1. Introduction
Si le fédéralisme suisse comporte assurément de nombreux avantages lorsqu’il s’agit de répondre aux besoins de la population, notamment grâce à l’action des cantons au niveau local ou régional, il peut aussi être à l’origine de difficultés lorsqu’il s’agit d’harmoniser des pratiques différentes dans un domaine qui relève de la compétence des cantons, du moins en ce qui concerne la mise en œuvre d’un dispositif prévu par le droit fédéral.
En s’appuyant sur les articles 131 al. 2 et 290 al. 2 CC pour promulguer une ordonnance fédérale sur l’aide au recouvrement des créances d’entretien du droit de la famille, avec une entrée en vigueur fixée au 1er janvier 2022, le Conseil fédéral a fait un premier pas vers l’harmonisation des pratiques cantonales en la matière (cf. RO 2020 pp. 7 ss.).
Nous allons donc examiner quelques points de cette harmonisation en suivant les différents chapitres de cette ordonnance.
Néanmoins, il faut relever que les cantons vont conserver une grande marge de manœuvre dans l’organisation de l’aide au recouvrement, notamment en ce qui concerne la durée de l’aide au recouvrement.
De même, les cantons demeurent libres de mettre en place, ou non, un système d’avances de contributions d’entretien lorsque l’obligation d’entretien n’est pas respectée, ce qui est regrettable (cf. ATF 106 II 283 = JdT 1981 I 316).
En effet, l’importance et l’utilité de compléter l’aide au recouvrement par le versement d’avances de contributions d’entretien n’est plus à démontrer. Il suffit par exemple de prendre en considération le fait que, grâce au paiement de telles avances, une personne ou une famille peut souvent éviter de recourir à l’aide sociale, laquelle est remboursable en général.
Ainsi, à teneur de l’article 3 al. 5 de la loi cantonale bernoise du 6 février 1980 sur l’aide au recouvrement et les avances de contributions d’entretien (cf. RSB 213.22), les avances ne constituent pas une aide matérielle au sens de la législation sur l’aide sociale.
A noter que les cantons ont déjà tenté d’harmoniser leurs pratiques en matière d’avances de contributions d’entretien, puisque la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS) avait adopté, le 28 juin 2013, des recommandations suisses en la matière (cf. www.sodk.ch).
2. Dispositions générales
En premier lieu, il faut relever que, selon le droit fédéral, les cantons ont l’obligation de désigner au moins un office spécialisé – cantonal ou communal – chargé d’aider de manière adéquate une personne créancière à obtenir l’encaissement des contributions d’entretien (131 et 290 CC).
L’institution d’un service spécialisé apparaît nécessaire pour procéder correctement à ce recouvrement, tant les démarches civiles et/ou pénales peuvent s’avérer complexes sur les plans humain, juridique et économique, de telle sorte que les cantons doivent mettre à disposition du personnel suffisamment qualifié pour entreprendre toutes les démarches utiles (art. 2 OAiR).
Ensuite, il est intéressant de relever que l’aide au recouvrement pourra porter non seulement sur les contributions d’entretien au sens strict, telles que fixées par le juge ou dans une convention d’entretien, mais aussi sur les allocations familiales légales, contractuelles ou réglementaires (art. 3 al. 2 OAiR).
Cette extension de l’aide au recouvrement peut s’avérer très utile, notamment quand le montant de la contribution d’entretien comprend les allocations familiales ou quand la personne débitrice perçoit elle-même les allocations familiales mais ne les reverse pas à la personne créancière, alors que le titre fixant l’obligation d’entretien le prévoit (art. 3 al. 2 OAiR).
Cette extension apparaît d’autant plus intéressante que la loi fédérale sur les allocations familiales a fait l’objet récemment d’une révision partielle, qui devrait entrer en vigueur en 2020 et qui permettra notamment de verser aussi des allocations de formation dès l’âge de 15 ans (cf. FF 2019 pp. 6223 ss.).
De même, il faut saluer le fait que les offices spécialisés pourront aussi fournir une aide au recouvrement de contributions d’entretien échues avant le dépôt de la demande, en plus de l’aide au recouvrement des pensions courantes, même s’il ne s’agit que d’une faculté.
Cependant, il est dommage que le Conseil fédéral n’ait pas fixé de limite dans le temps en ce qui concerne la rétroactivité de l’aide, dans la mesure où les cantons pourraient se contenter de limiter leur aide à quelques mois au maximum, voire ne pas intervenir du tout pour le recouvrement des pensions échues avant le dépôt de la demande, puisque les cantons n’auront aucune obligation en la matière (art. 3 al. 3 OAiR).
