Un entrepreneur principal qui confie certains travaux à un sous-traitant basé dans un pays de l’UE, c’est fréquent, surtout dans la construction. En toute logique, il a donc été décidé, en 2012, que le premier serait solidairement responsable si le second ne respectait pas les conditions minimales de travail et de salaire en vigueur en Suisse. Inscrite dans la loi sur les travailleurs détachés, cette règle est venue renforcer les mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes.
En 2018, on est obligé de déchanter. Car cette responsabilité solidaire est difficile à mettre en pratique. Preuve en est l’affaire des ouvriers polonais payés 8 euros de l’heure sur un chantier des HUG. Le Tribunal genevois des prud’hommes a jugé que l’entreprise principale, Lindner Fassaden GmbH, n’a pas fait preuve de la diligence nécessaire, car elle a négligé de contrôler le respect des conditions de travail par le sous-traitant. Mais elle ne doit répondre que de manière subsidiaire, prévoit la loi:
les employés sont priés d’agir en justice d’abord en Pologne, au siège du sous-traitant.
Après trois ans de procédure en Suisse, il faut donc recommencer en Pologne, et, en cas d’échec, rouvrir action en Suisse, à moins qu’il ne faille encore faire un détour par l’Allemagne, siège de l’entrepreneur principal… Dans cette affaire, les HUG ont heureusement avancé la majeure partie des salaires dans l’attente de la résolution du litige.
Les contraintes excessives posées par la loi ne vont pas faciliter le travail des inspecteurs chargés de faire respecter les mesures d’accompagnement à la libre circulation. Alors que, sur ce chapitre, le bilan n’est déjà pas très rose: en 2016, un quart des entreprises contrôlées ayant leur siège dans l’UE avaient enfreint les dispositions salariales helvétiques. Et le secteur de la construction est particulièrement touché, avec un taux d’infractions de 35% (les contrôles étant toutefois effectués sur la base d’un soupçon).
Le Seco en conclut néanmoins que les mesures d’accompagnement ont fait leurs preuves: en 2016, 2453 amendes et 741 interdictions de prester en Suisse ont été prononcées. Cela n’empêche pas l’autorité fédérale d’annoncer que le nombre minimum de contrôles annuels passera de 27 000 à 35 000.
Quant à la responsabilité solidaire susmentionnée, elle devrait ressurgir à Berne via une initiative parlementaire réclamant la suppression de la règle de la subsidiarité. Mais le chantier politique qui vient de s’ouvrir nécessitera sans doute l’intervention de nombreux sous-traitants…