1. Introduction
La loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 4 octobre 1991, entrée en vigueur le 1er janvier 1993 et entièrement révisée le 23 mars 2007 (LAVI; RS 312.5), existe ainsi depuis une trentaine d’années et a permis incontestablement d’aménager puis de renforcer les droits de la victime dans la procédure pénale, notamment par l’interdiction possible d’une confrontation directe avec l’auteur de l’infraction, tout en garantissant à la victime et à ses proches une garantie minimale d’être indemnisés par le canton du lieu de l’infraction, lorsque ni l’auteur de l’infraction ni les assurances ne peuvent fournir cette indemnisation.
Lors du colloque qui a eu lieu à l’Université de Fribourg le 12 septembre 2023, précisément à l’occasion des trente ans de la LAVI, une étude a démontré que, globalement, cette loi était jugée comme adéquate pour toutes les infractions pénales qui entrent en ligne de compte, c’est-à-dire pour les infractions qui portent une atteinte directe et importante à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’une personne (art. 1 LAVI). Cependant, cette étude a aussi montré qu’il existe souvent un décalage important entre le temps de la réparation pour la victime et la durée du procès pénal, dont le déroulement et l’issue répondent peu souvent aux attentes de la victime.
De même, si de récentes modifications législatives ont contribué à améliorer encore la protection de la victime notamment grâce à une meilleure information relative à l’auteur de l’infraction (cf. art. 305 al. 2 let. d CPP; nouvel article 117 al. 1 let. g CPP dès le 1er janvier 2024, RO 2023 [140] p. 468, 3/26), il apparaît que l’indemnisation par l’État du préjudice subi par la victime a diminué sensiblement à partir de 2012.
2. Une indemnisation subsidiaire et limitée
La LAVI révisée du 23 mars 2007, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, a introduit de nouvelles conditions pour déterminer le montant des indemnités demandées par les victimes au titre de l’indemnisation et/ou de la réparation morale. D’une part, il est désormais nécessaire de procéder à un calcul basé sur les revenus et la fortune de la victime pour fixer le montant de son indemnisation pour le dommage matériel subi (par ex. perte de gain, perte de soutien), en se référant pour cela à la législation sur les prestations complémentaires AVS/AI (art. 20 LAVI), ce qui constitue en soi un exercice parfois difficile.
D’autre part, le montant de l’indemnité pour tort moral ne peut pas dépasser les limites maximales fixées par le législateur (art. 23 LAVI). L’Office fédéral de la justice a d’ailleurs émis des directives en la matière, ce qui permet à travers des exemples chiffrés de déterminer le montant des indemnités LAVI en opérant une réduction linéaire d’environ 30% sur les indemnités pour tort moral qui seraient allouées dans le cadre de la responsabilité civile dans des cas similaires (cf. Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale à titre d’aide aux victimes d’infractions à l’intention des autorités cantonales en charge de l’octroi de la réparation morale LAVI, octobre 2008).
Ces règles soulignent le caractère subsidiaire des prestations de l’État et le fait que celui-ci n’est pas tenu de réparer entièrement le préjudice subi par la victime, dans la mesure où l’État ne peut pas être tenu pour responsable de l’infraction commise par un tiers (cf. TF 1C_583-585-586/2016 du 11 avril 2017, c. 4.3; TF 1C_505/2019 du 29 avril 2020, c. 3.1).
Au vu des statistiques fédérales, ces restrictions ont eu des effets manifestes sur les indemnités allouées aux victimes depuis 2012, en particulier pour la réparation morale, dont les montants ont clairement diminué par rapport aux indemnités allouées aux victimes avant 2011 (cf. OFS, statistiques de l’aide aux victimes). En effet, la somme des indemnités allouées en Suisse à titre de réparation morale est passée de près de 7 millions de francs en moyenne jusqu’en 2011 à moins de 5 millions de francs à partir de 2015.
