Introduction
La politique sociale, en Suisse, avance à petits pas. C’est sa marque de fabrique. Il est notoire que les projets de trop grande envergure sont voués à l’échec, devant le Parlement déjà ou, au plus tard, en votation populaire. Les années 2019 et 2020 auront cependant été marquées par l’aboutissement de plusieurs projets législatifs importants : congé paternité (I), meilleure conciliation de la vie familiale et professionnelle (II) et rente-pont pour les travailleuses et les travailleurs seniors (IV) sont autant de nouvelles possibilités qu’il faudra, à brève échéance, intégrer dans le panorama de la protection sociale helvétique. Mais il faudra également compter avec la révision de la Loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS/AI (III) qui, par certains aspects, remet en question le premier pilier de cette protection.
Cet article est l’occasion de présenter, dans les grandes lignes, les changements à intervenir, et de proposer ponctuellement quelques éléments de réflexion.
I. Congé paternité
Le 27 septembre 2020, le peuple suisse a accepté, à un peu plus de 60 % des voix exprimées, de modifier la Loi fédérale sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité1 (LAPG2), de façon que les pères bénéficient désormais de deux semaines de congé après la naissance d’un enfant. Le congé paternité entrera en vigueur au 1er janvier 2021.
Cette nouvelle prestation, garantie comme le congé maternité par le truchement des APG, suppose avant toute chose de garantir l’effectivité du congé de paternité dans les relations de travail. Ainsi, le nouvel art. 329g al. 1 CO3 prévoit que, en cas de paternité, le travailleur a droit à un congé de deux semaines. Il faut toutefois que ce dernier soit le père légal de l’enfant au moment de sa naissance ou qu’il le devienne dans les six mois qui suivent cet événement. Le congé doit être pris dans les six mois qui suivent la naissance de l’enfant (art. 329g al. 2 CO). Contrairement à la mère, le père n’est pas obligé de bénéficier de son congé d’un bloc, mais peut le prendre sous forme de semaines ou de journées isolées (art. 329g al. 3 CO). Si le congé de paternité ne devient pas une période de protection durant laquelle le licenciement serait interdit4, il ne permet pas, à l’employeur, de diminuer le droit aux vacances (art. 329b al. 3 let. c CO).
Pour la durée du congé de paternité, le père a droit à des prestations similaires à celles de la mère, soit des indemnités journalières couvrant 80 % de son salaire, mais plafonnées à 196 fr. l’unité. Le droit à ces indemnités suppose, là encore, que le père soit légalement le père de l’enfant au moment de la naissance de ce dernier ou le devienne au cours des six mois qui suivent (art. 16i al. 1 let. a LAPG). Comme la mère, il doit avoir été affilié à l’AVS durant les neuf mois qui précèdent la naissance et avoir, durant cette période, exercé une activité lucrative durant au moins cinq mois (art. 16i al. 1 let. b LAPG). A la date de la naissance de l’enfant, il doit exercer une activité lucrative, dépendante ou indépendante (art. 16i al. 1 let. c LAPG). Comme pour la mère, le règlement5 prévoit des règles ad hoc pour les pères qui ne remplissent pas ces conditions, soit en raison de la naissance prématurée de l’enfant (art. 16i al. 2 LAPG), soit en raison d’autres circonstances propres à la situation du père (art. 16i al. 3 LAPG). Les indemnités peuvent être perçues dans un délai-cadre de six mois qui commence à courir le jour de la naissance (art. 16j LAPG) ; contrairement aux mères, dont le droit aux indemnités journalières s’éteint si elles reprennent le travail, les pères peuvent bénéficier de leurs indemnités de paternité en une fois ou de manière fractionnée. Les indemnités sont alors versées en fonction des journées de congé effectivement prises ; pour cinq indemnités perçues, deux indemnités supplémentaires sont versées6.
