Durant 14 ans, elle a secondé le juge valaisan Jean Zermatten à la tête de l’Institut international des droits de l’enfant (IDE), une fondation de droit privé suisse sise dans les locaux de l’Institut universitaire Kurt Bösch (IUKB), à Bramois (VS). Et, depuis le 1er janvier dernier, elle lui a succédé aux commandes de l’IDE, qui vise à mieux faire appliquer la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant en formant à ces droits, en Suisse et à l’étranger, des professionnels travaillant avec et pour les enfants. Un geste important, juge Paola Riva Gapany, «car 85% des personnes qui travaillent dans ce domaine sont des femmes, mais on en compte encore peu à la tête des institutions». Née à Berne d’un père tessinois et d’une mère italienne, francophone, elle a été «très rapidement sensibilisée à la question des minorités et de l’intégration».
«Petits droits de l’homme»
En Suisse, la situation des droits de l’enfant pourrait être meilleure, juge la nouvelle directrice de l’IDE, qui estime que le retard mis par la Confédération à établir des rapports à l’intention du Comité des droits de l’enfant de l’ONU est tout bonnement «impossible». Ainsi ce comité a-t-il dû traiter, les 21 et 22 janvier des 2e, 3e et 4e rapports combinés de la Suisse, concernant les années 2007 à 2015. «Ce fait a mis en lumière une chose importante: les droits de l’enfant sont encore considérés comme de «petits droits de l’homme», et cela se traduit par le peu de moyens que la Confédération consacre à leur application. Il y a certes 26 cantons, donc 26 manières de comprendre les droits de l’enfant, mais on devrait attirer l’attention des médias sur le fait qu’un tel retard n’est pas normal. Le contre-rapport rédigé par les ONG défendant les droits des enfants peut aussi faire bouger les choses. Il faudrait également mieux préciser qui a la responsabilité du rapport, car, actuellement, c’est le Département des affaires étrangères (DFAE) qui le rédige, mais c’est l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) qui est compétent.»
Mêmes manques
La Suisse, de plus, maintient depuis des années des réserves à la Convention, sur la question du regroupement familial (non garanti à tous les requérants d’asile), sur la séparation entre autorité d’instruction et autorité de jugement en droit pénal des mineurs et sur la séparation des mineurs et des adultes privés de liberté (les cantons devront l’avoir réalisée à la fin de 2016): «Dans ces domaines, on va plus que lentement. Il existe insuffisamment d’établissements spécifiques pour les délinquantes mineures. La question de la réunification familiale des requérants d’asile est aussi choquante. On a l’impression de répéter, année après année, le même constat de manquements; ainsi, la nécessité d’agir pour prévenir le suicide des jeunes dans notre pays était déjà mentionnée en 2002. La Confédération annonce maintenant un plan national de prévention, mais on ignore quelles priorités ont été fixées clairement pour agir dans le domaine des droits de l’enfant. Une politique claire devrait être définie.»
Autre tendance relevée par le comité: la Suisse substituerait à la notion d’intérêt supérieur de l’enfant, figurant dans la convention, celle de bien de l’enfant, plus limitée. «Que cela soit fait consciemment ou pas, cela démontre une attitude paternaliste et protectrice qui n’est pas celle de l’enfant acteur participant à la mise en œuvre de ses droits», relève la directrice.
Ombudsman nécessaire
Dans ce cadre, Paola Riva Gapany, mère de deux garçons de 10 et de 8 ans, trouve que créer un ombudsman pour les droits de l’enfant au niveau fédéral, indépendant et habilité à recevoir des plaintes en cas de violation, comme le demande une motion de la conseillère nationale Christine Bulliard-Marbach (14.3758), «est clairement une bonne idée, qui permettrait aux enfants de faire valoir directement leurs droits en saisissant ce médiateur. C’est aujourd’hui une lacune en Suisse, alors qu’un tel poste existe dans les pays nordiques, en France, en Belgique et dans les pays latino-américains. Le Conseil fédéral a tort de penser qu’il est suffisant de coordonner ce qui existe déjà; on peut en revanche s’en inspirer pour créer une instance fédérale».
Formations internationales
La directrice, dont les voyages est la passion, apprécie de pouvoir suivre la mise sur pied de formations sur un plan international, comme le Programme de certificat en protection des droits de l’enfant démarrant du 18 au 23 mai à Dakar avec le Centre de formation judiciaire et le Centre interfacultaire des droits de l’enfant de l’Université de Genève. «Nous croulons sous les dossiers. Trente-cinq professionnels de l’enfance provenant de quinze pays d’Afrique de l’Ouest en bénéficieront.» Epouse de magistrat, elle est consciente de la nécessité d’améliorer la formation des juges dans ce domaine, que ce soit à l’étranger (un diplôme entièrement en ligne consacré à la justice des mineurs et destiné à l’Amérique latine est en préparation avec Terre des hommes) ou en Suisse (la quatrième volée du certificat pour juges et avocats est en préparation).
Mais la formation peut aussi toucher les enseignants, comme c’est le cas en Tchéquie «où il est nécessaire de faire comprendre que les enfants roms ont aussi leur place à l’école». En Suisse, Paola Riva Gapany, qui a raconté dans un ouvrage1 comment elle a accompagné dans leurs difficultés une mère et son fils handicapé, s’étonne de ce que «des cantons comme le Valais et le Tessin connaissent depuis 40 ans l’intégration des enfants en situation de handicap à l’école, alors que, en Suisse alémanique, on n’entre pas en matière. Cela est grave.»
Thèmes prioritaires
Les questions liées à la santé (excision, mariages forcés, abus de prescription de Ritaline «sur lesquels la Confédération devrait mener une enquête touchant aussi les pédiatres privés et les hôpitaux universitaires») sont d’ailleurs des thématiques prioritaires que la nouvelle directrice de l’IDE entend développer. «Tout comme le droit à l’égalité des chances dans la pratique du sport. Car tous les enfants n’ont pas envie de devenir des champions.»