Un «symbole du paradis» en prison
Sommaire
Plaidoyer 2/13
25.03.2013
Dernière mise à jour:
06.10.2013
Suzanne Pasquier
Hormis la rocambolesque évasion du détenu Jean-Louis B. au cours d'une promenade en 2011, l'Etablissement d'exécution des peines de Bellevue à Gorgier (NE) n'a guère fait parler de lui ces dernières années. Mais tout a changé depuis novembre de l'année dernière. La prison a fait l'objet de plusieurs articles de presse, sans parler des commentaires dans les courriers des lecteurs et sur les blogs. Inn...
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AbonnementHormis la rocambolesque évasion du détenu Jean-Louis B. au cours d'une promenade en 2011, l'Etablissement d'exécution des peines de Bellevue à Gorgier (NE) n'a guère fait parler de lui ces dernières années. Mais tout a changé depuis novembre de l'année dernière. La prison a fait l'objet de plusieurs articles de presse, sans parler des commentaires dans les courriers des lecteurs et sur les blogs. Innove-t-elle en matière de prise en charge des détenus? Occupe-t-elle un classement particulier en comparaison nationale? Rien de tout cela. Non, ce qui fait de la publicité au sinistre bâtiment de béton, c'est son palmier. Ou plutôt son palmier en devenir. Car son existence est pour l'instant purement virtuelle. Le palmier de Gorgier, célèbre avant même d'avoir vu le jour, n'est rien d'autre que le projet ayant remporté le concours artistique lancé dans le cadre de la rénovation et de l'agrandissement de l'établissement.
En effet, comme pour bon nombre de ses autres rénovations d'un montant supérieur à 200 000 fr., le canton de Neuchâtel a consacré 1% du coût total à la décoration artistique. Cette pratique bien connue du pour cent culturel ne crée habituellement pas de vagues. Mais il se trouve que, pour Bellevue, les 100 000 fr. alloués à l'œuvre du plasticien genevois Christian Gonzenbach font jaser. Dans les commentaires véhiculés par les blogs, cette somme est souvent perçue comme du gaspillage. «Scandaleux que l'Etat dépense ainsi les deniers publics.» «Pourquoi pas une piscine, plage privée et buvette all inclusive?» Ou moins méchant: «Ce palmier est-il transformable en éolienne?» Et en pleine campagne électorale neuchâteloise, le candidat UDC au Conseil d'Etat Yvan Perrin, d'apposer ce slogan sur ses encarts publicitaires: «Je doute que les détenus se battent pour aller dans cette prison parce qu'ils pourront admirer un palmier.»
Et dire que les autorités et l'artiste souhaitaient «offrir aux détenus une ouverture virtuelle sur le rêve»... Et que le Genevois a pensé son projet comme un lien entre l'intérieur et l'extérieur, puisqu'il est visible de part et d'autre de l'enceinte, par les prisonniers, d'un côté et par la population, de l'autre.
Mais tout n'est peut-être pas perdu. Car l'œuvre est destinée avant tout aux détenus, en tant que «symbole du paradis», qui «ouvre sur un espace merveilleux, même si c'est un paradis illusoire, une construction mentale», selon le document d'information livré par les autorités. Voyez plutôt: un tronc en acier galvanisé d'une hauteur de 18 mètres et des palmes en fonte d'aluminium d'un diamètre de 4 mètres. Il sera placé à l'extérieur de l'enceinte «pour des raisons de sécurité évidentes» (alors qu'un premier concours avorté destiné aux artistes locaux imposait une œuvre à l'intérieur). Mais ce «signe reconnaissable par tous les détenus quelles que soient leurs origines» va-t-il faire rêver ceux, nombreux à Bellevue, qui ont grandi à l'ombre des palmiers plutôt qu'à celle des sapins? En tout cas pas davantage qu'un sapin métallique ne ferait rêver un Helvète privé de liberté.