Les fusions de sociétés sont régies en droit suisse par la loi sur la fusion (LFus). Outre ces opérations, que l’on peut qualifier de fusions proprement dites, les praticiens recourent également à des méthodes alternatives (fusions improprement dites) permettant d’obtenir un résultat final similaire, voire identique, mais par un processus différent.
Une des raisons principales pour lesquelles les praticiens optent pour la voie des fusions improprement dites est qu’elles ne sont pas soumises à une procédure aussi stricte que celle gouvernant la fusion proprement dite; un second motif est qu’elles ne garantissent pas des droits d’information ni une protection aussi étendus aux principales parties prenantes (associés, travailleurs et créanciers). En d’autres termes elles constituent, pour les initiateurs de la transaction, un procédé plus flexible, moins coûteux, et donc plus séduisant. Elles n’en sont pas moins critiquables en ce qu’elles permettent aux «parties fortes» (associés majoritaires et dirigeants) de contourner le processus et les modalités de la fusion proprement dite, dont un des buts fondamentaux, exprimé à l’art. 1 al. 2 LFus, est de garantir «la transparence, tout en protégeant les créanciers, les travailleurs et les personnes disposant de participations minoritaires».
Ce nonobstant, la loi ne fournit aucune indication quant à la validité des fusions improprement dites. Le sujet ne semble par ailleurs pas intéresser la doctrine. Seuls quelques auteurs se sont exprimés à cet égard, parfois par la bande, et ont, pour l’essentiel, conclu à l’admissibilité desdites opérations. Si une telle conclusion ne nous semble pas insoutenable, le texte de la loi ne s’y opposant pas expressément, le problème n’en persiste pas moins.
Aux Etats-Unis, la problématique a bien été identifiée… Il y a plus de 50 ans déjà. En 1958, la Cour suprême de Pennsylvanie a en effet requalifié de «merger» (fusion proprement dite) une opération qui, dans son résultat final, présentait des similitudes évidentes avec celle-là, bien qu’elle ait été réalisée par un procédé différent. La justification du tribunal fut que l’opération conduisait dans les faits à supprimer certains mécanismes protégeant les associés, c’est-à-dire à éluder certains droits qui auraient dû leur être accordés si la procédure ordinaire de la fusion avait été suivie. Les juges pennsylvaniens ont ainsi lancé un pavé dans la mare – créant la doctrine dite de la «de facto merger».
Les différents Etats américains se sont positionnés de façon variée à cet égard. Il existe fondamentalement deux écoles.
La première regroupe les Etats (tel le Delaware) qui ont rejeté cette doctrine et considèrent que la forme de la transaction doit l’emporter sur ses effets et sa réalité économique «form over substance».
D’autres Etats (tels New York ou la Californie) ont adopté la «de facto merger» doctrine, en admettant néanmoins son application à des conditions divergentes. Il n’existe ainsi pas une de facto merger doctrine unique, mais bien plusieurs variantes. Toutefois les différents Etats américains appartenant à cette seconde école se rejoignent en ce qu’ils reconnaissent tous la nécessité de faire primer les effets de l’opération sur la méthode choisie («substance over form»).
Nous sommes du même avis. Nous estimons ainsi que le législateur suisse devrait incorporer dans la loi une disposition interdisant les fusions alternatives ou les requalifiant de fusions proprement dites, les soumettant ainsi aux exigences des articles 3 à 28 LFus. Cette règle aurait une portée générale ou, pour le moins, devrait s’appliquer à toute fusion improprement dite réalisée sans motifs justificatifs valables, et donc à toute opération ne pouvant s’expliquer – ou se justifiant pour l’essentiel – que par la volonté d’éluder les règles protectrices de la LFus et/ou d’économiser des coûts de transactions. Une révision de la loi en ce sens garantirait une meilleure protection aux parties prenantes qui, compte tenu de la permissivité du droit en vigueur, se trouvent, à l’heure actuelle, parfois injustement démunies.