Les modifications votées restent cependant modestes.La Hongrie doit assouplir une loi très restrictive pour les médias
La présidence semestrielle hongroise de l'Union européenne a démarré le 1er janvier dans la zizanie. La loi très controversée sur les médias, adoptée à la va-vite quelques jours avant Noël par le parlement hongrois, s'est attirée des critiques de toutes parts. Même le Premier ministre Viktor Orbán a reconnu que «nous avons pris un mauvais départ, alors que nous ne l'aurions pas souhaité».
Selon Judit Bayer, juriste spécialiste du droit des médias, «le principal problème est que la nouvelle loi change la structure de la supervision des médias nationaux et regroupe l'agence de presse MTI, la radio (MR) et la télévision (MTV) nationales, ainsi que la télévision par satellite (Duna TV) dans une même entité, appelée «Autorité nationale des médias et des communications» (NMHH). Elle renforce le contrôle institutionnel des médias et limite la liberté de presse. Or, il faut avoir des raisons importantes pour restreindre la liberté de la presse. Depuis que les bureaux de censure ont cessé d'exister, il n'y a plus d'agence de contrôle de la presse dans le monde civilisé. Seule la presse électronique est contrôlée par les autorités, la presse écrite n'est soumise qu'au tribunal et au droit commun.»
Après l'adoption de ses deux premiers piliers, en juillet et en octobre, la nouvelle législation sur les médias a été votée par 256 voix contre 81 à 1 heure du matin, le 21 décembre, par l'Assemblée nationale hongroise largement dominée par le Fidesz, le parti de centre droit au pouvoir. Le président hongrois, Pál Schmitt, l'a promulguée le 30 décembre et elle entrée en vigueur le 1er janvier.
Au départ, le gouvernement a persisté à maintenir sa loi en dépit des critiques tant nationales qu'internationales. Le Ministère hongrois de l'administration et de la justice a même diffusé un document réfutant point par point les griefs adressés à la loi. Pour sa défense, il a cité des exemples de lois sur les médias d'autres Etats membres de l'Union, semblables ou comparables aux mesures hongroises.
Après plusieurs semaines de conflit, au début de février, le gouvernement hongrois a adouci le ton, cédant à la pression européenne et finissant par accepter certains amendements. Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne chargée de la stratégie numérique, avait exprimé des «doutes sérieux» quant à la conformité de la loi dans une lettre adressée le 21 janvier à Budapest. Dans sa réponse, Tibor Navracsics, ministre de l'Administration et de la Justice, a envoyé le 31 janvier un projet d'amendements possibles. Il s'agissait d'«un premier pas en vue d'assurer la pleine conformité de la loi hongroise sur les médias avec tous les aspects du droit européen, y compris la Charte des fondamentaux», disait le porte-parole de la Commission européenne.
Une loi «rejeton» du Fidesz
La loi sur les médias est indissociable de l'homme fort de la Hongrie, le premier ministre Viktor Orbán, aujourd'hui âgé de 47 ans. En 1989, lorsque le changement du régime introduit la démocratie en Hongrie, il est encore étudiant en droit. Remarquable orateur, il devient très rapidement le leader de l'opposition et entre en politique en fondant le Parti Fidesz, l'Alliance des jeunes démocrates. En 1998, il est le plus jeune premier ministre d'Europe, lorsque le Fidesz remporte les élections. Après quatre ans de règne, il est chassé du pouvoir pendant huit ans et n'y revient qu'en 2010.
C'est une revanche. Lors des dernières élections législatives, en avril 2010, le Fidesz gagne 53% des votes, qui lui permettent d'avoir 68% des députés au Parlement. Depuis, il prétend incarner la volonté de tout le peuple hongrois et peut faire voter sans difficulté toutes les lois utiles pour affirmer son pouvoir. Les huit ans d'absence au plus haut commandement lui ont donné l'envie de renforcer son pouvoir politique avec une rapidité et une détermination sans précédent.
Le parti place un de ses anciens députés le 28 juin à la Cour des comptes et, le 29 juin, c'est un ex-eurodéputé appartenant au Fidesz, Pál Schmitt, qui est nommé président de la République. Puis, en fin d'année, les décisions tombent: après avoir restreint les pouvoirs de la Cour constitutionnelle, le 19 novembre, c'est un proche du Fidesz qui est nommé nouveau procureur de la République, le 7 décembre. Depuis son élection, Viktor Orbán a fait déjà modifier dix fois la Constitution.
Parallèlement, de nombreux fonctionnaires de la télévision et de la radio nationales doivent céder leurs places à de nouveaux venus. C'est dans cette ambiance de reprise en main qu'apparaît la nouvelle loi hongroise sur les médias.
