L’an passé, 2305 personnes ont été placées en détention administrative en Suisse. D’un point de vue strictement formel, cette mesure administrative dépourvue de toute connotation pénale est formalisée aux art. 75 ss. de la loi sur les étrangers et l’intégration (LEI). L’objectif de ces mesures de contrainte est clair: assurer l’exécution des renvois et de l’expulsion. Tant le degré d’atteinte aux droits fondamentaux que la durée maximale de détention de 18 mois prévue à l’art. 79 LEI suscitent des interrogations sur le droit d’être entendu des personnes concernées.
Le contrôle juridictionnel de la détention est en principe régi par le droit fédéral. Les autorités administratives restent toutefois compétentes concernant l’organisation de ce contrôle qui recouvre la représentation juridique et le droit à l’assistance judiciaire gratuite des personnes concernées. Or, la loi sur les étrangers reste muette sur ces questions. Et le Tribunal fédéral n’admet que restrictivement les demandes de représentation juridique lors du premier contrôle juridictionnel. Ainsi, seules des circonstances exceptionnelles ou des questions juridiques complexes seraient à même de justifier la présence d’un avocat. Après l’écoulement d’un délai de trois mois, les requêtes de représentation judiciaire ne devraient plus être refusées (ATF 122 I 49 et 139 I 206).
Une obligation étatique
Des praticiens critiquent ces privations de liberté, comme l’avocate Tamara De Caro, qui exige que le détenu soit représenté par un avocat plus tôt: «Une représentation juridique est indispensable dès qu’une personne est détenue. Veiller à ce que le détenu bénéficie d’une assistance juridique est une obligation étatique». L’avocate, qui a travaillé auprès de l’Office des migrations du canton d’Argovie, dresse un triste tableau de la situation: «La majorité des détenus sont très angoissés voire traumatisés. Ils sont dépassés par les événements». Dans la plupart des cas, la méconnaissance des langues officielles empêche les détenus de comprendre les tenants et les aboutissants de la procédure en cours.
Le professeur titulaire bâlois Peter Uebersax est du même avis que l’avocate Tamara De Caro. «Cette privation de liberté déstabilise les détenus, qui croient à tort être soumis à la procédure pénale». Dans le domaine de l’asile, «la défense d’office est institutionnalisée». En règle générale, le besoin d’assistance des requérants d’asile est reconnu dès le début. Selon Peter Uebersax, ces usages devraient être étendus à la détention administrative. En effet, une simple indication concernant le droit de recourir à un avocat à ses propres frais est largement insuffisante: «L’utilité d’une telle information est discutable. La plupart des personnes en détention administrative n’ont pas les moyens d’assumer des honoraires».
Un premier examen décisif
Thomas Hugi Yar a longtemps travaillé auprès du Tribunal fédéral, d’abord en tant que greffier puis en tant que conseiller. Une expérience qui lui a permis de connaître les pratiques administratives cantonales. Le juriste estime aussi qu’un renforcement des droits de la défense des personnes en détention administrative est nécessaire. Il salue l’approche du Tribunal fédéral reconnaissant la vulnérabilité des étrangers qui font l’objet d’une privation de liberté. Une fragilité accentuée par le manque de connaissance de la langue et des us et coutumes locaux.
Thomas Hugi Yar reste toutefois critique: «La gravité de l’atteinte portée aux droits des personnes par cette privation de liberté n’est qu’insuffisamment prise en compte». Les juges survolent cette question complexe et ne se penchent pas sur les effets de la détention. «La portée de l’atteinte à la dignité de la personne détenue augmente avec la durée de la détention».
Tout comme Peter Uebersax, Thomas Hugi Yar souligne l’importance du soutien juridique lors du premier contrôle judiciaire de la détention vu les conséquences de la décision sur la suite de la procédure. Il est donc essentiel de poser les bonnes bases à ce moment, et de répondre au besoin de soutien juridique à cet instant clé.
Selon cet expert du droit des étrangers, les multiples formes de détention administrative prévues par le droit fédéral rendent la procédure plus complexe, même pour les avocats, s’ils ne sont pas spécialisés en droit des migrations.
