre des conclusions abstraites.
2.2. Modification des conclusions
Compte tenu de la spécificité de l’action en partage, notamment de la nécessité d’être au bénéfice de toutes les mesures d’instruction et que la masse soit arrêtée pour que les conclusions en partage puissent véritablement être précisées, la contribution publiée dans la revue plaidoyer 3/2021 a retenu que l’ajout potentiel ou la modification potentielle de conclusions concrètes en plan de partage ne devraient pas être limités.
La modification du code de procédure civile ne prévoit pas de réviser les art. 227 et 230 CPC.
Ainsi, la problématique soulevée perdure sans qu’une solution spécifique ne soit apportée par le code de procédure civile dans la teneur qu’il aura au 1er janvier 2025.
La solution préconisée au regard des principes déjà applicables demeure que l’ajout potentiel ou la modification potentielle de conclusions concrètes en plan de partage pourraient intervenir jusqu’au jour où toutes les valeurs sont connues.
2.3. Nova
Optant pour l’accessibilité de la justice, pour la praticabilité de l’action et pour l’économie de procédure, la contribution 3/2021 a souligné, en substance et en se fondant sur le droit matériel (art. 618 CC), qu’en matière de partage, l’allégation de faits «nouveaux» qui consisteraient dans une «mise à jour» des faits de «base» allégués, notamment quant à l’évolution de la masse à partager, devait être traitée au regard de la plus grande flexibilité laissée par le droit matériel.
La modification du code de procédure civile prévoit une modification des dispositions de procédures applicables.
Premièrement, l’art. 229 al. 1 nCPC dispose qu’en l’absence de deuxième échange d’écritures ou de débats d’instruction, les faits et moyens de preuve sont admis sans restriction lors des débats principaux, durant les premières plaidoiries.
Deuxièmement, les faits et moyens de preuves nouveaux après la clôture de la phase d’allégation ne doivent plus être invoqués «sans retard», mais dans le délai fixé par le tribunal (1) ou, à défaut, durant les premières plaidoiries (2) ou lors de l’audience suivante lorsque les premières plaidoiries ont déjà eu lieu (3).
En pratique, pour cette deuxième modification, deux hypothèses semblent envisageables:
• les parties peuvent ou doivent inviter l’autorité à fixer un délai pour produire un fait ou un moyen de preuve nouveau à la découverte de celui-ci,
•le tribunal peut ou doit ordonner aux parties de produire tout fait nouveau dans un délai préalablement fixé, dans une ordonnance d’instruction.
Pour cette deuxième hypothèse, l’autorité fixe un délai général et préalable aux parties pour produire tout fait ou moyen de preuve nouveau. La novelle ne prévoit pas si un certain nombre de jours à compter de la survenance de chaque élément nouveau devrait être imposé ou si un terme général pour présenter tous les éléments nouveaux pourrait être prévu par l’autorité.
Selon nous, le droit de procédure qui entrera en vigueur ne s’oppose pas à ce que l’autorité fixe, par exemple, un délai unique, à compter de la dernière mesure d’instruction, pour présenter tous les éléments nouveaux portant, par exemple, sur la masse à partager.
Dans cette hypothèse, l’autorité pourrait inviter les parties à, simultanément, procéder à une potentielle «mise à jour» des faits «de base» allégués, ainsi que, si elles le souhaitent, présenter un plan de partage concret.
Ainsi, cette modification ouvre la possibilité au juge de rendre une ordonnance d’instruction susceptible d’établir des règles claires, limitant les écritures intempestives, et permettant de réaliser le droit matériel sans porter atteinte au principe de célérité.
En fonction de l’utilisation qui sera faite de cette disposition par les autorités judiciaires et, cas échéant, reconnues par la jurisprudence, la modification de l’art. 229 CPC pourrait rendre l’action en partage plus praticable.
2.4. Conclusion intermédiaire
L’occasion de présenter des dispositions procédurales spécifiques propres à traiter des caractéristiques particulières de l’action en partage n’a pas été saisie.