Parallèlement, les statistiques fédérales montrent une augmentation constante des dépenses en matière d’aide juridique par le biais des Centres de consultation pour l’aide aux victimes (Centres LAVI) et, dans une moindre mesure, en matière d’aide psychologique. Le besoin de recourir à une aide juridique s’explique sans doute par la complexification croissante des dispositions légales et par le morcellement du droit en général, lequel nécessite néanmoins de tenir compte des autres lois connexes pour trouver une réponse satisfaisante. Ainsi, la somme des dépenses en matière d’aide juridique a été multipliée par quatre entre 2000 et 2022.
3. Un soutien essentiel
Si l’aide aux victimes peut revêtir plusieurs formes, le noyau dur des prestations réside toujours dans les conseils, ce qui implique une écoute bienveillante offerte par le personnel qualifié des Centres LAVI, ainsi que dans l’aide immédiate et l’aide à plus long terme accordées aux victimes qui en ont besoin (articles 2, 5 et 12 LAVI). Ainsi, il ressort des statistiques fédérales que le nombre des consultations auprès des Centres LAVI est passé de 15 521 en 2000 à 46 542 en 2022, soit une augmentation constante chaque année (cf. OFS, statistiques de l’aide aux victimes).
Parmi les prestations d’aide immédiate et d’aide à plus long terme, il convient de revenir à l’aide juridique, qui peut être fournie par le personnel du Centre LAVI ou, ce qui est plus souvent le cas, par des avocats externes et indépendants. Dans la plupart des cantons, les Centres LAVI peuvent accorder une garantie d’aide immédiate sous la forme de quatre heures de consultation gratuites auprès d’un avocat ou d’une avocate (art. 5 LAVI).
Cette aide peut ensuite être prolongée pour un temps indéterminé aux conditions des articles 12 ss. LAVI. De plus, cette aide juridique, qui demeure subsidiaire à l’assistance judiciaire (art. 4 LAVI), n’est pas remboursable (art. 30 al. 3 LAVI). Cette exemption sera dorénavant concrétisée dans le code de procédure pénale par le nouvel article 138 al. 1bis CPP dès le 1er janvier 2024 (RO 2023 p. 468, 5/26).
Toutefois, lorsque la victime a épuisé sa garantie d’aide immédiate, c’est-à-dire ses quatre premières heures de consultation juridique gratuites, il appartient à la victime ou à son avocat d’entreprendre les démarches nécessaires pour obtenir soit l’assistance judiciaire dans le cadre de la procédure pénale, soit une prolongation de l’aide juridique nécessaire auprès du service cantonal compétent, en démontrant que les conditions prévues aux articles 12 ss. LAVI sont remplies, ce qui ne va pas de soi.
S’il arrive parfois que le Centre LAVI aide la victime à effectuer cette démarche, il pourrait être envisagé à mon sens, pour soulager la victime, de confier cette tâche directement au Centre LAVI, à charge pour lui suivant le dispositif en vigueur dans le canton d’effectuer une demande en temps utile ou d’examiner d’office si les conditions prévues aux articles 12 ss. LAVI sont remplies, ce qui permettrait de renforcer à la fois le rôle et le soutien du Centre LAVI.
De plus, une telle compétence attribuée au Centre LAVI serait parfaitement compatible avec les nouvelles dispositions du code de procédure pénale qui obligeront désormais aussi les Centres LAVI à prendre contact avec la victime après avoir reçu un signalement de la part des autorités de poursuites pénales, ce qui est déjà le cas actuellement pour les infractions commises à l’étranger (cf. nouvel article 12 al. 2 LAVI, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2024, RO 2023 p. 468, 20/26).
4. Conclusion
La législation suisse sur l’aide aux victimes d’infractions, qui découle de l’adoption par la Suisse de la Convention européenne relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes du 24 novembre 1983, a permis de donner une place et une visibilité à la victime dans le cadre du procès pénal, tout en lui garantissant des droits, un soutien personnel et une réparation partielle du préjudice subi. Malgré les restrictions financières apparues avec la révision de 2007, cette législation continue de faire ses preuves, même si des améliorations sont encore possibles pour soulager les victimes.