Le droit aux indemnités journalières prend fin si le père ou si l’enfant décède, ou encore si la filiation paternelle s’éteint par jugement (art. 16j al. 3 let. e LAPG). Si cette règle est tout à fait compréhensible, il faudra être attentif à sa mise en œuvre : en effet, comme il est peu vraisemblable qu’un jugement négatoire de paternité intervienne dans les six mois qui suivent la naissance de l’enfant, il est possible que le père ait perçu des indemnités de paternité qu’il lui incombera alors de rembourser. Rappelons simplement, à ce stade, que l’action en désaveu de paternité peut notamment être intentée par l’enfant, au plus tard dans l’année qui suit son accession à la majorité (art. 256c al. 2 CC).
Le financement de cette nouvelle prestation est assuré par une hausse des cotisations aux APG. S’élevant actuellement à 0,45 % du salaire AVS brut, elle sera portée à 0,5 % à compter du 1er janvier 2021. Le financement paritaire de cette cotisation reste de mise.
II. Conciliation
de l’activité
professionnelle
et de la prise en charge de proches
Il est notoire qu’en Suisse, les proches aidants, dont l’engagement est pourtant reconnu et régulièrement salué par les autorités, ne bénéficient pas d’aménagements particuliers, ni sous l’angle de leurs conditions de travail ni sous l’angle des prestations sociales, si l’on fait abstraction des bonifications pour tâches d’assistance prévue dans le régime de l’AVS/AI7 et des compensations de la perte de gain prévue par certains cantons dans le cadre du droit aux remboursement des frais de maladie prévu par la Loi sur les prestations complémentaires (LPC8).
Pour remédier à cette situation, le Parlement a adopté, le 20 décembre 2019, une loi intitulée « Loi fédérale sur l’amélioration de la conciliation entre activité professionnelle et prise en charge de proches »9. Le délai référendaire, qui courait jusqu’au 9 avril 2020, n’a pas été utilisé. Il est prévu que cette loi entre en vigueur en deux temps.
a. Mesures entrant
en vigueur au 1er janvier 2021
Elargissement
des conditions d’octroi
de la bonification
pour tâches d’assistance
Une première mesure est l’élargissement des situations donnant droit à la bonification pour tâches d’assistance. Depuis le 1er janvier 2021, il suffit que la personne bénéficiant de l’aide d’un proche perçoive une allocation pour impotent de degré faible pour que l’aidant se voie créditer la bonification, dans la mesure où les autres conditions sont remplies. Jusqu’au 31 décembre 2020, l’allocation devait être allouée en raison d’une impotence de degré moyen au moins. Par ailleurs, l’aide apportée au partenaire ntendre par là la concubine ou le concubin10 ermettra également de bénéficier de la bonification, pour autant que le ou la proche fasse ménage commun avec lui ou elle depuis au moins cinq ans sans interruption. Pour mémoire, la bonification pour tâches d’assistance vient augmenter le revenu annuel moyen (RAM) qui sert ensuite à calculer le montant de la rente AVS/AI. Si la ou le proche a déjà atteint l’âge donnant droit à la rente de vieillesse au moment où l’aide est apportée, elle ou il ne tire aucun bénéfice de la bonification.
Maintien du droit
à l’allocation pour impotent en cas de séjour hospitalier prolongé
Un enfant impotent peut, comme un adulte, être mis au bénéfice d’une allocation pour impotent de l’assurance-invalidité s’il remplit les conditions de cette prestation11. En fonction de sa situation, il peut alors bénéficier, en sus, d’un supplément pour soins intenses (art. 42ter al. 3 LAI12) et d’une contribution d’assistante (art. 42quater LAI et 39a RAI13). Le droit à ces deux prestations est lié au bénéfice de la première. Si l’allocation pour impotent est supprimée, même temporairement, le droit au supplément pour soins intenses et à la contribution d’assistance tombe également.
L’art. 67 al. 2 LPGA prévoit la suppression du droit à l’allocation pour impotent pour chaque mois civil entier durant lequel le bénéficiaire séjourne dans un établissement hospitalier aux frais de l’assurance sociale. Cette règle est de nature à pénaliser les familles dont un enfant est impotent, car le montant de leurs revenus peut fortement varier si ce dernier doit séjourner à l’hôpital. En pratique, dans une telle situation, au moins l’un des deux parents a diminué son taux d’activité pour assurer la prise en charge de l’enfant ; en outre, il est fréquent que des tiers soient engagés contre rémunération pour relayer les parents. Il s’agit d’engagements financiers qui, eux, ne disparaissent pas en cas de séjour de l’enfant à l’hôpital.