La majorité des problématiques pratiques choisies et relevées dans la revue plaidoyer 3/2021 demeure. Les modifications qui entreront en vigueur le 1er janvier 2025 ne devraient pas, au regard de ces différentes problématiques, avoir pour effet d’améliorer la praticabilité et l’application de l’action en partage.
Il sied néanmoins de relever que les modifications qui seront apportées à l’art. 229 CPC pourraient faciliter et unifier l’introduction d’allégations et de moyens de preuve visant à prendre en considération notamment l’évolution constante de la masse successorale, par exemple la question des remplois.
Seule la pratique démontrera si les autorités et la jurisprudence saisiront l’occasion de rendre plus praticable une action caractérisée par une évolution constante des circonstances peu compatible avec une application stricte des règles de procédure.
3. Conséquences sur la praticabilité de l’action en partage
3.1. Avance de frais
Actuellement, une avance de frais correspondant à l’entier des frais judiciaires présumés est, en principe, requise.
La novelle prévoit la limitation de l’avance de frais à la moitié des frais judiciaires présumés. Certaines exceptions sont prévues, notablement la possibilité de requérir une avance à concurrence de l’entier des frais judiciaires présumés pour la procédure de conciliation.
En pratique, un nombre important de personnes procédant à une action en partage ne peuvent pas prétendre au bénéfice de l’assistance judiciaire. Il est également courant que les assurances de protection juridique ne couvrent pas, ou que pour une petite partie, les litiges successoraux. Ainsi, la question des frais judiciaires se pose de manière très concrète lors du dépôt d’une action en partage.
La modification fait supporter une partie du risque d’indigence sur l’État à la place du demandeur et peut sembler faciliter l’accès à la justice. Cela étant, les disparités cantonales demeurent, ainsi la manière de calculer la valeur litigieuse déterminante pour le montant de l’avance de frais. Par ailleurs, au final, si les risques face à l’indigence seront limités pour le demandeur, en particulier en présence d’une multiplicité de parties adverses localisées dans des pays différents, il n’en demeure pas moins que le coût de la justice demeurera, au final, le même.
À cet égard, l’art. 106 CPC demeure inchangé. Les frais judiciaires doivent être assumés par la partie succombante. Par exception, l’autorité peut statuer selon les règles du droit et de l’équité conformément à l’art. 107 CPC notamment lorsque les circonstances du cas rendent la répartition en fonction du sort de la procédure inéquitable.
Dans le cadre d’une action en partage, il est, en principe, inexact de considérer une partie victorieuse ou succombante. Chaque partie reçoit pour finir sa part. Généralement, le juge procède, selon son pouvoir d’appréciation, à une répartition en équité, potentiellement entre tous les héritiers.
Autrement dit, la problématique pratique réside d’abord dans la répartition des frais, laquelle est source d’incertitude. La question de l’avance des frais par une seule partie est problématique, dès lors qu’en pratique les frais finaux sont, généralement, répartis entre toutes les parties.
Ainsi, si la modification est susceptible d’avoir un impact positif, il n’en demeure pas moins que les principales problématiques actuelles perdureront malgré la modification du code de procédure civile qui entrera en vigueur le 1er janvier 2025.
En toutes hypothèses, il résultera de cette modification, pour les avocats, un devoir de renseignement accru. Les avocats prudents informeront avec une attention particulière les parties procédant à l’avance de frais que les frais finaux seront plus importants si la procédure arrive à son terme, selon une répartition qui sera, selon toute vraisemblance, laissée à la libre appréciation de l’autorité.
Les parties qui peuvent surseoir au versement de l’avance de frais, par exemple en cas du bénéfice de l’assistance judiciaire, devraient être informées du devoir de rembourser. Au terme de l’action, la partie devrait bénéficier des avoirs successoraux d’une manière librement disponible en principe propre à assumer les frais selon les règles de l’assistance judiciaire.
3.2. Expertises privées
Conformément au droit matériel (art. 618 CC), si les parties ne peuvent se mettre d’accord sur un prix d’attribution d’un immeuble, celui-ci est fixé par des experts officiels. Cette disposition est inchangée avec les modifications du code de procédure civile.
