Yves Donzallaz nous accueille dans la salle de lecture du Tribunal fédéral en raison du réaménagement actuel du bureau présidentiel. Un lieu chargé d’histoire avec ses portraits d’anciens juges fédéraux. Sans nul doute, le juge a d’ores et déjà laissé son empreinte en tant que président sans parti.
Un juriste chevronné
Yves Donzallaz a grandi à Siviriez, à Fribourg. Son père travaillait en tant que chef de l’office cantonal de la protection civile et sa mère était femme au foyer. C’est d’abord son frère, devenu ensuite juge au Tribunal cantonal fribourgeois, qui joue un rôle d’éclaireur en se lançant dans le droit.
Après des études à l’Université de Fribourg, il obtient les brevets d’avocat et de notaire dans le canton du Valais. Passionné par la science juridique, il complète sa formation par une thèse de doctorat portant sur la procédure civile. Une thèse d’agrégation et un doctorat honoris causa délivré par l’Université de Saint-Gall couronneront ce parcours académique. Yves Donzallaz enseignera le droit à l’Université de Lausanne et à Chambéry. Ce n’est pas pour autant qu’il se lancera corps et âme dans une carrière académique: «La recherche m’intéressait plus que la formation académique».
Malgré une activité professionnelle très prenante, le juriste a rédigé une quinzaine d’ouvrages, sans compter les nombreux articles publiés dans des revues spécialisées. Appréciant l’étude des sujets interra incognita, il s’est ainsi intéressé au droit agraire et médical ou à la Convention de Lugano. Un large spectre qui surprend et démontre que le juriste aime sortir des sentiers battus et se lancer de nouveaux défis intellectuels. Une propension qui l’a exposé à des critiques avant son élection. Des questions sur son investissement professionnel sont venues troubler la période préélectorale. Yves Donzallaz coupe court à ces remarques: il travaille constamment, week-end et soirées compris. Et d’ajouter qu’il a rédigé sa thèse de doctorat tout en continuant d’exercer son métier d’avocat.
Peu intéressé par la politique
Contrairement à la majeure partie de ses collègues, Yves Donzallaz n’a que peu pratiqué en tant que juge ou greffier avant son entrée à la cour suprême, exception faite d’expériences en tant que greffier, juge d’instruction et procureur dans la justice militaire et de greffier pour un juge de commune. Pour ainsi dire, peu d’éléments permettent de conclure que le juriste se prédestinait à assumer la charge de juge fédéral.
Lorsque l’UDC l’approche pour qu’il dépose sa candidature au poste de juge suppléant sous les couleurs du parti, il saisit la balle au vol et y adhère davantage par opportunité que par conviction. Après deux essais infructueux, il est finalement élu en 2008.
C’est ainsi que débute son histoire avec le premier parti de Suisse. Il n’en demeure pas moins que, pour le juge, la liberté d’esprit demeure essentielle. Il se remémore une conférence donnée à l’occasion de l’assemblée générale de la section valaisanne de l’UDC, deux ans après son élection au Tribunal fédéral: «J’ai décidé de discuter de l’apport considérable de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur le droit suisse. Je n’ai plus jamais été invité». Un évènement qui signe les prémices d’un divorce. Un détachement qu’il marque en précisant avoir rapidement fait l’impasse sur la rencontre annuelle avec les parlementaires fédéraux, un évènement trop politisé à son avis.
Des critiques de tous bords
Le juge est habitué aux attaques. Il a d’abord essuyé nombre de critiques après le dépôt de sa candidature au poste de juge fédéral sous la bannière UDC. Logiquement, tant la gauche que le centre valaisans ont vu d’un mauvais œil la possible venue d’un membre de l’UDC à la cour suprême. Son propre parti l’a ensuite critiqué, allant jusqu’à proposer de ne pas le réélire. En cause, des jugements en contradiction avec la ligne du parti.
