Le locataire d’un logement dispose à certaines conditions du droit d’en contester le loyer initial en agissant devant l’autorité de conciliation sous trente jours dès la remise de la chose louée (art. 270 al. 1 CO). Les cantons où sévit une pénurie peuvent imposer au bailleur l’obligation de notifier le loyer initial sur une formule officielle explicative (art. 270 al. 2 CO)1. La loi n’explicite pas le contenu du formulaire. L’art. 19 al. 3 OBLF2 prescrit que les règles présidant à la notification d’une majoration de loyer sont applicables «par analogie». La présente contribution examine si le loyer initial doit être motivé sur la formule officielle3 seulement lorsqu’il est augmenté par rapport au loyer du précédent locataire ou si tel doit aussi être le cas si le loyer demeure inchangé, voire s’il est diminué4. La question n’est pas académique. La formule officielle, quand le canton l’exige5, doit être remise au locataire à la conclusion de tout nouveau bail. Si elle n’a pas été remplie correctement, le loyer est nul et le juge doit fixer le «juste loyer»6. Le locataire peut s’en prévaloir en tout temps, sous réserve d’un abus de droit manifeste.
1. La jurisprudence
1.1. Tribunal fédéral
La jurisprudence du Tribunal fédéral ne s’est jamais prononcée sur la thématique. Dans un arrêt concernant le cas d’un appartement jamais loué, dont le loyer initial avait été fixé sur la base du rendement brut, le TF a considéré que la motivation du loyer initial indiquée sur le formulaire ne posait pas problème, puisque le «fondement du loyer fixé, à savoir l’art. 269a let. c CO, était suffisant»7. Dans un arrêt récent, le TF a évoqué la question, sans y répondre, car elle n’était pas pertinente pour trancher le cas8. Dans un autre registre, le TF a également pu dire qu’une clause d’échelonnement du loyer (art. 269c CO) devait figurer sur le formulaire obligatoire9.
1.2. Cour de justice du canton de Genève
Dans le canton de Genève, la Cour de justice estimait, jusqu’à récemment, qu’un loyer inchangé ou diminué devait être motivé sur le formulaire officiel10. Elle a renversé sa jurisprudence11. Elle tire notamment argument du fait que celle-ci est isolée en Suisse12. Cet argument n’est pas convaincant: il n’existe pas de jurisprudence sur la question dans les autres cantons. Les contestations du loyer initial donnant lieu à des décisions judiciaires y sont peu fréquentes (sauf dans le canton de Vaud)13. La jurisprudence vaudoise ne s’est, à notre connaissance, jamais prononcée sur la question.
2. La doctrine
Les avis doctrinaux sur la question sont rares14. Lachat remarque (sans lien expresse avec la formule officielle, il est vrai) que le bailleur doit motiver le loyer initial (et pas la hausse de ce dernier); cette motivation est importante, car elle permet au locataire d’examiner le bien-fondé du montant du loyer et de décider s’il l’entend le contester15. Il souligne ailleurs que la formule obligatoire doit indiquer une motivation précise à cet égard16. Fetter relève que le formulaire officiel n’a pas pour seul but d’indiquer au locataire le loyer payé par son prédécesseur afin qu’il puisse le comparer avec le sien, mais a aussi pour fonction d’informer le nouveau locataire du motif de la fixation du loyer initial, de son droit de contester et de la procédure à suivre17. Weber met en exergue que la formule officielle vise à donner au locataire une information complète quant aux possibilités de contester le loyer initial, et qu’elle doit ainsi faire figurer jusqu’aux bases de calcul du précédent loyer18. Higi estime que même un loyer diminué par rapport à la précédente location doit faire l’objet d’une motivation sur le formulaire obligatoire19.
Même la doctrine proche des milieux immobiliers souligne que, lorsque le loyer demeure inchangé par rapport à la précédente location, le bailleur doit motiver le loyer initial sur le formulaire officiel20. Seuls deux auteurs ont des avis contraires. Muller, sans être affirmatif ni entrer dans des développements étayés, estime que seul doit être motivé un loyer initial supérieur au loyer du précédent locataire21. Enfin, Bohnet a récemment livré une analyse fouillée sur ce thème22.