Depuis le 1er janvier 2021, le nouvel art. 42bis al. 4 LAI permet à l’enfant, en dérogation à l’art. 67 al. 2 LPGA, de conserver son droit à l’allocation pour impotent t donc aux autres prestations qui en découlent ’il séjourne à l’hôpital plus d’un mois civil entier. Il sera néanmoins nécessaire d’attester que la présence régulière des parents ou de l’un des parents auprès de l’enfant hospitalisé est régulière et nécessaire. En cas de séjour dans un home financé par l’enfant lui-même, respectivement par ses parents, le droit à l’allocation pour impotent est également maintenu, de même que le droit au supplément pour soins intenses (cf. art. 35bis al. 2ter et 36 al. 2 RAI).
Calcul du droit
aux prestations
complémentaires (PC)
Dans le cadre de la réforme de la Loi sur les prestations complémentaires, le Parlement a apporté un certain nombre de correctifs au montant du loyer pris en compte dans le calcul du droit aux PC (cf. infra III.2). La nouvelle loi sur la conciliation de l’activité professionnelle et de la prise en charge de proches apporte une modification supplémentaire lorsque la personne au bénéfice des PC fait ménage commun avec une autre personne qui n’est pas incluse dans le calcul (communauté d’habitation). Dans une telle situation, le nouvel art. 10ter al. 1 LPC prévoit que le montant pris en considération est le montant annuel maximal reconnu au titre du loyer pour une personne vivant dans un ménage de deux personnes, et ce quelle que soit la taille de l’habitation. En principe, lorsqu’un ou une bénéficiaire de PC fait ménage commun avec d’autres personnes, le loyer est réparti à parts égales entre tous les membres du ménage. Si il ou si elle cohabite avec plusieurs personnes non incluses dans le calcul du droit aux PC, le montant reconnu pour le loyer est ainsi proportionnellement diminué. Le correctif apporté permet d’éviter cette division en cas de communauté d’habitation avec un proche aidant14.
Congé de courte durée
Bien que cela ne concerne pas les assurances sociales, mentionnons encore que, depuis le 1er janvier 2021, le Code des obligations prévoit, dans les rapports de travail, un congé payé pour la prise d’un membre de la famille ou du partenaire atteint dans sa santé. Le congé est limité au temps nécessaire à la prise en charge, mais ne doit pas dépasser trois jours par cas, et dix jours au total par année civile (art. 329g CO). Pour les travailleuses et les travailleurs employés par des entreprises soumises à la Loi sur le travail (LTr15), la présentation d’un certificat médical est obligatoire, et la limite absolue à dix jours par année civile ne vaut que dans la mesure où il ne s’agit pas de prendre en charge un enfant (art. 36 al. 3 et 4 LTr).
b. Mesure entrant en vigueur au 1er juillet 2021
La mesure la plus importante prévue par la nouvelle loi est le congé de prise en charge d’un enfant gravement atteint dans sa santé. Cette mesure se décline d’abord en droit des assurances sociales : les nouveaux art. 16i à 16n LAPG prévoient un droit à des indemnités journalières couvrant 80 % du salaire, plafonnées à 196 fr. l’unité (art. 16m LAPG), pour les parents exerçant une activité lucrative qui interrompent cette activité pour prendre en charge l’enfant (art. 16i al. 1 LAPG).
La loi pose quatre conditions qui doivent être cumulativement remplies pour que l’enfant soit réputé gravement malade : il faut premièrement que son état de santé ait subi un changement majeur, que l’évolution ou l’issue de ce changement soit difficilement prévisible ou qu’il faille s’attendre à ce qu’il conduise à une atteinte durable ou croissante ou au décès de l’enfant, que l’enfant présente un besoin accru de prise en charge et que, au moins, l’un des deux parents doive interrompre son activité pour s’occuper de lui (art. 16j LAPG).
