«J’ai déjà soulevé la question du recrutement des interprètes judiciaires auprès du procureur. C’est un gros problème dans tous les cantons romands», soupire Georges Schaller, le bâtonnier neuchâtelois, qui l’a évoquée lors de la conférence réunissant ses homologues romands. En effet, au côté des traducteurs-jurés chargés de fournir la traduction authentique de documents pour l’Etat genevois, lesquels sont soumis à assermentation, possession de titres, examen d’aptitude et préavis (voir par exemple le règlement du 6 décembre 2004, I 2 46.03), tout un chacun peut intervenir comme interprète devant la justice.... ou presque.
Puisque c’est un droit du prévenu (art. 68 CPP), l’avocat s’attend à ce que la direction de la procédure fasse appel à un traducteur lorsque l’accusé maîtrise insuffisamment la langue des débats. «Mais dans les faits, au-delà de l’avocat de la première heure, c’est à nous d’en trouver un qui ne soit pas défavorablement connu! Or ,c’est à l’Etat de mettre en œuvre ce droit garanti par la Constitution», constate amèrement Georges Schaller. Ce souci de moralité n’empêche pas, d’ailleurs, de trouver parfois, parmi les accusés de trafic de drogue, un traducteur que l’on avait vu fonctionner dans une autre affaire...
Elie Elkaïm, le bâtonnier vaudois, ne dit pas autre chose: «Je me suis laissé dire qu’on ne trouvait parfois pas les bonnes personnes au bon endroit.» Et cela, bien que le secrétariat de la Police de sûreté, qui recueille les candidatures, teste la probité des candidats sur la base de leur casier judiciaire. Pas d’examen linguistique, en revanche, pour les quelque 400 traducteurs pratiquant quelque 85 langues. Le bâtonnier «reçoit des plaintes sur la qualité des interprétations, il arrive souvent que des avocats ou des magistrats connaissant la langue interviennent en audience, pour dire que ce n’est pas tout à fait ce qui a été exprimé. On ne demande justement pas aux interprètes d’interpréter les propos, mais simplement de traduire!» Dialogues interminables résumés en un laconique «pour le moment, il nie»; connivence impossible à percer du fait d’une langue que ne maîtrisent que le prévenu et son traducteur; interprète très compétent en matière matrimoniale, mais incompétent au pénal; personnes ne possédant pas le vocabulaire juridique nécessaire; membres de la famille ou policiers priés d’interpréter au pied levé, chacun a son anecdote sur cette Tour de Babel judiciaire.
Les remèdes sont variables. Après avoir évoqué le sujet avec le Tribunal cantonal (TC) et les représentants des tribunaux d’arrondissement, l’Ordre des avocats vaudois entend «épurer la liste actuelle en n’engageant des interprètes qu’après qu’ils ont reçu une information sur la fonction, soumis un CV et subi un petit test de traduction. Vu le niveau élevé des frais de justice, le justiciable a droit à une meilleure qualité d’interprétation», poursuit Me Elkaïm. Ces propositions de décembre dernier seront mises à l’examen du TC.
A Genève, en revanche, certains avocats souhaitent largement augmenter l’équipe de 250 interprètes officiant dans une centaine de langues. Le règlement relatif aux interprètes et traducteurs n’est pas encore entré en vigueur et le pouvoir judiciaire ne peut donner d’informations avant le début de l’été. L’idée serait de sélectionner les interprètes titulaires d’un master universitaire en traduction ou en droit.
«En outre, que faut-il traduire? Le CPP parle du «contenu essentiel des actes de procédure les plus importants, mais ce n’est pas le cas du réquisitoire, de la plaidoirie ou de tout le jugement...», relève Georges Schaller. Se basant sur la jurisprudence relative à l’art. 6 CEDH, la Cour d’appel pénale fribourgeoise a débouté un accusé1, le 31 août 2009, qui se plaignait de n’avoir pas obtenu une traduction en allemand de son jugement intégralement en français. Il suffit que le prévenu comprenne la sentence pour interjeter appel.
1Cour d’appel pénale fribourgeoise, arrêt du 31 août 2009 contre le jugement rendu par le juge de police de l’arrondissement de la Sarine le 28 avril 2009.