De plus, les cantons devront fournir une aide au recouvrement non seulement lorsque l’obligation d’entretien a été fixée par le juge ou par une convention dûment homologuée (art. 4 lettres a et b OAiR), mais aussi sur la base d’une simple convention écrite signée par un parent et un enfant majeur (art. 4 lettre c OAiR).
A cet égard, rappelons que seules les conventions d’entretien concernant des enfants mineurs doivent être approuvées par l’autorité de protection de l’enfant (art. 287 al. 1 CC).
Toutefois, une convention d’entretien passée sous seing privé entre deux adultes ne constitue pas un titre de mainlevée définitive au sens de l’article 80 LP, de telle sorte que, en cas de poursuite, la personne débitrice aura plus de possibilités pour s’opposer au paiement de la contribution d’entretien en rendant sa libération vraisemblable (cf. art. 82 al. 2 LP).
En outre, en cas d’action en libération de dette après un rejet de l’opposition (art. 83 al. 2 LP), il faudra se demander qui – de l’enfant majeur ou de l’office spécialisé – aura la qualité pour défendre dans le cadre d’une action en libération de dette introduite par la personne débitrice, surtout dans l’hypothèse où des avances de contributions d’entretien ont été accordées pendant la période qui a fait l’objet de la poursuite.
Or, à cet égard, la nouvelle ordonnance fédérale n’apporte aucune réponse. A priori, si des avances ont été versées pendant la période litigieuse, la collectivité publique devrait aussi avoir la qualité pour défendre dans une action en libération de dette (cf. ATF 143 III 177 ss.).
3. La demande d’aide au recouvrement
Ce chapitre commence par une évidence, à savoir que la demande d’aide au recouvrement peut être déposée dès que la contribution d’entretien n’est pas versée, mais ne précise pas à partir de quand il faut considérer que la contribution d’entretien n’est pas payée (art. 8 OAiR).
Ce point est pourtant important dans la pratique, et les cantons auront ainsi toute latitude pour préciser dans leur réglementation s’ils entendent introduire un délai de carence ou non, soit une période minimale pendant laquelle les contributions d’entretien n’ont pas été payées, avant de procéder au recouvrement des créances y relatives.
Actuellement, dans la plupart des cantons, l’aide au recouvrement commence en principe dès le mois où la demande est déposée, de même que le versement des avances le cas échéant, pour autant que les contributions d’entretien ne soient plus payées depuis un certain temps.
Certains cantons exigent en revanche que, pour bénéficier des avances, le créancier d’entretien doit être domicilié dans le canton depuis une année au moins (cf. art. 8 al. 1 de la loi genevoise du 22 avril 1977 sur l’avance et le recouvrement des pensions alimentaires; RSG E 1 25), ce qui pourrait désormais avoir aussi une incidence sur l’aide au recouvrement, sous réserve de prévoir une solution plus souple lorsque la personne créancière bénéficie déjà d’une aide et change de canton, en ce sens qu’il pourrait alors être renoncé à cette exigence du domicile depuis au moins un an (cf. art. 8 al. 2 de la loi genevoise du 22 avril 1977 sur l’avance et le recouvrement des pensions alimentaires du 22 avril 1977; RSG E 1 25).
Une telle solution serait compatible avec notre fédéralisme et garantirait une continuité dans l’aide au recouvrement et le droit éventuel aux avances, même s’il serait sans doute préférable, eu égard à la priorité des contributions d’entretien sur l’aide sociale, de renoncer à tout délai de carence.
Sur le plan formel et administratif, la nouvelle ordonnance fédérale prévoit que les cantons devront mettre à disposition un formulaire ad hoc (art. 9 al. 2 OAiR), ce qui correspond à une pratique qui est déjà largement répandue.
Cependant, le nouveau droit ajoute un point important, à savoir que l’office spécialisé ne devra pas seulement fournir un formulaire ad hoc à la personne créancière et requérante, mais il devra aussi l’aider à le remplir et à lui proposer un entretien de conseil individuel (articles 9 al. 2 et 12 al. 1 lettre b OAiR).
Il s’agit d’une offre bienvenue, dans la mesure où certaines personnes ont parfois des difficultés à comprendre et à remplir les formulaires mis à disposition par les cantons, voire à fournir toutes les pièces justificatives nécessaires.