Le droit aux indemnités journalières est ouvert durant 98 jours u 14 semaines ans un délai-cadre de 18 mois courant depuis le jour où la première indemnité a été perçue (art. 16l et 16k LAPG). Chaque cas ne donne droit qu’à une seule allocation (art. 16i al. 2 LAPG). Lorsque les deux parents exercent une activité lucrative, ils ont en principe droit chacun à la moitié des indemnités, mais peuvent convenir entre eux d’une autre répartition (art. 16l al. 4 LAPG).
Lorsque le droit aux indemnités journalières selon les art. 16i à 16n LAPG est ouvert, l’employeur est obligé d’accorder à la mère ou au père un congé, dit « congé de prise en charge », de 14 semaines au plus (art. 329h al. 1 CO). Les modalités de ce congé sont calquées sur les conditions du droit aux indemnités journalières, notamment en ce qu’il peut être pris en une seule fois ou sous forme de journées isolées (art. 329h al. 4 CO). La période durant laquelle la travailleuse ou le travailleur bénéficie du congé de prise en charge est, passé le temps d’essai, une période de protection durant laquelle l’employeur ne peut pas résilier le contrat de travail. Cette protection est toutefois limitée à une période de six mois à compter du jour où la première indemnité journalière a été perçue (art. 336c al. 1 let. cbis CO).
c. Brève appréciation
Lors de l’adoption de cette loi, des voix se sont fait entendre pour critiquer le fait que l’essentiel des mesures prises par la nouvelle loi se limite aux personnes prenant en charge des enfants, sans davantage de considération pour les personnes accompagnant, notamment, des parents âgés. La critique est fondée, car le rôle de ces dernières est primordial pour la société. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que, en matière de protection sociale en Suisse, la politique des petits pas a toujours été la clé du succès. Espérons que ce premier pas, qui n’est pas si petit que cela, sera suivi d’un deuxième, voire davantage.
III. Révision de la loi
sur les prestations complémentaires
Le 1er janvier 2021 a également vu l’entrée en vigueur de la réforme des PC, adoptée par le Parlement en 2019. Cette réforme introduit dans la LPC un certain nombre de modifications qui ont globalement pour effet de rendre plus difficile l’accès aux prestations de cette loi. Sa motivation première était en effet l’importante augmentation des coûts de cette prestation sociale16.
1. La fortune
et l’accès aux PC
A partir du 1er janvier 2020, l’accès aux PC sera réservé aux personnes dont la fortune ne dépasse pas 100 000 fr., respectivement 200 000 fr. pour un couple, la valeur de l’immeuble dont elles sont propriétaires et leur servant d’habitation n’étant pas prise en compte (art. 9a LPC). Une fois l’accès aux PC garanti, le calcul du droit à la PC annuelle tient compte de la fortune dans la même mesure que jusqu’au 31 décembre 2020, sous cette réserve que les franchises autorisées sont abaissées, respectivement à 30 000 fr. pour une personne seule et à 50 000 fr. pour un couple. La franchise sur la fortune immobilière demeure inchangée (art. 11 al. 1 let. c LPC).
La prise en compte, dans le calcul du droit à la PC annuelle, d’un dessaisissement de fortune fait désormais l’objet d’une réglementation très stricte qui intègre notamment les principes jurisprudentiels adoptés à ce sujet par le Tribunal fédéral. Ainsi, le nouvel art. 11a LPC prévoit désormais qu’un dessaisissement de fortune est pris en compte si, à partir de la naissance d’un droit à une rente de survivant de l’AVS ou à une rente de l’AI ou dès dix ans avant la naissance du droit à une rente de vieillesse AVS (al. 4)17, plus de 10 % de la fortune est dépensée par année sans qu’un motif important ne le justifie ; si la fortune est inférieure ou égale à 100 000 fr., la limite est de 10 000 fr. par année. Les « motifs importants » sont énumérés à l’art. 17d al. 3 OPC-AVS/AI. On y trouve notamment les traitements dentaires ou médicaux ou encore les frais de formation à des fins professionnelles.
Dans le même ordre d’idée, la renonciation à des revenus ou à des parts de fortune, par exemple à un héritage, sera prise en compte comme si le ou la bénéficiaire n’y avait pas renoncé, pour autant que la renonciation ne soit pas légitimée par une obligation légale ou par une contre-prestation adéquate (art. 11a al. 2 LPC). La contre-prestation est considérée comme adéquate si elle atteint au moins 90 % de la valeur de la prestation (art. 17b let. a OPC-AVS/AI).
