Dans le cadre de mon séjour chez Freshfields, j'ai notamment eu l'occasion de travailler sur plusieurs transactions du type M&A (mergers and acquisitions). Or, j'ignorais jusqu'alors que la validité de certains actes, parfois aussi ordinaires qu'une procuration donnée à un tiers, est subordonnée au Royaume-Uni au respect d'une forme particulière, appelée deed. Tel est le sujet que je me propose de vous présenter brièvement dans les lignes qui suivent.
Le deed est une des trois formes connues pour les contrats, aux côtés de l'écriture et de l'oralité. Ces deux dernières sont dites «simples». Parmi les contrats qui doivent revêtir la forme écrite (simple), on peut notamment citer l'acte de cession d'un contrat, la promesse de vente d'un bien-fonds immobilier, le transfert d'actions, les garanties, etc.
Par contraste, le deed est une forme dite solennelle. Elle se caractérise par le fait que certaines formalités supplémentaires doivent être observées, au-delà de la simple signature de l'acte, pour que celui-ci soit valable et, partant, exécutable (enforceable). Ces formalités (lire ci-dessous) ont pour but, entre autres, de faciliter la preuve de l'existence de l'acte. Elles servent aussi à l'«étiqueter», afin qu'il soit reconnaissable comme tel pour les tiers.
Les opérations ou actes qui doivent revêtir la forme d'un deed sont, notamment, le transfert ou la location de biens immobiliers, la constitution de droits de gage, la nomination d'un trustee, la donation d'un objet sans transfert de possession ou encore l'établissement d'une procuration en faveur d'un tiers. Par exemple, si une société entend désigner l'un de ses organes pour la représenter dans le cadre de la signature d'un contrat d'achat d'actions, elle doit établir une procuration sous la forme d'un deed.
Il y a quatre formalités clés à observer lors de la préparation d'un deed:
• le deed doit être fait par écrit,
• il doit être clair à la lecture du document que celui-ci est censé prendre effet en tant que deed. Cela est généralement exprimé par des formules standard, telles que «This deed is made on...», «Signed as a deed by...» ou «This document is executed as a deed and is delivered and takes effect at the date written at the beginning of it.» Il est dans tous les cas indispensable que le document contienne une référence au mot deed et que la section des signatures précise qu'il a été signé en tant que deed;
• le document doit être valablement signé comme un deed. Les prescriptions formelles à respecter diffèrent selon la personne ou l'entité appelée à signer le document (personne physique, représentant au bénéfice d'une procuration, limited liability partnership, société soumise au Companies Act, trust, etc.).
• Contrairement aux actes soumis à la forme écrite simple, lesquels déploient généralement leurs effets aussitôt signés, le deed doit encore être «remis» à son destinataire (delivery). Cette formalité est importante, car elle fixe la date à partir de laquelle le signataire du document est lié par celui-ci. Par ailleurs, sauf si le contraire a été expressément réservé, un deed est en principe irrévocable une fois «remis». Pour la remise d'un deed, il n'est pas forcément nécessaire d'en transférer la possession. Il suffit qu'une partie ait manifesté, par quelque moyen que ce soit, son intention d'être liée par le deed, que ce soit dès sa signature ou tout autre événement qui peut être précisé dans le document.
A noter que, dans certaines circonstances, la signature d'une partie à un deed doit être attestée par un témoin. Cette exigence doit notamment être respectée lorsqu'un deed est signé par une société représentée par son administrateur unique. L'autre partie au deed ne peut pas servir de témoin. En revanche, et cela peut surprendre, la loi n'impose pas que le témoin soit indépendant ou désintéressé. Pour éviter toute contestation à ce sujet, il est néanmoins recommandé, dans la pratique, de choisir une personne indépendante.
Le témoin doit attester sur le deed que celui-ci a été signé en sa présence. On parle de l'«attesting clause». Il est donc nécessaire qu'il puisse observer la partie contractante au deed apposer sa signature sur le document. En règle générale, les témoins précisent aussi leur nom, adresse et profession à côté de leur signature.
En conclusion, à chaque fois qu'une transaction présente un lien de rattachement - si ténu soit-il - avec le Royaume-Uni, il apparaît indispensable de s'assurer que les documents contractuels qui doivent être préparés dans ce contexte respectent les prescriptions de forme applicables et, en particulier, s'il est nécessaire d'établir un deed.
Andrew M. Garbarski, Dr en droit, avocat à Genève. Il est récemment revenu de Londres, où il a accompli un «secondment» chez Freshfields Bruckhaus Deringer LLP, une étude d'envergure internationale.