En cas de conflit avec leur employeur, les travailleurs suisses disposent de voies de recours allant jusqu’au Tribunal fédéral. Mais les employés de la Cour suprême elle-même – de la secrétaire au greffier – ne peuvent faire appel qu’à une seule instance en cas de litige du travail. Lors d’un licenciement par exemple, les employés du TF sont les moins bien protégés de tous.
De manière générale, les employés de la Confédération peuvent s’adresser au Tribunal administratif fédéral (TAF) en cas de problème avec leur employeur. Puis, le recours au TF leur est ouvert s’il s’agit d’une affaire pécuniaire ou une question touchant à l’égalité des sexes (art. 83 lit g de la loi sur le TF, pour la valeur litigieuse, art. 74).
Les employés du TAF bénéficient d’une autre voie de droit: d’abord le Tribunal pénal fédéral (TPF), puis le TF. Cette exception est nécessaire en raison de la proximité de l’employeur et de l’instance de recours. Et la protection juridique reste assurée, car avec le TPF, c’est un tribunal hiérarchiquement de même niveau que le TAF qui intervient. Le peu d’expérience du TPF en droit du personnel (en raison du faible nombre de cas) ne joue pas forcément en défaveur de l’employé.
Les suites d’une fusion
Une deuxième catégorie d’employés de la Confédération est privée des voies de droit habituelles, c’est celle du personnel du TF à Lausanne et à Lucerne. Sa protection juridique a toujours été limitée, mais elle s’est encore restreinte ces dernières années, en deux étapes. Jusqu’à la fusion avec le Tribunal fédéral des assurances (TFA) le 1er janvier 2007, le personnel du TF avait la possibilité de porter un litige de travail devant la Commission interne de recours, dont la décision pouvait être contestée devant le TFA à Lucerne. Et, pour les employés de ce dernier, il y avait une voie similaire avec une deuxième instance à Lausanne.
Il est clair que cette réglementation ne pouvait subsister après la fusion en un seul tribunal avec deux lieux d’implantation. Mais on aurait aussi pu prévoir un recours au TAF pour le personnel du TF fusionné. Cette solution avait été discutée à l’époque. Le projet avait échoué à cause de l’opposition du TF. En tant qu’autorité suprême du pays, celui-ci ne voulait pas se soumettre à la juridiction d’une autre instance fédérale, comme son secrétariat l’a confirmé à notre demande. A la place, une forme de juridiction spéciale a été créée sur le papier, composée des présidents des Tribunaux administratifs des cantons de Vaud, de Lucerne et du Tessin (art. 36 de la loi sur le personnel de la Confédération).
Commission supprimée
Cette instance, plutôt discutable juridiquement, est restée un tribunal fantôme, qui n’a absolument jamais été saisi. Rien ne garantit que les trois présidents cantonaux aient des compétences en droit du personnel et on ne sait pas davantage où un éventuel recours devrait être envoyé. C’est d’une importance d’autant plus grande que la voie de la Commission de recours interne (jusqu’alors la première instance) a été supprimée le 1er juillet 2013.
Ce changement vaut certes pour tout le personnel de la Confédération, mais il touche particulièrement les employés du TF. Après la disparition de la Commission de recours, qui était aussi appréciée pour ses compétences de médiation, subsiste uniquement la juridiction spéciale, qui n’inspire manifestement guère confiance. Selon le secrétaire général du TF, Paul Tschümperlin, on se serait efforcé, à Berne, de trouver une solution tenant compte de la situation particulière du personnel du TF: mais la Haute Cour n’a pas pu s’imposer pendant la procédure législative et doit, à présent, accepter la réglementation actuelle.
Contrôle limité
Ainsi, depuis le 1er juillet dernier, la protection juridique du personnel du TF n’existe en réalité que sur le papier, sous la forme de la juridiction spéciale précitée. En arrière-plan, on trouve la situation particulière d’une Cour suprême qui, dans d’autres domaines également, occupe une position largement incontrôlée. Le contrôle parlementaire n’est exercé en Suisse qu’avec réserve, dans le respect de la séparation des pouvoirs et de la sensibilité des juges. Et il faut accepter qu’une Haute Cour ne soit pas soumise à une autre instance, même quand elle rend des décisions qu’elle même jugerait arbitraires si elles étaient rendues par des instances inférieures.
On peut toutefois douter que cela vaille aussi pour ses relations avec son personnel, car l’employeur n’est pas le Tribunal supérieur, mais bien la Confédération, incarnée par la Commission administrative et le secrétaire général du TF. Les trois juges fédéraux siégeant dans cette commission exercent dans ce rôle une fonction purement administrative, raison pour laquelle ses décisions en matière de personnel devraient pouvoir être soumises, à l’avenir, à un contrôle du TAF.
C’est une autre question de savoir si ce serait la solution la plus sensée. Pour harmoniser le plus possible la situation juridique des employés du TF avec celle du personnel de la Confédération, il faudrait instaurer une voie de droit devant le TAF, avec une possibilité de recours ultérieur à la juridiction spéciale évoquée plus haut. Mais, comme cette dernière n’a encore jamais été saisie, le système d’instance à deux degrés risque de rester à l’état de fiction. S’ajoute à cela le fait que le TF s’oppose à ce que ses conflits de travail internes soient portés devant le TAF.
Voie interne
Il y a cependant une alternative possible, qui consisterait à ouvrir de nouveau la voie de la Commission de recours interne, avec ses compétences de médiation, et de s’en tenir à une seule instance externe, qui resterait probablement inutilisée. D’une part, cette solution prendrait en compte la particularité de la Cour suprême et sa position privilégiée dans le système judiciaire. D’autre part, elle représenterait, pour les employés souhaitant continuer à travailler à la Confédération ou poursuivre leur carrière dans les tribunaux des cantons, un appui interne plus efficace qu’une voie de recours externe.