Le 1er janvier 2007, la nouvelle partie générale du Code pénal est entrée en vigueur après une vingtaine d’années de travaux préparatoires. Initiée en 1983, cette révision a résulté de nombreux débats et compromis. Dans le domaine du droit des sanctions, elle poursuivait, avant tout, les objectifs d’élargir le choix des sanctions et de réduire à la portion congrue les courtes peines privatives de liberté pour les remplacer par des peines pécuniaires (système des jours-amende) et du travail d’intérêt général1. L’introduction de ces nouvelles peines pécuniaires ainsi que leur primauté sur les peines privatives de liberté répondaient à plusieurs objectifs: elles permettaient, notamment, de décharger les prisons et d’éviter d’entraver la resocialisation des auteurs d’infractions de faible gravité en les coupant de leurs liens professionnels, sociaux et familiaux, et apparaissaient économiquement moins coûteuses. Elles auraient ainsi permis de rapporter quelque 160 millions de francs par an à l’ensemble des collectivités publiques suisses2.
En droit positif, la durée de la peine privative de liberté est en règle générale, de six mois au moins (art. 40 CP). La peine privative de liberté d’une durée inférieure est, en principe, remplacée par une peine pécuniaire, qui peut aller jusqu’à 360 jours-amende (art. 34 al. 1 CP). Le juge ne peut prononcer une peine privative de liberté de moins de six mois que si les conditions du sursis à l’exécution de la peine ne sont pas réunies et s’il y a lieu d’admettre que ni une peine pécuniaire ni un travail d’intérêt général ne peuvent être exécutés, et il ne peut dans ce cas prononcer qu’une peine ferme (art. 41 al. 1 CP). Il doit alors motiver son choix «de manière circonstanciée» (art. 41 al. 2 CP).
Nombreuses critiques
Dès avant son entrée en vigueur, ce système a fait l’objet de nombreuses critiques, tant dans le milieu des autorités de poursuite pénale que dans celui des juges, des avocats, des politiciens et des médias. Plusieurs interventions parlementaires proposant des modifications ont été déposées3. Les critiques visaient principalement la primauté des peines pécuniaires avec sursis, en mettant en doute leur pouvoir dissuasif et leur efficacité, et en soulignant le caractère trop bienveillant pour les délinquants et humiliant pour les victimes de ce système de peines qualifié d’«homéopathique»4. Les vives critiques véhiculées par les médias ont donné «l’indice d’une perte de confiance de la population dans le droit pénal et dans son effet de prévention générale», la peine pécuniaire avec sursis ne correspondant «pas à la représentation qu’on se fait d’une punition», alors que, «pour être crédible et efficace, le droit pénal doit bénéficier de la confiance de la population», qui «doit croire en l’impact des peines»5.
En réponse à ces critiques, le projet du Conseil fédéral avait pour but de consacrer «le recul de la peine pécuniaire, en supprimant sa primauté sur la peine privative de liberté et en interdisant le sursis»6.
La peine privative de liberté, fortement dominante jusqu’en 2006 (62% des condamnations) a été reléguée à l’arrière-plan dans les années qui ont suivi (10% des condamnations)7. Le but de la réforme est de lui redonner de l’importance, notamment pour assurer une meilleure prévention de la récidive chez certains délinquants, dont les personnes très aisées, et pour éviter d’éveiller chez des victimes l’impression que même la violation de biens juridiques hautement personnels puisse être rachetée par une somme d’argent8. En ce sens, la révision réintroduit la possibilité généralisée de prononcer des courtes peines privatives de liberté, à partir de trois jours (art. 40 al. 1 de la nouvelle loi).
Pas de libre choix
Le projet du Conseil fédéral prévoyait d’abroger l’art. 41 CP, et de laisser ainsi au juge le libre choix de prononcer une courte peine privative de liberté ou une peine pécuniaire, sans fixer aucun critère pour le guider. Après avoir dû désigner une conférence de conciliation, le Parlement a finalement adopté une version modifiée de l’art. 41, qui prévoira dorénavant que «le juge peut prononcer une peine privative de liberté à la place d’une peine pécuniaire (a) si une peine privative de liberté paraît justifiée pour détourner l’auteur d’autres crimes ou délits» ou «(b) s’il y a lieu de craindre qu’une peine pécuniaire ne puisse pas être exécutée» (art. 41 al. 1) et qu’«il doit motiver le choix de la peine privative de liberté de manière circonstanciée» (art. 41 al. 2). La modification de cette disposition, plutôt qu’une abrogation, répond notamment au souci d’éviter l’introduction d’une «justice à deux vitesses qui impliquerait que certaines catégories sociales iraient en prison, tandis que d’autres, plus intégrées socialement et financièrement plus à l’aise, se contenteraient de payer des jours-amende»9.
