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Plaidoyer 6/11
03.12.2011
Dernière mise à jour:
07.10.2013
En octobre dernier, j'étais de retour à Genève, invité à l'occasion des trente ans de Peace Brigades International. En décembre 2010, je m'étais rendu dans cette ville dans le cadre du rapport spécial de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires. J'étais alors le directeur exécutif de l'unité médicolégale indépendante qui, au Kenya, récolte de la documentatio...
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En octobre dernier, j'étais de retour à Genève, invité à l'occasion des trente ans de Peace Brigades International. En décembre 2010, je m'étais rendu dans cette ville dans le cadre du rapport spécial de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires. J'étais alors le directeur exécutif de l'unité médicolégale indépendante qui, au Kenya, récolte de la documentation sur les victimes d'actes de torture. Selon les cas que nous avons recensés sur la base de preuves récoltées, quelque 1600 personnes auraient été victimes d'exécutions extrajudiciaires, mais d'autres activistes des droits de l'homme au Kenya affirment que près de 11 000 personnes auraient disparu. Nous devions assister les rapporteurs de l'ONU lors de leur visite sur place en février 2010, durant laquelle ils devaient rencontrer des victimes, mais aussi des représentants de la police, accusée d'être l'auteur de certaines de ces exécutions extrajudiciaires. Après la parution du rapport, le 10 mars 2010, deux militants des droits de l'homme - dont un avocat - ont été tués par balles. J'ai moi-même été menacé de mort et de devoir subir le même sort. Je me suis rendu à la police, afin de laisser une trace des menaces dont j'avais été l'objet, puis j'ai quitté le pays pour deux semaines. Je devais commencer mes études postgrades en justice transitionnelle à l'Université d'Ulster et cette coupure s'est avérée bienvenue.
Au Kenya, il est fréquent que les forces de sécurité utilisent la torture pour obtenir des aveux et des preuves. Une loi est entrée en vigueur en 2003 pour exclure les preuves obtenues à la suite d'actes de torture de toute production devant la justice, mais cette loi a changé en 2005, et donc la torture n'a pas disparu. Elle s'exerce notamment à l'égard de la population pauvre et des enfants des rues, car ces personnes ne peuvent mandater un avocat et, bénéficiant d'une instruction limitée, elles se trouvent démunies face à ces exactions et ne peuvent obtenir réparation.
L'armée est également en cause pour avoir commis de nombreuses arrestations, actes de torture et meurtres au Mont-Elgon, où la population civile s'est trouvée prise en tenailles entre les violences commises par la guérilla des Sabaot Land Defence Force et la réaction des forces militaires armées. Quelque 2000 cas de tortures et de meurtres ont été documentés par notre unité médicolégale, dont étaient victimes à la fois des miliciens et des personnes innocentes, y compris des enseignants locaux et des officiels.
Le Kenya a certes ratifié le protocole, mais n'a pas fait la déclaration instituant la compétence de la Cour africaine des droits de l'homme lors de violations des droits de l'homme invoquées par des particuliers, sans doute parce que cette déclaration impliquerait la transmission d'un trop grand nombre de cas à la Cour. Je ne pense donc pas que le pays va la faire dans un futur proche. En 2001, j'ai participé à un rapport sur le système légal kényan et nous avons alors constaté que près de 10 000 cas étaient pendants devant la justice, du fait du trop petit nombre de juges et de magistrats disponibles. Dans le meilleur des cas, une affaire est réglée au bout de cinq ans, mais cela peut aussi prendre le double. Une réforme judiciaire devrait également s'attaquer aux coûts, car il est très onéreux d'agir en justice dans ce pays. Nous plaçons nos espoirs dans la Cour de l'Afrique de l'Est, qui n'est pas une Cour des droits de l'homme, mais a admis voici trois mois que le Kenya avait l'obligation de conduire des investigations approfondies sur les atrocités commises au Mont-Elgon, ce qu'il n'avait pas fait.
Samuel Mohochi, avocat et militant des droits de l'homme, il possède une large expérience en matière de représentation de victimes d'actes de torture commis par les forces de sécurité et, parfois, par l'armée de son pays.