En outre, la pratique montre qu’il vaut certainement mieux prendre un peu de temps au début pour bien comprendre la situation et bien informer la personne créancière de la nature exacte des mesures d’encaissement qui seront prises, plutôt que de se limiter à une simple procédure écrite avant d’entreprendre des démarches d’encaissement auprès des personnes débitrices, eu égard au contexte familial et au caractère conflictuel de certaines séparations.
4. Les prestations de l’aide au recouvrement
Ce chapitre revêt une importance pratique non négligeable, même si les prestations minimales énumérées à l’article 12 OAiR correspondent en fait aux prestations qui sont déjà fournies en général par les cantons, mais de manière inégale d’un canton à l’autre.
La formulation de l’ordonnance fédérale en matière de prestations laisse aux cantons une grande marge de manœuvre dans l’appréciation de la situation et l’adéquation (proportionnalité) des mesures à prendre pour l’accomplissement de l’aide au recouvrement, y compris sur le plan pénal (art. 12 al. 2 OAiR), ce qui semble tout à fait justifié.
Il faut aussi relever que les offices spécialisés devront proposer une prise de contact avec la personne débitrice (art. 12 al. 1 lettre h OAiR) et lui envoyer une sommation (art. 12 al. 1 lettre i OAiR), avant de prendre des mesures plus incisives et plus contraignantes.
Il s’agit en effet de privilégier une approche consensuelle en vue d’obtenir tout ou partie des contributions d’entretien qui sont dues, dans la mesure où le non-paiement de ces prestations ne résulte pas toujours d’une mauvaise volonté.
Ainsi, selon le rapport explicatif de l’Office fédéral de la justice du 6 décembre 2019, si la personne débitrice reconnaît sa dette, un paiement échelonné des arriérés combiné avec une reconnaissance de dette globale pour tous les montants dus permettrait d’éviter des démarches d’encaissement qui peuvent être plus longues et plus coûteuses (cf. rapport explicatif du 6 décembre 2019, COO.2180.109.7.223720 / 232.1/2016/00014, p. 34).
Cependant, en l’absence de réponse de la personne débitrice, et malgré une sommation, l’office spécialisé devra adopter les mesures adéquates au titre de l’aide au recouvrement.
Le nouveau droit comporte encore une mesure bienvenue, à savoir la possibilité pour l’office spécialisé d’annoncer à une institution de prévoyance ou de libre passage le non-respect d’une obligation d’entretien, en cas de retard d’au moins quatre mensualités (art. 13 OAiR).
De son côté, l’institution de prévoyance ou de libre passage aura l’obligation d’informer l’office spécialisé de la prochaine échéance des prétentions au titre de la prévoyance professionnelle ou du libre passage, de telle sorte que l’office spécialisé aura alors un délai de trente jours pour demander des sûretés ou obtenir un séquestre sur l’avoir de prévoyance qui sera ainsi devenu exigible (art. 14 OAiR).
Même si le délai de trente jours peut s’avérer relativement court suivant la charge de travail de l’office spécialisé, il s’agit d’une mesure forte qui permet de mieux garantir le paiement des contributions d’entretien, au même titre que l’avis au débiteur (articles 132 et 291 CC).
A noter que cette nouveauté résulte de la récente révision du code civil relative au droit d’entretien de l’enfant, modification qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2017 (cf. RO 2015 pp. 4299 ss.), alors que la modification correspondante de la législation en matière de prévoyance professionnelle entrera en vigueur le 1er janvier 2022 (cf. RO 2020 pp. 5 ss.), soit en même temps que l’OAiR (cf. RO 2020 p. 15).
5. La cessation de l’aide au recouvrement
La fin de l’aide au recouvrement ne porte pas seulement sur les modalités ou les conditions dans lesquelles l’office spécialisé pourra mettre fin à son intervention, mais elle détermine également la durée de cette intervention, de telle sorte qu’une harmonisation en la matière revêt ici une importance toute particulière.
Cependant, non seulement le nouveau droit ne précise pas à partir de quand il faut considérer que l’absence de paiement des contributions d’entretien justifie l’aide au recouvrement, mais encore il n’indique pas à partir de quel mois cette aide doit impérativement commencer (voir supra chiffre 4).
Actuellement, dans certains cantons, l’aide au recouvrement peut durer théoriquement aussi longtemps que dure l’obligation d’entretien telle que fixée dans le jugement ou la convention homologuée, du moins aussi longtemps que l’obligation d’entretien n’aura pas été modifiée à la demande de la personne débitrice ou de la personne créancière (cf. art. 1 de la loi bernoise sur l’aide au recouvrement et les avances de contributions d’entretien du 6 février 1980, RSB 213.22; articles 2 et 3 de l’arrêté fribourgeois fixant les modalités du recouvrement des créances d’entretien et du versement d’avances du 14 décembre 1993, RSF 212.0.22).
