Une lettre de Columbia (New-York)
Sommaire
Plaidoyer 2/11
04.04.2011
Dernière mise à jour:
07.10.2013
Le 8 janvier 2011, le New York Times a publié un article au titre accrocheur: «Is Law School a Losing Game?». Cet article traite de l'endettement inquiétant des étudiants américains et des dérives découlant des «rankings» des universités américaines. Toutes proportions gardées, ce sujet me semble intéressant, car il s'inscrit dans le contexte du débat actuel sur l'augmentation des ...
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Le 8 janvier 2011, le New York Times a publié un article au titre accrocheur: «Is Law School a Losing Game?». Cet article traite de l'endettement inquiétant des étudiants américains et des dérives découlant des «rankings» des universités américaines. Toutes proportions gardées, ce sujet me semble intéressant, car il s'inscrit dans le contexte du débat actuel sur l'augmentation des taxes d'immatriculation et le classement des universités suisses.
Le J.D. (Juris Doctor) américain devient de plus en plus onéreux: même une université médiocre facture jusqu'à 43000 dollars par année. Il s'ensuit que les étudiants s'endettent proportionnellement, jusqu'à concurrence de 250000 dollars, pour obtenir le sésame. Or, de nombreux J.D.s sont laissés sur le carreau à la sortie de l'université et, seule, une poignée d'entre eux arrivent à décrocher un poste qui leur permette de rembourser leurs dettes. La situation s'est d'autant plus détériorée avec la crise économique actuelle que traverse le pays. Pourtant, les statistiques de nombreuses facultés de droit américaines, toutes catégories confondues (y compris les facultés de droit ne figurant pas dans le classement des quarante meilleures), restent très optimistes. En particulier, le salaire annuel moyen dans le secteur privé devrait s'élever à 160000 dollars et 93% des J.D.s devraient trouver un emploi selon les plus récents U.S. News Rankings.
Certains professeurs de droit sont irrités par cette situation et indiquent que le standard peu recommandable «Enron» est devenu la norme. Par exemple, afin d'embellir leurs statistiques, plusieurs facultés de droit sont accusées d'engager leurs propres étudiants (parfois à temps partiel) à la fin du délai dans lequel un étudiant doit avoir trouvé un emploi pour rapporter des «points» à son université. Ou encore, les résultats sont biaisés, car les diplômés ayant décroché un poste bien rémunéré répondent plus volontiers aux questionnaires que ceux qui travaillent pour 9 dollars de l'heure chez Radio Shack (pour reprendre l'exemple du New York Times). Or, les personnes qui ne répondent pas aux questionnaires sont invisibles dans les statistiques, mis à part qu'elles réduisent le taux de réponses obtenues dans l'étude en question. Une telle manipulation des statistiques est endémique, car la richesse des facultés de droit augmente ou chute en fonction des classements. Non seulement les coûts de réputation et les sommes en jeu sont gigantesques, mais, en plus, les facultés de droit sont de véritables vaches à lait, qui permettent de financer d'autres facultés qui fonctionnent à perte.
Des études récentes ont toutefois démontré que les candidats ne sont pas dupes et qu'ils connaissent bien la réalité du marché. Mais alors, pourquoi est-ce que les requêtes d'inscription ne cessent de croître? Premièrement, beaucoup d'étudiants semblent attirés par le prestige du diplôme. Et d'autres indiquent également que seule la stratégie la plus risquée rapporte le plus.
Selon certains professeurs, il n'en demeure pas moins que l'université a un devoir moral de leur dire la vérité. Plusieurs options sont envisagées par l'American Bar Association. Par exemple, comme pour les paquets de cigarettes, les candidats seraient obligés de lire un avertissement selon lequel «les taxes d'immatriculation sont très élevées dans une faculté de droit et voici le montant que vous devrez payer. Le marché du travail est incertain et vous devrez réfléchir avec soin si vous voulez entreprendre de telles études.» (Traduction libre). Ou une autre approche serait de limiter le nombre d'étudiants par classes ou le nombre de nouvelles facultés. Mais une telle solution serait problématique sous l'angle du droit des cartels.
Le problème de l'endettement des étudiants n'est pas sans rappeler la crise des «subprime mortgages», où des Américains ont acheté des maisons qu'ils ne pouvaient se permettre. En revanche, les banques manquent de moyens de pression contre les diplômés endettés, car ceux-ci n'ont pas de propriété qui puisse être réalisée. Il est probable que les banques modifient leur pratique à l'avenir et qu'elle exigent une garantie personnelle. Car, de nombreuses familles ne peuvent offrir de telles garanties pour leurs enfants, ce qui aurait pour conséquence d'aggraver les inégalités dans l'accès à l'éducation. La situation est d'autant plus problématique que le droit à l'éducation n'est pas reconnu par la Constitution (fédérale) des Etats-Unis. Certes, la totalité des 50 Etats fédérés reconnaissent ce droit fondamental dans leur propre Constitution, mais les contours précis de ce droit fera encore l'objet de controverses tant que la Constitution fédérale n'aura pas été amendée. Et le combat n'est pas gagné d'avance.
Fabrice Robert-Tissot, docteur en droit et avocat, il fait un séjour de recherche postdoctorale et un LL.M. à l'Université de Columbia, à New York.