Une expertise privée n’est contraignante pour les héritiers que si l’expert a été désigné comme arbitre conformément à l’art. 189 CPC. Cette disposition demeurera identique avec la modification du code de procédure civile. Ainsi, la possibilité de procéder à une expertise-arbitrage demeurera avec la modification du code de procédure civile.
Selon le droit procédural actuel, une expertise privée n’est pas une expertise au sens de l’art. 168 let. d CPC.
L’expertise privée produite en procédure par une partie est uniquement un allégué de partie.
Compte tenu des critiques doctrinales, la modification du code de procédure civile prévoit qu’une expertise privée est un titre au sens de l’art. 177 CPC. Si l’expertise privée passe du statut de simple allégation de partie à celui de titre, la distinction entre expertise privée et judiciaire demeure. Ainsi, le statut de l’expertise privée semble s’élever, sans pour autant rejoindre celui de l’expertise judiciaire.
Compte tenu du temps nécessaire à l’instruction d’une action en partage, les dispositions transitoires revêtent un caractère pratique intéressant. À cet égard, la novelle prévoit, en son art. 407f, que l’art. 177 CPC s’applique également aux procédures en cours à l’entrée en vigueur de la modification du 17 mars 2023, soit dès le 1er janvier 2025.
Compte tenu de l’entrée en vigueur «immédiate» de l’art. 177 CPC, les parties à une action en partage pourraient d’ores et déjà s’interroger sur l’intérêt de produire une expertise privée, simple allégation de partie aujourd’hui, mais potentiel titre au jour du prononcé.
Cela étant, la question de la force probante de l’expertise privée, même dans le cas où elle serait un titre, demeurera. L’expertise privée sera soumise, conformément aux principes généraux, à la libre appréciation de l’autorité. Le message du Conseil fédéral précise, comme pour les autres moyens de preuve par ailleurs, que la force probante de l’expertise privée sera étudiée au regard de toutes les circonstances concrètes, soit notamment: les liens entre la partie et l’expert, les circonstances de l’attribution du mandat, la procédure et le déroulement de l’expertise, la compétence de l’expert, etc..
En pratique, il est courant que les différentes parties intéressées aient, avant que l’action en partage ne soit pendante ou même en cours d’instruction, chacune requis différentes expertises privées. Cela étant, les expertises privées en question, portant sur la valeur d’un bien, d’une indemnité d’occupation, de la valeur de travaux, etc. aboutissent régulièrement à des résultats diamétralement différents. Ainsi, il est à craindre qu’en présence d’expertises privées contradictoires, respectivement éloignées, le fait qu’elles soient considérées comme titres plutôt que comme allégations de parties n’aura que peu d’incidence pratique.
Cela étant, la modification de l’art. 177 CPC est susceptible d’encourager les parties à faire preuve d’une diligence particulière, potentiellement commune, dans la réalisation d’expertises privées. La qualité des résultats des expertises pourrait alors faciliter la conclusion d’accords amiables, tout comme la réalisation d’expertises communes.
4. Conclusion
Il est à regretter que le Conseil fédéral n’ait pas saisi l’occasion pour présenter des dispositions claires, cas échéant spécifiques, à l’action en partage et prenant en considération les particularités de cette action.
Les problématiques pratiques récurrentes de l’action en partage ne sont pas véritablement diminuées par les modifications du code de procédure civile qui entreront en vigueur le 1er janvier 2025.
Différentes modifications, dont celles de l’art. 229 CPC, sur l’avance de frais et les expertises privées, pourraient être susceptibles de rendre plus praticable l’action en partage. L’impact réel dépendra toutefois de l’usage qui sera fait par les praticiens des nouvelles possibilités qu’offriront ces modifications.
Ainsi et à tout le moins tant que des règles légales ou jurisprudentielles ne régleront pas définitivement ces problématiques pratiques, il revient:
• au de cujus de planifier sa succession avec des règles de partage,
• aux avocats d’informer avec diligence les héritiers des risques et enjeux, notamment des incertitudes de l’action,
• aux héritiers de, cas échéant, se tourner vers un mode alternatif de règlement des conflits,
• aux autorités judiciaires de faire preuve de pragmatisme et de flexibilité, en usant des outils à disposition pour permettre la réalisation du droit matériel et aboutir au partage.
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