Je suis venue au début de novembre témoigner en Suisse, à l'invitation des Peace Brigades International1, du travail que nous effectuons au sein du collectif d'avocats Luis Carlos Pérez (CCALP). Ce collectif, qui porte le nom du célèbre pénaliste et professeur de droit Luis Carlos Pérez, recteur de l'Université nationale de Colombie décédé en 1998, est né à l'initiative d'étudiants en droit sensibles à la question des droits humains en Colombie. Basé dans la région de Santander, il vise à informer largement la population de ses droits au travers d'écoles de formation politique, de droits de l'homme et de droit international humanitaire.
Le nouveau président Juan Manuel Santos, en poste depuis août 2010, fut ministre de la Défense de son prédécesseur, Alvaro Uribe et provient d'une famille actionnaire principal du journal El Tiempo, lequel publie les enquêtes de popularité des politiques. Son élection a été ainsi favorisée, et son programme perpétue la politique de «sécurité démocratique» du président sortant, promettant l'anéantissement des FARC. Sa politique se caractérise par un mélange de préoccupations sociales (il a notamment fait adopter une loi visant à rendre 2,6 millions d'hectares aux plus de cinq millions de personnes chassées par les paramilitaires, ndlr.) et d'interventions militaires.
Ces structures militaires sont souvent directement intégrées à la population civile, une stratégie pour obtenir des informations dans la lutte contre la guérilla. Sous ce prétexte, l'armée intervient fréquemment au sein des entreprises et de la population, un processus très coûteux. Je connais par exemple un cas où une entreprise minière composée de 30 employés est surveillée par un millier de soldats, qui s'arrogent le rôle disciplinaire des autorités civiles. Maintenir ces bataillons exige de grands moyens, ce qui perturbe le processus de restitution des terres. La politique des entreprises minières y contribue également, dès lors que près de 25% du territoire national est dévoué à l'exploitation du sous-sol, ce qui entraîne des expropriations.
L'impunité qui règne dans le pays, du fait des nombreuses violations des droits humains restées sans suite, fait que la population n'a plus confiance dans ses autorités. Par exemple, seules six condamnations de paramilitaires ont été enregistrées, alors que les exactions sont presque quotidiennes.
Des entreprises ayant leur siège en Suisse sont très actives dans le négoce des matières premières; le projet de la plus grande mine de charbon de Colombie, el Cerrejón, est ainsi conduit par l'entreprise Glencore Xstrata. Elle récupère l'or en tant que déchet de l'exploitation du cuivre, ce qui présente un risque de blanchiment de fonds lorsque l'or raffiné est renvoyé dans le monde. Cependant, la Colombie elle-même en profite peu et doit même parfois payer pour avoir un droit d'extraction minière! Les houillères représentaient près de 4% du revenu intérieur brut en 2010.
Ces mines gigantesques ont provoqué le déplacement de nombreuses populations indigènes. Le peuple nomade wayúu, qui vivait sous tente, a été relogé de force dans de très petites maisons. Quant à la communauté Tabaco, elle a été tout bonnement expropriée sans rien recevoir en échange2, et est maintenant la plus pauvre du pays, ayant été dépouillée des habitations et territoires qu'elle possédait.
Malheureusement, nous, qui accompagnons les victimes dans le processus judiciaire et informons les mineurs et les peuples autochtones de leurs droits, constatons une grande ignorance de leur part, car les mineurs sont une population très marginalisée dans le pays, analphabète le plus souvent, n'ayant ni médecin ni écoles à disposition.
Ce travail n'est pas sans risque: notre directeur a reçu en 2009 une alerte à la bombe et le collectif a saisi la justice, car il avait déjà préalablement été sérieusement menacé. On s'en est pris physiquement à lui dans son bureau. L'organisation a été accusée de faire partie des FARC pour la discréditer. Toutes ces situations ont été dénoncées aux autorités compétentes, tel le Ministère public, sans résultat jusqu'alors. La Commission interaméricaine des droits de l'homme en a été saisie et a ordonné des investigations, non effectuées jusqu'à maintenant.
Nous aimerions que les pressions internationales poussent la Colombie à faire davantage de recherches sur les injustices qui y ont été commises. C'est pourquoi nous regrettons que l'association de victimes qui devait faire avec nous ce voyage en Europe n'ait pas obtenu de visa pour livrer son propre témoignage.
1 http://www.peacebrigades.ch/ww/home/
2 Lire à ce sujet la déclaration écrite conjointe Centre Europe-Tiers Monde «Violations des droits humains commises par des sociétés transnationales en Colombie» au Conseil des droits de l'homme, 6e session 2007, disponible à l'adresse http://www.humanrights.ch/upload/pdf/071018_DECLA RATION_kolumbien_f.pdf