Une lettre du Népal
La visite que j'ai faite à la fin de 2010 en Suisse, à l'invitation des Peace Brigades International (PBI), était pour moi une grande première puisque c'est la première fois que je sortais de mon pays, le Népal. J'y travaille depuis cinq ans en tant qu'avocat de l'ONG Advocacy Forum et c'est aussi au Népal que j'ai fait mes études de droit; les universités y sont bonnes, mais il est difficile d'y faire un master, comme ce serait mon souhait, car il faut être soutenu par le pouvoir et disposer d'importants moyens financiers.
Aujourd'hui, quelque 115 personnes travaillent avec moi à Advocacy Forum, et notre but est de permettre à toute personne au Népal, même s'il s'agit d'une femme ou d'une personne désargentée, d'avoir accès à un tribunal qui puisse juger sa cause de manière équitable. La réalité est, à cet égard, loin d'être satisfaisante, car il règne dans mon pays une culture de l'impunité. Les violations des droits de l'homme y sont nombreuses, parce que les juges ne prennent pas leurs responsabilités au sérieux, ce qui conduit à ce que le public perde confiance en le fonctionnement de la justice et renonce à y avoir recours. Dans le meilleur des cas, les procès traînent en longueur et, dans le pire des cas, les victimes de violations sont menacées gravement jusqu'à ce qu'elles retirent leur plainte.
Les policiers sont, dans le système, ceux qui agissent le moins; il n'y a pas de volonté politique de mettre en œuvre des forces de l'ordre efficaces. Si vous êtes proches du pouvoir politique ou si vous avez de l'argent, vous n'avez de toute manière pas besoin de la police. Si vous êtes pauvres, votre seul recours est de
demander de l'aide à notre organisation. Nous sommes en effet confrontés à des cas où la police elle-même met à mort des manifestants. Dans les cas de meurtres, de disparitions et de tortures dont nous nous occupons, les victimes sont toujours des hommes, les femmes pâtissant par contrecoup de la disparition d'un mari ou d'un soutien de famille. Elles sont aussi parfois victimes de violences sexuelles, mais, dans ce cas, c'est toute la société qui va les rejeter et elles n'oseront pas en parler, pour ne pas être mises au ban de leur communauté. C'est ce qui explique qu'il nous est très difficile de récolter des preuves ou des témoignages dans de tels cas.
Je ne dirais pas que, actuellement, les personnes arrêtées en raison de leurs opinions politiques soient le plus grand problème. De même, on ne peut pas affirmer que mon pays connaisse des élections parfaitement transparentes, mais la situation s'est améliorée depuis la dernière guerre civile, voilà deux ans. Autrefois, la plupart des personnes victimes de telles arrestations étaient des maoïstes, faisant souvent l'objet de tortures, mais aujourd'hui nous connaissons moins de cas de disparitions inexpliquées et davantage de cas d'arrestations illégales ou de mauvais traitements. A la source de ces exactions se trouvent des guérilleros issus de groupes armés, mais certains sont aussi liés aux partis politiques les plus importants du Parlement népalais.
Les activistes des droits de l'homme doivent aussi subir des arrestations illégales, afin de les intimider, comme ce fut le cas de certains de mes collègues. Pour stopper leur action, on a lancé contre eux de fausses accusations et il a fallu une mobilisation populaire pour qu'ils soient libérés. Je travaille moi-même sous stress et j'ai dit à ma femme de surveiller les sorties de mon fils de 5 ans, car je crains qu'il ne soit enlevé, afin de faire pression sur moi ou d'exiger de l'argent.
Kashiram Dhungana, Avocat, il dirige le bureau régional d'Advocacy Forum, l'une des
plus grandes ONG de défense des droits de l'homme au Népal,
dans le district de Bardiya1.
1Le Népal a été examiné au cours de la 11e session du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, le
25 janvier 2011.