Yves Donzallaz s’est toutefois attaché à son indépendance malgré les vents contraires. En déposant sa démission lorsqu’il a été appelé à présider le Tribunal fédéral, l’homme a rappelé qu’il décide de son propre destin tout en prenant en compte l’intérêt supérieur de l’institution. Sa démission du parti agrarien a permis aussi de rassurer ses collègues et le Parlement quant à sa faculté d’assumer la charge de président du Tribunal fédéral: «J’ai d’abord voulu éviter un grand drame national avec un conflit entre les pouvoirs. Puis, en tant que président, je dois pouvoir travailler avec tout le monde».
Une appartenance politique à relativiser
Le président du Tribunal fédéral se plaît dans son costume de juge sans étiquette, comme si sa démission l’avait délesté d’un poids. Un état d’esprit peu surprenant si l’on prend en compte son lourd passif avec l’UDC.
Yves Donzallaz illustre parfaitement les questionnements sur l’indépendance des juges puisque son parti avait motivé sa non-réélection en remettant en cause ses décisions et en jouant dangereusement avec la séparation des pouvoirs. Malgré cette amère expérience, le président du Tribunal fédéral soutient l’élection des juges par le Parlement. Un système qui apporte de la légitimité démocratique aux juges fédéraux.
Pour le juge fédéral, il sera toutefois nécessaire d’évoluer avec son temps pour répondre aux standards internationaux. Yves Donzallaz estime que les aptitudes requises pour exercer la fonction de juge, soit les compétences techniques, l’indépendance et l’aptitude à travailler au sein d’un collège, priment. L’appartenance politique des juges serait surestimée, d’autres éléments étant à même d’influer sur la prise de décision comme l’expérience personnelle.
Le juge est au fait que la composition des cours, surtout quant à l’appartenance politique des juges, reste importante pour l’image du tribunal. Raison pour laquelle il est important de veiller à ce qu’une décision ne soit pas prise par un collège majoritairement constitué par des juges d’un seul parti.
Le juge souligne l’inadéquation du respect de trop nombreux critères de sélection avec le fonctionnement du Tribunal fédéral. Yves Donzallaz relève toutefois que la diversité permet de mieux appréhender des sensibilités comptant dans les décisions, comme dans les affaires ayant une portée culturelle, à l’instar des appellations d’origine contrôlée. Et de citer le cas de la Damassine, où les juges germanophones n’ont pas de suite pleinement saisi l’importance de son origine jurassienne.
Des chantiers en phase de réalisation
Dans son rôle de président, le juge Donzallaz devra relever de nombreux défis. Il en sera ainsi du maintien des bonnes relations avec les Commissions de gestion du Parlement, mises à mal après la remise du rapport de la commission administrative du Tribunal fédéral sur les incidents survenus au Tribunal pénal fédéral.
La réorganisation du tribunal occupera sans nul doute l’agenda du nouveau président, après l’augmentation des effectifs à 40 juges et la prochaine création d’une nouvelle cour de droit pénal. Yves Donzallaz se réjouit de ces changements qui permettront de décharger l’actuelle cour de droit pénal et d’augmenter la vitesse de traitement des dossiers. Et de rappeler que des mesures de rééquilibrage des matières entre les cours ont été prises avant que le Parlement ne décide d’augmenter le nombre de juges, comme le transfert du droit fiscal à Lucerne. Le jurisconsulte ajoute que ces mesures organisationnelles sont le fruit d’un choix validé démocratiquement. Se distanciant de tout fonctionnement autocratique, le président se décrit plutôt comme un facilitateur amené à expliquer l’intérêt général du tribunal.
Le nouveau président devra jouer son rôle d’équilibriste non seulement au tribunal mais dans sa vie privée, où il devra trouver une place pour sa famille. Il partage la passion de l’escrime avec sa fille, qui s’adonne à la compétition. Et ce tout en assurant l’entretien de sa grande propriété. ❙