Le texte finalement retenu relativise donc la réintroduction de la peine privative de liberté de courte durée, puisqu’il maintient le principe de la primauté des peines pécuniaires et pose des critères qui limitent la liberté de choix du juge, tout en lui laissant une certaine marge de manœuvre.
Comme l’avait proposé le Conseil fédéral, la peine pécuniaire sera, à l’avenir, limitée à 180 jours-amende au lieu de 360 (art. 34 al. 1). Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle partie générale du Code pénal, elle a été la peine la plus fréquemment infligée. En 2007, elle représentait déjà 85% des peines prononcées et était dans la très grande majorité des cas assortie du sursis10. Le projet du Conseil fédéral prévoyait la suppression du sursis, dans le but d’accroître l’effet préventif de la peine. Le Parlement a préféré maintenir la possibilité d’octroyer le sursis (art. 42 al. 1), afin d’éviter de mettre le juge face à un dilemme entre prononcer une peine pécuniaire sans sursis ou une peine privative de liberté avec sursis11.
Surveillance électronique et travail d’intérêt général
La loi institue aussi, principalement dans le but d’éviter l’engorgement du système carcéral, la possibilité d’exécuter les peines avec le port d’un bracelet électronique en lieu et place de l’incarcération dans un établissement pénitentiaire, système connu sous le nom de «surveillance électronique» (art. 79b). La nouvelle disposition reprend, pour l’essentiel, les modalités des essais qui sont en cours dans sept cantons, dont Berne, Vaud et Genève12. La surveillance électronique pourra notamment être ordonnée au titre de l’exécution d’une peine privative de liberté de 20 jours à 12 mois (art. 79b al. 1 lit. a). Comme le précise le Conseil fédéral, «c’est la durée de la peine prononcée qui est déterminante et non le solde de la peine après déduction du temps de détention avant jugement ou de détention pour des motifs de sûreté. (...) En effet, il ne faut pas que les auteurs d’infractions graves qui se trouvent ne plus avoir que moins d’un an de détention à purger puissent profiter de l’exécution sous surveillance électronique.»13 Celle-ci ne pourra être ordonnée que s’il n’y a pas lieu de craindre que le condamné s’enfuie ou commette d’autres infractions» (lit. a), s’il dispose d’un logement fixe (lit. b), s’il exerce une activité régulière pendant au moins 20 heures par semaine ou s’il est possible de l’y assigner (lit. c) et si les personnes adultes faisant ménage commun avec lui y consentent (lit. d).
Le travail d’intérêt général, quant à lui, ne sera plus conçu dans le nouveau droit comme une peine (art. 37 CP) mais comme une simple forme d’exécution (art. 79a). La loi prévoit qu’elle ne sera possible que «s’il n’y a pas lieu de craindre que le condamné s’enfuie ou commette d’autres infractions» et s’il en fait la demande. La mesure ne concerne que les peines pécuniaires, les amendes et les peines privatives de liberté de six mois au plus ou les peines dont le solde est de six mois au plus après imputation de la détention avant jugement (al. 1). Comme en droit positif, le travail d’intérêt général, non rémunéré, devra être accompli au profit d’institutions sociales, d’œuvres d’utilité publique ou de personnes dans le besoin
(al. 3). Quatre heures de travail d’intérêt général correspondront à un jour de peine privative de liberté ou à un jour-amende de peine pécuniaire
(al. 4). Le travail devra être accompli dans un délai de deux ans au plus ou d’un an au plus pour une amende (al. 5).
Expulsion judiciaire
Avant 2007, le Code pénal prévoyait la possibilité d’expulser judiciairement de Suisse un étranger ayant commis une infraction à titre de «peine accessoire». La réforme prévoit le rétablissement de l’expulsion judiciaire, sous forme de mesure (art. 67f). Dans un jugement au fond, le juge pourra ordonner une expulsion allant de trois à quinze ans, à condition que la personne concernée ait été condamnée à une peine de privation de liberté de plus d’un an ou ait fait l’objet d’une mesure au sens des art. 59 à 61 ou de l’art. 64 CP (al.1). La loi règle aussi les conséquences d’une récidive de la personne expulsée: si elle commet une nouvelle infraction et est à nouveau condamnée à une telle peine avant que l’expulsion n’ait pris effet ou pendant qu’elle a effet, le juge pourra prononcer une expulsion à vie en remplacement de l’expulsion de durée limitée qui avait été prononcée (al. 3).
La «révision de la révision» du droit des sanctions, amorcée seulement quelques années après l’entrée en vigueur de la révision totale de la partie générale du Code pénal et la mise en application du nouveau droit des sanctions, est d’une précocité telle qu’elle constitue un «fait historique et politique très rare dans le système juridique suisse»14. Seule la pratique permettra d’évaluer l’impact réel de la réforme finalement adoptée par le Parlement (dont la date d’entrée en vigueur n’est pas encore connue), selon la proportion de courtes peines privatives de liberté qui seront effectivement prononcées par les juges.