Un tout-puissant Conseil des médias
Le 14 janvier, une grande mobilisation réunit plus de 10 000 personnes devant le Parlement. Les manifestants s'en prennent à la nouvelle Autorité nationale des médias et des communications (NMHH), organe de régulation contrôlé par le gouvernement au pouvoir. A la tête de cette
autorité, une proche du premier ministre, Annamária Szalai, ancienne députée du Fidesz, nommée d'emblée pour une période de neuf ans. Baptisée par les médias hongrois «la nouvelle
tsarine», ce patron de presse a tout d'abord été rédactrice en chef d'un magazine de charme hongrois.
Au Conseil des médias (MT), partie intégrante de la NMHH, le Fidesz au pouvoir a délégué ses propres membres ou ses proches, nommés également pour neuf ans. Le tout-puissant Conseil des médias a un très large pouvoir de contrôle. Comme Annamária Szalai le préside aussi, elle détient un pouvoir décisionnaire absolu au sein de la nouvelle autorité de régulation. La nomination pour neuf ans permet d'exercer son influence sur les médias même au-delà de deux cycles gouvernementaux.
Des paragraphes critiqués
La loi oblige les médias publics comme privés (y compris les blogs audiovisuels et sites de vidéo à la demande) à pratiquer une information «équilibrée». (Mtv.12§) Cela signifie que tout commentaire ou opinion publiés doivent aussi donner les avis divergents, sous peine d'amendes.
Ils doivent corriger les informations jugées «erronées» par le Conseil des médias, au risque de se voir infliger de très lourdes amendes financières «pour manque d'objectivité politique» ou «informations partiales». Les amendes pourraient atteindre 700000 euros, pour ce qui est de la télévision et la radio, et 90000 euros, pour les journaux et les sites d'information sur internet. La loi n'introduit pas la censure, mais encourage fortement l'autocensure. Il est évident qu'aucun organe de presse n'est capable des payer des amendes aussi fortes sans mettre la clé sous le paillasson.
Tous les types de médias (y compris les médias sur internet, les blogueurs) ont l'obligation de s'enregistrer auprès de la NMHH. (Mtv. 41§). Cette disposition est contestée comme portant une
restriction disproportionnée à la liberté d'établissement et du commerce.
Dans l'intérêt de la sécurité nationale, pour la protection de l'ordre public ou pour le dépistage des affaires criminelles, les journalistes peuvent devoir dévoiler leurs sources et soumettre leurs articles avant publication, lorsque la NMHH l'exigera. La définition de ces «intérêts» est tellement floue qu'elle ne donne aucune garantie à la protection des sources, critiquent ses détracteurs. (Smtv.§ .6)
La loi prévoit des amendes en cas d'outrage à l'encontre d'individus, de nations, de communautés, de minorités, mais aussi des majorités nationales, ethniques, linguistiques ou autres ainsi que des groupes ecclésiastiques ou religieux. La loi, en protégeant n'importe quelle minorité, mais aussi toutes les majorités, couvre en fait la population dans son ensemble. On n'oserait plus donner un avis quelconque sans risquer d'outrager quelqu'un, ce qui représenterait la fin de la liberté d'expression, affirment les critiques (Mtv. §17).
L'assimilation de la presse audio-visuelle, de la presse écrite et des nouvelles figurant sur internet ou sur des blogs fait de cette loi hongroise un cas unique en Europe.
Modifications adoptées
Finalement, le 16 février 2011, la Hongrie a trouvé un accord avec la Commission européenne pour modifier sa législation sur les médias. Quatre paragraphes ont été changés.
• La «couverture équilibrée» sera appliquée de manière «proportionnée» et ne sera demandée qu'aux médias de masse, cela afin d'empêcher des sanctions excessives.
• Il ne faudrait plus enregistrer les médias à l'avance auprès de la NMHH, mais dans les 60 jours suivant le début des diffusions. D'autre part, les blogueurs audiovisuels et les services de télévision à la demande ne seront pas concernés par l'enregistrement, alors qu'ils devaient l'être à l'origine.
• Les médias audiovisuels installés dans d'autres pays de l'UE ne pourront plus être sanctionnés en cas d'infraction à la loi.
• La notion d'«outrage» disparaît de la loi. Seules seront condamnées l'incitation à la haine et la discrimination.
L'opposition hongroise juge insuffisant l'accord conclu avec Bruxelles. «Quatre paragraphes
seront modifiés dans une loi qui en comporte 226», a souligné, le 17 février le journal Népszabadság, journal hongrois de centre gauche. Les questions les plus sensibles, comme la composition du Conseil des médias, restent inchangées, le contrôle politique sur l'autorité de surveillance n'est pas modifié.
Le 7 mars, les quatre modifications de la loi ont été finalement adoptées par le Parlement par 258 voix pour, 65 voix contre et 38 abstentions. Neelie Kroes, présente dans les tribunes, a manifesté sa satisfaction: «J'apprécie beaucoup le comportement du gouvernement, il a fait ce qu'on lui avait demandé.» Mais elle a néanmoins été étonnée qu'il n'y ait eu aucun débat politique ni avant ni après les votes. «Nous allons suivre de près comment le pouvoir politique va exécuter la loi en pratique» a-t-elle ajouté.