2. Aménagements divers
Résidence habituelle en Suisse. La résidence habituelle en Suisse sera désormais considérée comme interrompue à partir d’un séjour de trois mois à l’étranger, qu’il s’agisse d’un séjour ininterrompu ou d’une durée totale au cours de l’année civile (art. 4 al. 3 LPC et 1 OPC-AVS/AI). Il s’agit d’un durcissement par rapport à la réglementation prévalant jusqu’au 31 décembre 202018.
Dépenses reconnues pour les enfants. A partir du 1er janvier 2021, les montants reconnus pour les enfants seront abaissés pour les enfants de moins de 11 ans19. En contrepartie, les frais de garde effectifs seront pris en compte, pour autant qu’ils soient établis.
Modification des montants admis à titre de dépense pour le loyer. Ces montants seront désormais plus élevés ; ils dépendront non seulement du nombre de personnes vivant dans le ménage, mais également de la région dans laquelle se trouve ce dernier (art. 10 al. 1 let. b LPC20). Un supplément est prévu pour le cas où le logement doit être accessible en chaise roulante.
Modification du montant admis pour la prime LAMal. Si la prime LAMal effective du ou de la bénéficiaire est moins élevée que la prime cantonale de référence, seule la prime effective sera prise en compte dans le calcul. Dans le même ordre d’idée, il est prévu désormais que le montant minimum de la PC corresponde à 60 % de la prime LAMal moyenne, contre 100 % avant la réforme (art. 9 al. 1 let. b LPC).
Taxe journalière pour les personnes séjournant dans un home. Avant la réforme, le droit aux PC était calculé pour le mois calendaire, même si le ou la bénéficiaire n’avait séjourné qu’une partie du mois dans un home. Désormais, on tiendra compte des journées effectivement passées dans le home, et les PC pourront être versées directement à ce dernier (art. 10 al. 2 let. a LPC).
Prise en compte des revenus du conjoint. Ces revenus seront désormais pris en compte dans le calcul à raison de 80 %, contre 2/3 jusqu’au 31 décembre 2020 (art. 11 al. 1 let. a LPC).
Droit transitoire. Les personnes qui bénéficient de PC au 31 décembre 2020 et dont les droits seraient défavorablement touchés par la nouvelle réglementation continueront de bénéficier des montants acquis durant trois années. Après ce délai, il sera procédé au calcul selon les nouvelles règles.
3. Un point d’interrogation
Le point le plus étrange, pour ne pas dire contestable, de la réforme des PC, est l’obligation qui sera faite désormais aux héritiers d’un ou d’une bénéficiaire PC de restituer les prestations légalement perçues, dans la mesure où la succession excède 40 000 fr. (art. 16a al. 1 LPC). Au-delà du fait qu’une telle obligation n’existait pas jusqu’au 31 décembre 2020, elle modifie profondément la nature des prestations complémentaires. En effet, s’il a toujours été voulu et admis que ces dernières soient de véritables prestations d’assurance sociale, cette nouvelle modalité exclut désormais qu’elles soient reconnues comme telles, les assurances sociales ne connaissant d’obligation de restituer que lorsque les prestations ont été touchées sans droit. Dans ces conditions, se pose désormais la question de savoir si la volonté du Constituant, exprimée aux art. 112 et 112a Cst., est toujours respectée21. Rappelons par ailleurs que la Confédération n’est pas habilitée à légiférer en matière d’aide sociale.
IV. Prestations
transitires pour
les chômeurs âgés
A l’agenda depuis plus de dix ans22, la situation des personnes arrivant en fin de droit alors qu’elles sont proches de l’âge donnant droit à une rente de vieillesse AVS se trouvera sensiblement améliorée grâce à l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (LPTRA23). Cette loi prévoit des prestations destinées aux personnes qui arrivent en fin de droit à l’assurance-chômage24 après avoir atteint l’âge de 60 ans révolus (art. 3 al. 1 LPTRA25).
