plaidoyer: Le CPP entré en vigueur en 2011 prévoit que le pouvoir accru du procureur pendant l’instruction soit compensé, notamment, par une assistance renforcée du prévenu, au travers de l’avocat de la première heure. Cela ne fonctionne-t-il pas?
Robert Assael: Absolument pas. Si l’avocat de la première heure constitue une avancée, il faut la relativiser, car l’avocat n’a, à ce moment-là, pas accès à la procédure. De plus et surtout, cela ne compense pas l’inégalité patente des armes qui perdure pendant toute l’instruction. L’administration des preuves est confiée au Ministère public, le même qui soutiendra l’accusation devant l’autorité de jugement. Certes, il est censé instruire à charge et à décharge, mais, en réalité, il a tendance à préparer son futur dossier d’accusateur. Et l’avocat est trop souvent perçu comme un empêcheur de découvrir la vérité, plutôt que comme l’indispensable contrepoids au trop grand pouvoir du procureur.
La commission que vous présidez appelle de ses vœux un véritable recours contre le rejet d’une réquisition de preuve pendant l’instruction. Les voies de droit actuelles ne suffisent-elles pas?
Clairement non, car un recours contre le refus du Ministère public est irrecevable, si la réquisition de preuve peut être réitérée sans préjudice juridique devant le Tribunal de première instance (article 394, let. b CPP). Ainsi, les recours ne sont admis que très rarement, par exemple quand un témoin va partir à l’étranger ou risque de décéder ou quand une preuve pourrait disparaître.
Ainsi, face au refus du Ministère public, on est contraint d’attendre et de reformuler la demande à l’autorité de première instance, laquelle rejette le plus souvent les preuves sollicitées. En appel, c’est encore plus difficile et le Tribunal fédéral ne va pas casser une décision cantonale, parce qu’un témoin n’a pas été entendu. Ainsi, le CPP accorde un pouvoir quasi absolu au Ministère public, s’agissant de l’administration des preuves. Il est impératif de prévoir, par conséquent, un contrôle immédiat, sous forme d’un réel droit de recours contre ses décisions.
Vous dénoncez un abus dans le pouvoir d’appréciation des juges à Genève, qui refusent la plupart des réquisitions de preuve des avocats. Dès lors, c’est dans son application, plutôt que dans son texte, que le CPP pose problème?
D’après la loi, le tribunal procède à l’administration de nouvelles preuves, complète les preuves administrées de manière insuffisante ou réitère les preuves nécessaires au prononcé du jugement (article 343 CPP). Mais, dans les faits, l’immédiateté de la procédure pénale a presque disparu à Genève. Les procès sont désincarnés, c’est une justice de dossiers! Or, écouter un témoin en audience de jugement est très différent que de lire le procès-verbal de sa déposition. La façon hésitante ou affirmative de répondre aux questions et son body language peuvent être décisifs. De plus, il y a parfois des différences substantielles entre ce qui a été dit et ce qui a été protocolé pendant l’instruction.
Ainsi, le CPP devrait prescrire, à son article 343, qu’à tout le moins les témoins importants et les experts soient auditionnés derechef au tribunal. Pour tout dire, je regrette le temps du jury!
Le CPP unifié en 2011 visait à accélérer les procédures. N’est-ce pas une condition nécessaire pour assurer une justice efficace?
Avant de penser à l’efficacité de la justice, il faudrait viser à sa qualité et au respect de la CEDH, en particulier de la présomption d’innocence. Cela étant, pas mal de temps a été gagné par la suppression des juges d’instruction, mais le problème principal reste que la justice n’a pas les moyens de ses ambitions. A Genève, il y a chaque année environ 25 000 nouvelles procédures; il faudrait se doter de plus de procureurs et de juges. Les conséquences de l’inévitable engorgement qui en découle sont une certaine lenteur et, pire, une prolongation de la détention préventive des prévenus incarcérés, dans une prison surpeuplée. Il n’y a aucune volonté politique de remédier à la surpopulation carcérale et de donner suite à l’arrêt du Tribunal fédéral 1B-369/2013, déclarant illicites les conditions de détention à la prison de Champ-Dollon. Genève est le canton qui emprisonne le plus préventivement. Il faudrait que les procureurs et le Tribunal des mesures de contrainte se souviennent qu’avant jugement, la liberté est la règle.
Un autre sujet qui fâche au sein de votre commission, c’est la désignation de l’avocat d’office par le Ministère public.
C’est vrai, même si le nombre de désignations est limité, car la plupart du temps, le défenseur d’office est le même que celui qui est intervenu à la première heure. On nous rassure en nous disant que le Ministère public respecte un tournus entre avocats, mais, en tout cas sur le plan des apparences, ce n’est pas sain, puisque c’est finalement le Ministère public qui choisit son futur adversaire! Il est inacceptable qu’il ait également la compétence de révoquer l’avocat d’office, quand un prévenu le demande. Imaginez la situation quand cette requête est refusée, qu’il y a dans le dossier la lettre de récrimination du client et que l’avocat doit poursuivre le mandat…
Nous proposons que les nominations des défenseurs d’office, les révocations et la question d’un éventuel conflit d’intérêts reviennent à l’autorité de surveillance des avocats, qui pourrait déléguer cette tâche à l’Ordre des avocats.
Votre commission adopte-t-elle la stratégie de demander beaucoup pour avoir une chance d’obtenir un peu?
Absolument pas! Nous nous sommes limités à des demandes de modifications raisonnables. La révision du CPP étant prévue pour 2018, nous voulons nous y prendre assez tôt. Les avocats doivent se rendre compte des enjeux et se mobiliser, afin que le principe de l’égalité des armes entre le Ministère public et la défense soit respecté et qu’une meilleure justice soit rendue.