En revanche, dans un autre canton, l’aide au recouvrement prend fin lorsque la personne débitrice peut être considérée comme durablement insolvable, notamment lorsque l’arriéré des contributions d’entretien est égal à 24 mensualités (art. 8 al. 4 de l’arrêté neuchâtelois du 8 juin 1998 concernant le recouvrement et l’avance des contributions d’entretien; RSN 213.221.1).
Or, selon le nouveau droit, l’office spécialisé pourra notamment mettre fin à l’aide au recouvrement dans deux hypothèses: lorsque le recouvrement des contributions d’entretien s’avère impossible, mais en tous les cas une année après le dernier essai de recouvrement resté sans succès (art. 16 al. 2 lettre b OAiR) ou lorsque la personne débitrice remplit régulièrement et intégralement son obligation d’entretien depuis une année (art. 16 al. 2 lettre c OAiR).
Dans le premier cas de figure, il s’agira de déterminer quand l’office spécialisé sera autorisé à mettre fin à son intervention, en se référant en particulier à une attestation du service social ou à une attestation fiscale (cf. rapport explicatif du 6 décembre 2019, COO.2180.109.7.223720 / 232.1/2016/00014, p. 50).
De même, si la poursuite introduite contre la personne débitrice aboutit à un acte de défaut de biens, l’office spécialisé pourrait aussi mettre un terme à son intervention, si l’absence de biens apparaît durable (cf. ibidem).
On peut donc partir de l’idée qu’un dispositif semblable à celui qui est actuellement en vigueur dans le canton de Neuchâtel restera conforme au droit fédéral.
Si le nouveau droit fait preuve d’un certain pragmatisme, dans la mesure où il évite de devoir poursuivre des démarches d’encaissement vouées à l’échec, il laisse en revanche la personne créancière des contributions d’entretien suivre elle-même l’évolution de la situation financière de la personne débitrice, en vue d’entreprendre, ensuite, de nouvelles démarches d’encaissement, le cas échéant.
Compte tenu du nouveau droit d’entretien de l’enfant entré en vigueur le 1er janvier 2017, il aurait été possible, par exemple, de maintenir l’aide au recouvrement pendant au moins cinq ans au-delà du dernier essai de recouvrement infructueux, ce qui permettrait le cas échéant le dépôt d’une nouvelle demande d’aide au recouvrement, après avoir pu obtenir le versement du montant correspondant à l’entretien convenable de l’enfant pendant les cinq dernières années (art. 286a al. 1 CC).
Quant à l’autre cas de figure, soit lorsque la personne débitrice remplit régulièrement et intégralement son obligation d’entretien pendant au moins une année, la solution offerte par le nouveau droit apparaît raisonnable.
Toutefois, il demeure regrettable que la nouvelle ordonnance fédérale n’impose pas une durée minimale de l’aide au recouvrement, dans la mesure où la reprise des paiements réguliers de la personne débitrice ne dépend pas seulement de sa bonne volonté, mais aussi et le plus souvent de sa situation financière, laquelle peut beaucoup évoluer dans le temps.
6. Conclusion
Malgré la grande liberté de manœuvre qui est laissée aux cantons dans un domaine finalement assez proche de l’aide sociale, la nouvelle ordonnance fédérale du 6 décembre 2019 comporte plusieurs éléments d’harmonisation des pratiques cantonales, en particulier en ce qui concerne les prestations minimales d’aide au recouvrement et son entrée en matière consensuelle, ainsi que la concrétisation de la possibilité de saisir les avoirs de la prévoyance professionnelle pour obtenir le paiement des contributions d’entretien impayées.
Toutefois, vraisemblablement en raison des spécificités cantonales en matière de prestations sociales, il apparaît que les efforts d’harmonisation en matière d’aide au recouvrement des contributions d’entretien ne vont pas provoquer de changements importants dans la plupart des cantons.
Cela dit, il n’est malheureusement pas exclu que certains cantons diminuent la durée de leurs prestations au titre de l’aide au recouvrement, notamment en cas d’insolvabilité durable de la personne débitrice.
Enfin, il faut espérer que certains cantons ne deviennent pas plus restrictifs en ce qui concerne le droit aux avances de contributions d’entretien, dans la mesure où cette prestation est étroitement liée à l’aide au recouvrement de ces mêmes contributions. y