Cette nomination se greffe sur d’autres attributions notamment la présidence de la Commission fédérale de la consommation (CFC), la participation active à de nombreuses revues juridiques suisses et étrangères ou l’arbitrage international. Autant dire qu’il est devenu, par ses engagements et son travail, un acteur incontournable de la scène juridique suisse et internationale.
Dès notre arrivée, nous sommes frappées par son énergie et sa disponibilité. Pascal Pichonnaz parle avec conviction et passion de ses différents mandats. Il rappelle son attachement à la Ville de Fribourg après y avoir vécu durant plus de quarante ans avec quelques interruptions liées à des séjours à l’étranger. Issu d’une famille bilingue, il relève avoir pleinement profité de cette diversité. Il se souvient du Collège Saint-Michel et de ses études de droit en section bilingue à l’Université de Fribourg. Malgré un lourd agenda, il joue de la clarinette dans la Landwehr, orchestre d’harmonie et Corps officiel de la Ville et de l’Etat de Fribourg.
Le professeur reconnaît aussi sa chance d’être accompagné par un climat familial positif. Sa femme et ses enfants ont toujours été prêts à l’accompagner lors de ses séjours à l’étranger, le voyage étant dans l’ADN familial. Tel a été le cas lorsqu’il a été invité à Londres en 2009 au Center for Transnational Legal Studies (CTLS, ci-après), fruit d’une coopération entre des facultés de droit renommées.
Lorsqu’on l’interpelle sur sa passion pour le droit romain, Pascal Pichonnaz précise l’importance d’une approche diachronique des études de droit. «Mon parcours est caractérisé par cette approche: ma thèse de doctorat en droit des obligations, mon expérience d’assistanat en droit romain et en droit des obligations démontrent bien que j’ai un pied dans le droit actuel et un pied dans l’histoire.»
Quant au goût pour l’arbitrage international, il est venu après avoir pris part à des arbitrages lors de son assistanat. «Je me suis impliqué ensuite de plus en plus en tant qu’arbitre auprès de la Chambre de commerce internationale. L’impact de l’arbitrage international marque aussi le droit des constructions, nommément les normes SIA qui ont intégré des règles sur l’arbitrage. Pour revenir sur l’actualité, on pourrait s’interroger sur l’alignement de la norme SIA 150 aux innovations apportées par le nouveau Règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale: comment régir la nomination des arbitres et du président si trois parties sont représentées, chacune, par un arbitre sachant que seuls deux arbitres sont habilités pour cette nomination? Ces questions sont d’autant plus importantes en droit de la construction, compte tenu que les litiges avec trois parties sont courants. Il en va de même de l’intégration d’un tiers à la procédure, nommément du tiers potentiellement responsable1.»
En Suisse, Pascal Pichonnaz est le rédacteur en chef de la Revue de droit suisse et éditeur de la Revue suisse de jurisprudence pour ne citer que quelques-unes de ses participations. Il collabore aussi à des revues dans d’autres pays, à l’instar de l’Italie, de la Belgique ou de l’Afrique du Sud2 et précise que le droit sud-africain est un régime juridique mixte. La Common Law sud-africaine est mêlée au droit romain, qui est d’ailleurs encore enseigné en Afrique du Sud: le droit hollandais de Grotius, a été importé en Afrique du Sud au XVIe siècle. Le droit anglais s’est implémenté lors de la colonisation.