En principe, ces prestations seront versées jusqu’à ce que le ou la bénéficiaire atteigne l’âge ordinaire de la vieillesse selon l’AVS. Les prestations transitoires ayant uniquement pour objectif de couvrir les besoins vitaux, il sera demandé aux personnes qui, de toute manière, bénéficieront de PC après l’âge de la vieillesse d’anticiper le versement de leur rente AVS26, et cesseront de toucher les prestations transitoires du moment que cette dernière leur sera versée (art. 3 al. 1 let. a et b LPTRA).
Le droit aux prestations transitoires est subordonné à la condition d’une affiliation à l’AVS durant vingt ans au moins, dont au moins cinq années après l’âge de 50 ans. Les personnes qui sollicitent ces prestations doivent soit avoir exercé une activité lucrative leur procurant un revenu annuel couvrant 75 % de la rente AVS maximale, soit 2390 fr. dès le 1er janvier 2021 (art. 5 al. 1 let. b LPTRA). Finalement, la fortune nette de la personne assurée ne doit pas dépasser la moitié des seuils de fortune qui seront prévus par la LPC à partir du 1er janvier 202127 (art. 5 al. 1 let. c et al. 2 LPTRA).
Calquées sur les prestations complémentaires à l’AVS/AI, les prestations transitoires se composent de la prestation annuelle (prestation en espèces) et du remboursement des frais de maladie et d’invalidité (prestation en nature). Elles sont subsidiaires aux autres prestations d’assurances sociales, dont les PC à l’AVS/AI (art. 6 LPTRA. Cf. également art. 5 al. 3 LPTRA). La prestation annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants (art. 7 al.1 LPTRA). Le total des prestations versées (en nature et en espèces) sera cependant plafonné à un montant correspondant à un multiple du montant reconnu pour la couverture des besoins vitaux, soit à 2,25 fois 19 490 fr. pour une personne seule28. Pour le reste, la mise en œuvre des nouvelles prestations transitoires est largement identique à celle des PC-AVS/AI.
Conformément à l’art. 5 al. 1 LPTRA, le droit aux prestations est réservé aux personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse. Dans la mesure où les nouvelles prestations transitoires doivent être qualifiées de prestations de préretraite au sens de l’art. 3 al. 1 let. i R (CE) n° 883/200429, cette clause de résidence n’est pas opposable aux ressortissants suisses ou UE/AELE qui sont domiciliés sur le territoire d’un pays membre de l’UE/AELE30, notamment aux travailleuses et travailleurs frontaliers. Il est donc prévu dans la nouvelle loi que, si les prestations transitoires doivent être versées dans l’un de ces Etats, leurs bases de calcul (dépenses reconnues et revenus déterminants) soient adaptées en fonction du pouvoir d’achat de l’Etat de résidence (art. 8 LPTRA).
Le délai référendaire est arrivé à échéance le 8 octobre 2020 sans avoir été utilisé, faute pour le comité référendaire d’être parvenu à récolter suffisamment de signatures. La date de l’entrée en vigueur de la loi n’était pas encore connue au moment de rédiger ces lignes.
V. Petit bilan
Le congé paternité, les prestations pour les proches aidants et les prestations transitoires pour les chômeurs âgés représentent assurément des avancées sociales importantes, et ce serait faire la (très) fine bouche que de regretter leur entrée en vigueur. En tirer des conclusions trop réjouissantes pour le débat social en Suisse serait tout aussi dangereux.
Il faut en effet souligner que le congé paternité et les prestations pour les proches aidants ne sont pas à proprement parler des mécanismes solidaires. L’un comme les autres sont principalement financés par une solution de mutualisation qui ne consent pas d’avantage particulier en faveur des personnes économiquement défavorisées. Les prestations transitoires pour les chômeurs âgés, en revanche, seront financées par les deniers publics. Il s’agit donc véritablement d’une démarche solidaire, dans ce sens qu’elles seront majoritairement financées par les personnes qui risquent le moins d’en profiter.
Le durcissement des conditions d’accès aux PC est, quant à lui, plus que préoccupant, et marque un recul des préoccupations politiques (et populaires si l’on considère l’absence de référendum, même au stade de la tentative, contre cette réforme) pour le sort des personnes démunies. Sans doute a-t-on perdu de vue que ces prestations font partie intégrante du système de prévoyance en trois piliers, bien loin de la solution d’assistance vers laquelle elles tendent désormais. Le bilan de l’année 2019-2020 doit donc, s’agissant de la protection sociale en Suisse, rester prudent.
