Adoptée en mai 2012 par le Parlement argentin, la loi sur l'identité de genre (LIG) place l'Argentine à l'avant-garde de la législation mondiale en matière d'identité sexuelle ou identité de genre. En effet, la loi octroie à chacun le droit à la reconnaissance de son identité de genre, définie selon «le vécu interne et individuel du genre tel que chacun le ressent, ce qui peut correspondre ou non au sexe assigné à la naissance» (traduction libre). Cela inclut le droit au libre développement de la personne conformément à son identité de genre ainsi que le droit d'être traité et identifié conformément à cette identité. Selon les termes de la LIG, la procédure requise pour une rectification officielle du genre accompagné du changement du prénom et de l'image peut être sollicitée dès lors que ceux-ci ne correspondent plus à l'identité de genre ressentie. L'officier de l'état civil est tenu de procéder à la rectification sur simple demande de d'une personne. La loi précise qu'aucune autre démarche administrative ou juridique n'est requise et que la rectification ne peut en aucun cas être subordonnée à un traitement médical.
Contrairement à la loi sur le mariage égalitaire de juillet 2010 qui permet aux personnes de même sexe de se marier, l'adoption de la LIG a provoqué relativement peu de débats en Argentine. Cela étant, certains secteurs influents ont manifesté leur opposition; l'Eglise catholique, au travers de la Conférence épiscopale argentine, a ainsi déclaré que «la diversité sexuelle ne dépend pas seulement d'une décision ou d'une construction culturelle: elle prend racine dans un fait de la nature humaine» et que la loi «ne prend pas en compte la signification objective du fait biologique comme élément principal» (traduction libre). En effet, en distinguant l'identité de genre du sexe biologique, la LIG se rapproche de théories sociologiques comme la théorie queer, qui soutiennent que le genre se construit sur la base de divers facteurs dont des facteurs socioculturels, psychologiques et physiques.
En Suisse, la procédure de changement de sexe paraît plus proche de la conception de l'identité sexuelle manifestée par la Conférence épiscopale argentine que de la conception de l'identité de genre de la LIG. En effet, créée par voie prétorienne, l'action sui generis en «constatation du changement de sexe» requiert que le changement soit «irréversible». Selon l'interprétation des cantons, cette irréversibilité est en général constatée une fois que la personne, suivie psychologiquement, a subi un traitement hormonal et une opération chirurgicale afin de changer de sexe, celle-ci impliquant la stérilisation. Cette pratique risque cependant de changer, puisque l'Office fédéral de l'état civil a récemment déclaré que l'opération chirurgicale visant à changer de sexe n'était pas nécessaire pour que le changement soit considéré irréversible et ainsi constaté par les autorités.
La loi argentine sur l'identité de genre et l'action suisse en constatation du changement de sexe diffèrent ainsi en raison de la conception de l'identité de genre sur laquelle chacune repose. La première distingue le genre du sexe biologique, contrairement à la seconde qui assimile genre et sexe biologique. Il reste à savoir si le législateur argentin fera, en Suisse, office de précurseur.
Stéphanie de Moerloose, Titulaire d'une licence en droit (Université de Genève) et d'un LLM (NYU), elle est inscrite au barreau de New York, vit en Argentine et travaille comme conseillère juridique et chargée de cours.