Certes, nous ne pouvons pas oublier les contributions actuelles dans des revues, l’édition du Commentaire romand (LCD, CC I, CC II) ou d’ouvrages plus spécifiques. «Les fondements romains du droit privé» ont le mérite d’apporter une aide précieuse tant à l’étudiant qu’au juriste aguerri. Il n’en demeure pas moins que nous ne pouvons pas manquer la reprise régulière d’anciens travaux du professeur par les juristes, à l’instar de sa thèse rédigée dans le cadre de son doctorat «Impossibilité et exorbitance». «Effectivement, lorsque l’on rédige une thèse de doctorat, on se passionne pour un sujet, on écrit encore quelques années, puis, on passe à autre chose. Lorsque l’on relit sa thèse vingt ou vingt-cinq ans plus tard, on constate qu’il y a des points qui demeurent intéressants. Je note aujourd’hui tout l’intérêt de la question dans le cadre de la crise sanitaire avec ces nombreuses questions juridiques. Aujourd’hui, la question de la prévisibilité du changement de circonstances au moment de la conclusion du contrat est centrale. Nous pouvons douter qu’imposer l’adaptation du contrat aux parties par la voie judiciaire soit la bonne voie. Le droit souple offre de nouvelles opportunités. A titre exemplatif, les Centres de remise en forme ont proposé des prolongations de contrat lors du premier confinement.3»
La chaire de droit privé est marquée de l’empreinte de ses illustres professeurs: Pierre Tercier, Paul-Henri Steinauer, Franz Werro, pour n’en citer que quelques-uns. Pascal Pichonnaz se souvient de Pierre Tercier, aujourd’hui professeur émérite, et ne manque pas de mentionner Franz Werro, acteur important à l’Université de Fribourg. Outre la renommée du corps professoral, l’homme replace l’étudiant•e au centre de ses préoccupations. «Il est clair que notre rôle ne se limite pas à disséminer des connaissances pratiques, mais plutôt d’apporter une compréhension globale à l’étudiant en lui permettant d’appréhender le pourquoi et les principes fondamentaux. Certes, nous devons prendre en compte les évolutions technologiques, notamment les contrats de la blockchain ou le développement de l’intelligence artificielle, mais au regard des principes généraux. L’enseignement universitaire dans notre université suit cet adage, mais je ne suis pas sûr que nous pourrons continuer à développer des centres universitaires avec une approche aussi large. Une demi-chaire de recherche spécialisée propose un enseignement en digitalisation, mais chaque professeur devrait intégrer ces éléments dans son cours.» Rôdé à l’exercice de l’enseignement à distance, le didacticien en constate les limites. Il se souvient d’une récente discussion avec un homologue liégeois relevant la difficulté de panacher un cours dans un format numérique et d’ajouter: «Ce sont dans les interstices que les informations essentielles se trouvent. Par ailleurs, le tri des informations constitue, aujourd’hui, un élément fondamental de l’apprentissage. Auparavant, notre objectif était la recherche d’arrêts. Maintenant, l’information est tellement pléthorique, la jurisprudence entièrement mise en ligne, qu’il nous faut procéder à une sélection d’arrêts, un travail très délicat.»
Après un rôle de vice-président de l’ELI, il semble que la route soit déjà tracée et que le port de la nouvelle casquette de président sera parfaitement gérable pour cet homme doté d’une grande faculté d’adaptation. Les rencontres avec toutes les parties prenantes, les membres de l’ELI, les membres de la Commission européenne représentent évidemment un travail quotidien selon Pascal Pichonnaz. Lors des débuts de la crise sanitaire, l’ELI a édicté une liste de principes à l’adresse des Etats. Le docte précise que ces principes présentent une analogie de la situation à un moment déterminé et sont amenés à évoluer au fil de l’évolution de la situation sanitaire. Il conclut qu’il s’agit aujourd’hui de veiller à une distribution des vaccins équitable dans tous les Etats, afin de lutter de manière effective contre le virus4. Il n’en demeure pas moins que les objectifs de l’ELI sont bien plus amples, au travers de ses trois piliers: l’Etat de droit qui représente un chantier important dans certains Etats, la numérisation et le pan environnemental.
1 Pascal Pichonnaz, Quelques réflexions sur la norme SIA 150 (2018) à l’aune du nouveau Règlement CCI 2021, in: BR/DC 2/2021, p. 9-12.
2 Fundamina, a Journal of legal history.
3 Les contrats de fitness et le Covid-19: Blog | Chaire de droit | Université de Fribourg (unifr.ch)
4 Principle 17, equitable distribution of vaccines in: 2021 Supplement to the ELI Principles for the COVID-19 Crisis, https://www.europeanlawinstitute.eu/about-eli/covid-19-principles/