* professeure aux Facultés de droit de Neuchâtel et de Genève.
1 Qui s’appellera désormais « Loi fédérale sur les allocations pour perte de gain en cas de service, de maternité et de paternité ».
2 RS 834.1.
3 Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse (Livre cinquième : Droit des obligations) (RS 220).
4 Pour la mère, cf. art. 336c al. 1 let. c CO.
5 RAPG (RS 834.11). Cf. art. 29 et 30.
6 Ainsi, si le père prend quatre jours de congé, il touche quatre indemnités ; s’il prend cinq jours de congé, il en touche sept.
7 Cf. art. 29septies LAVS.
8 Loi fédérale du 6 octobre 2006 sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (RS 831.30).
9 FF 2019 8195 ss.
10 Cf. Message du Conseil fédéral du 22 mai 2019 concernant la Loi fédérale sur l’amélioration de la conciliation entre activité professionnelle et prise en charge de proches, FF 2019 3941, 3976 et 3996 s.
11 Cf. art. 42 s. LAI et 35 ss RAI. Sur l’évaluation de l’impotence chez l’enfant, cf. annexe III CIIAI.
12 Loi fédérale du 19 juin 1959 sur l’assurance-invalidité (RS 831.20).
13 Règlement du 17 janvier 1961 sur l’assurance-invalidité (RS 831.201).
14 Le nouvel art. 16cbis OPC-AVS/AI (RS 831.301) règle les situations particulières décrites à l’art. 10 al. 1ter let. a et b LPC.
15 RS 822.11.
16 Cf. MEIER MICHAEL E./RENKER JANA, Eckpunkte und Probleme der EL-Reform. Staatliche Lebensführungskontrolle ab
Alter 55 ?, RSAS 1/2020, 1 ss.
17 Pour une critique, cf. MEIER/RENKER (note 17), 8 s.
18 MEIER/RENKER (note 17), 11.
19 7080 fr. pour le premier enfant, contre 10 170 fr. jusqu’au 31 décembre 2020 (art. 10 al. 1 let. a ch. 4 LPC-AVS/AI)
20 Les montants sont présentés sous forme synthétique par MEIER/RENKER (note 17), 11 (tableau 1).
21 A ce sujet, cf. CR Cst.-DUPONT, art. 112a N 16 ss (à paraître).
22 Le canton de Vaud s’est doté d’un système de rente-pont pour les chômeuses et les chômeurs en fin de droit proches de l’âge AVS en mai 2011, celui de Genève en 2014. Au niveau fédéral, cf. Po 11.3662, Savary Géraldine (PS), « Rente-pont pour les chômeurs âgés ».
23 FF 2020 5357.
24 L’art. 3 al. 2 LPTRA, « une personne est arrivée en fin de droit lorsqu’elle a épuisé son droit aux indemnités de l’assurance-chômage ou lorsque son droit aux indemnités de l’assurance-chômage s’est éteint à l’expiration du délai-cadre d’indemnisation et qu’elle n’a pas pu ouvrir un nouveau délai-cadre d’indemnisation ».
25 L’art. 5 al. 1 let. a précise qu’il faut être arrivé en fin de droit au plus tôt pendant le mois au cours duquel on a atteint 60 ans.
26 Cf. art. 40 LAVS et 56 s. RAVS (RS 831.101).
27 Cf. art. 9a LPC dans sa teneur dès le 1er janvier 2021 (RO 2020 585, 587). Pour une personne seule, la limite de fortune pour avoir droit aux prestations transitoires sera ainsi de 50 000 fr. Le bien immobilier servant d’habitation à son propriétaire ne sera pas pris en compte dans la fortune nette.
28 Cf. art. 7 al. 2 cum art. 9 al. 1 let. a LPTRA.
29 Cf. Message du Conseil fédéral du 30 octobre 2019 concernant la Loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés, FF 2019 7797, 7856 s.
30 Cf. art. 7 R (CE) n° 883/2004.