Le système judiciaire pénal doit à la Californie certaines de ses inventions les plus progressistes et les plus controversées: c'est ainsi, ici, que fut inventé le travail d'intérêt général dans sa forme moderne, lorsqu'un juge californien, fatigué d'envoyer des mères de famille célibataires en prison et de devoir placer leurs enfants décida de condamner ces dames à un travail au sein de la communauté qui leur permettrait de continuer à assumer leurs responsabilités familiales. La Californie est également l'un des deux premiers Etats américains à avoir instauré la fameuse loi «Three strikes and you're out», qui a pour conséquence d'envoyer en prison à perpétuité une personne condamnée à une «felony» (soit un crime) lorsque cette condamnation fait suite à deux condamnations antérieures, quelles qu'elles soient. C'est également ici que sont apparues les premières prisons «supermax», soit des unités de très haute sécurité dont la conformité aux droits de l'homme est régulièrement remise en question.
Le comté d'Orange, situé au sud de Los Angeles, s'est, une fois de plus, distingué en matière de politique criminelle en adoptant une loi surnommée «Spit and acquit» par ses détracteurs (littéralement: «Tu craches et je t'acquitte», en référence au frottis de la muqueuse jugale effectuée pour le prélèvement d'ADN). Le principe est simple: lorsqu'une personne est arrêtée pour avoir commis un délit mineur (possession de drogues dures, vol simple ou conduite sans permis), on lui propose de classer l'affaire en échange de son ADN, qui ira alimenter la base de données locale (on notera que la plupart des profils ADN récoltés de la sorte sont inutilisables pour les bases de données fédérales, car d'une qualité insuffisante...).
Les défenseurs du programme mettent en avant le fait qu'il permet de prévenir la commission d'infractions graves, d'allouer les ressources limitées de la justice à la poursuite de crimes plus sérieux et de réduire la population carcérale (les prisons californiennes connaissent actuellement une surpopulation sans précédent).
Pourtant, les problèmes juridiques et éthiques soulevés par une telle pratique sont nombreux. Notamment, le consentement du prévenu dans la «négociation» est loin d'être libre. Ensuite, cette option lui permet d'échapper à un programme de désintoxication jusque-là obligatoire en cas d'arrestation pour un délit lié à la consommation de drogues. Par ailleurs, le procureur décide seul de l'abandon des poursuites, compétence que la loi californienne avait pourtant placée depuis plus de 150 ans dans les mains d'un juge, afin d'éviter tout abus de pouvoir de la part de procureurs souvent très zélés, puisque devant être régulièrement réélus. Par ailleurs, cette nouvelle loi pervertit de facto le système: en effet, jusque-là, l'abandon (ou la négociation) des charges était toujours offert sans condition lorsque le dossier de l'accusation était faible et offrait peu de chances de survie lors de sa présentation à un jury populaire. Maintenant, l'abandon des poursuites est offert comme contrepartie au consentement de donner son ADN, même dans les cas où les poursuites n'auraient pas pu être engagées faute de preuves. Malheureusement, comme pour le «plea-bargaining», le système paraît tellement peu prévisible que les suspects sont souvent enclins à accepter un mauvais compromis plutôt que de risquer un jugement.
Autant dire que nous sommes loin, ici, des considérations évoquées par la Cour européenne des droits de l'homme en décembre 2008 dans l'affaire S. et Marper contre Royaume-Uni: les recourants s'étaient plaints de la politique de rétention des empreintes digitales, des profils ainsi que des échantillons d'ADN dans les bases de données britanniques. En effet, leurs données avaient été enregistrées malgré le fait que les charges contre eux avaient été abandonnées. De plus, l'un des recourants, S., était mineur au moment des faits. La CEDH a jugé que cette pratique constituait une violation du droit à la vie privée et que cette violation n'avait pas de justification plausible. Une lettre de Irvine, Californie
Joëlle Vuille, docteure en criminologie, fait un séjour de recherche post doctorale à l'Université de Californie, Irvine.