Peu d’entrées en matière
Le nombre de personnes en détention administrative varie d’un canton à l’autre. Selon les données statistiques des deux années précédentes, leur nombre est plus élevé dans les cantons de Berne, de Genève, de Lucerne, de Saint-Gall et de Zurich. Aucune détention administrative n’a été prononcée dans les cantons d’Appenzell Rhodes-Intérieures et Obwald (voir le tableau). Pour Thomas Hugi Yar, «une uniformisation des pratiques est indispensable pour respecter les droits procéduraux garantis par la Constitution et le droit conventionnel». Ainsi, les différentes formes de détention administrative devraient être repensées, et l’assistance judiciaire devrait être déterminée en fonction des exigences d’une procédure judiciaire unique choisie.
L’expert constate que «les demandes d’assistance judiciaire sont plus souvent refusées dans certains cantons au motif que la cause semble dépourvue de toute chance de succès». Ce que confirment les spécialistes du droit des migrations des requêtes dans les cantons de Bâle-Ville, de Berne, de Lucerne, de Thurgovie et de Zoug. Une juge zougoise conteste toute nécessité de prévoir un droit à une assistance judiciaire gratuite dans les procédures administratives: «Un avocat n’a rien à faire dans cette procédure. Se faire représenter par un avocat n’est pas judicieux, puisque le juge instruit ces affaires d’office et de manière indépendante. Il s’agit là plus d’une entrave que d’une aide au bon déroulement de la procédure».
Néanmoins, d’autres cantons protègent mieux le droit d’être entendu des personnes faisant l’objet d’une détention administrative. Les législations cantonales fribourgeoises et argoviennes prévoient que ces dernières soient assistées par un avocat lorsque l’incarcération envisagée excède un mois ou si cette durée est renouvelée.
Une défense dès trente jours
En Argovie, Marc Busslinger a collaboré à la mise en place de la représentation judiciaire. Il tire un triste bilan de son expérience trentenaire en tant que juge œuvrant dans l’exécution des peines et mesures. Il relève que les détenus ne disposent que de connaissances limitées du système juridique national. Ce qui va de pair avec une compréhension partielle voire inexistante des langues nationales. «Une assistance judiciaire est indispensable eu égard à la fragilité des individus et à la gravité de l’atteinte au droit à la liberté».
Marc Busslinger tient à jour une liste d’avocats au tribunal maîtrisant le droit des étrangers et prêts à représenter des personnes en détention administrative. Le juge précise que «les détenus bénéficient d’une défense d’office lorsque le service des migrants prononce une détention excédant trente jours». Le choix du défenseur est opéré aléatoirement en tenant compte des disponibilités des avocats inscrits.
Le juge précise qu’il adresse un rappel à l’ordre oral aux avocats manquant à leur devoir de diligence, notamment lorsque leur préparation à l’audience est insuffisante. «Les jugements de complaisance ne m’intéressent pas. Je m’attache à ce que les décisions rendues soient conformes au droit.»
Grâce à l’engagement de la section zurichoise des Juristes Démocrates de Suisse (DJS), les personnes en détention administrative peuvent mieux défendre leurs droits. En 2021, les membres de la section zurichoise ont contribué à la mise en place d’une permanence juridique pour la détention administrative. Selon la coprésidente des DJZ, Antigone Schobinger, de nombreuses personnes en détention administrative pourraient bénéficier d’une assistance juridique gratuite. Les avocats de la permanence interviennent indépendamment de toute garantie de rémunération devant le Tribunal des mesures de contrainte.
À Berne, le centre ecclésiastique des mesures de contrainte (KAZ) s’engage pour que les détenus bénéficient d’une meilleure protection juridique. Ce centre est le fruit d’une collaboration entre le Conseil d’État, les églises reconnues et la communauté juive. Ainsi, les détenus peuvent s’adresser au directeur et porte-parole du KAZ, Thomas Wenger, qui se charge d’examiner les dossiers. «Je vérifie si des démarches juridiques doivent être entreprises. Les détenus reçoivent une feuille d’information rédigée dans leur langue nationale comportant les données de contact du KAZ directement après leur arrestation».
Alignement au Règlement Dublin
Thomas Hugi Yar prône la reprise du Règlement Dublin pour tous les cas de détention administrative: «La défense doit être accordée dès le premier contrôle judiciaire de la détention, soit d’office, soit sur demande, sans qu’il soit nécessaire de prouver que l’affaire est complexe du point de vue juridique ou en matière d’établissement des faits. Il va de soi que cette demande ne doit pas non plus être examinée sous l’angle des chances de succès à ce stade.» En cas de prolongation de la détention ou demande de remise en liberté, la défense d’office pourrait être notamment accordée en cas d’indigence du détenu, si l’affaire n’est pas dépourvue de chance de succès et si le besoin d’être représenté par un avocat est démontré.