3. Interprétation de la loi
3.1. Interprétation historique
L’interprétation historique (examen des travaux préparatoires) n’est pas d’une grande aide. Les débats parlementaires sont anciens (trente ans). On ne devrait ainsi pas accorder trop de poids à ce mode d’interprétation23. Ces débats n’ont en outre pas porté sur des aspects juridiques; ils furent animés par des questions politiques, notamment la possibilité de contester son loyer initial, jugée perfide par certains parlementaires24. L’art. 270 al. 2 CO résulte d’une motion parlementaire Déglise. L’auteure estimait qu’il fallait permettre au locataire d’être informé sur le droit de contester le loyer initial et le montant du précédent loyer, sans qu’il ait à solliciter cette information auprès du bailleur, pour lui éviter d’apparaître comme querelleur au début du bail déjà25.
Dans cet esprit, il faut convenir qu’une information complète du locataire doit apparaître sur le formulaire officiel. Il ne devrait pas être contraint d’entamer une procédure pour compléter son information sur un point aussi essentiel que le motif fondant la fixation du loyer initial.
3.2. Interprétation littérale
L’interprétation littérale (texte de la loi), n’est pas non plus d’un grand secours. L’art. 270 al. 2 CO se borne à accorder aux cantons la faculté de rendre obligatoire la formule officielle de notification du loyer initial. On peut relever que la loi évoque la formule officielle «mentionnée à l’art. 269d» du CO. Il ne s’agit donc que d’une référence à la formule, mais pas au contexte dans lequel cette dernière est remise (l’augmentation d’un loyer en cours de bail). L’art. 270 al 2 CO n’est pas une lex specialis qui régirait la notification du loyer initial en cas d’augmentation par rapport au précédent loyer. Il s’agit plutôt d’une norme autonome qui s’applique selon des principes similaires. Cela est confirmé par la rédaction de l’art. 19 al. 3 OBLF: la formule officielle de notification du loyer initial obéit aux règles applicables à la majoration de loyer, appliquées toutefois «par analogie».
L’interprétation littérale n’interdit donc pas la thèse selon laquelle le bailleur est tenu de motiver le loyer initial sur la formule obligatoire.
3.3. Interprétation systématique
L’interprétation systématique (cohérence interne d’un ensemble de règles), permet d’abonder dans le même sens. L’art. 109 Cst. autorise la Confédération à édicter des règles pour lutter contre les abus en matière de bail, notamment contre les loyers abusifs. Il s’agit de lutter contre les loyers abusifs, pas uniquement contre les hausses abusives de loyer26. Le titre du chapitre II de la section du CO réservée au droit du bail s’intitule «Protection contre les loyers abusifs (…)». Il prescrit les règles destinées à prémunir les locataires contre les loyers abusifs, pas uniquement contre les hausses abusives de loyers. Le titre marginal de l’art. 270 CO est également évocateur: «Contestation du loyer». Ainsi, la faculté donnée aux cantons de notifier le loyer initial sur formulaire officiel s’inscrit-elle dans le cadre d’une contestation du loyer, dont est demandée une diminution, et pas dans le cadre d’une opposition à une majoration du loyer initial par rapport à celui payé par le précédent locataire.
Il faut enfin prendre en considération l’art. 271a al. 1 let. d et e CO, qui protège le locataire contre un congé donné pendant une procédure ou dans les trois ans à compter du moment où elle a pris fin. Ces périodes de protection ne valent que si le bailleur a succombé dans une large mesure, abandonné ou considérablement réduit ses prétentions, a renoncé à saisir le juge ou a conclu une transaction. D’un point de vue systématique, il apparaît incohérent d’exiger d’un locataire pas informé sur les motifs de la fixation du loyer initial d’attraire son bailleur en justice pour les connaître et en évaluer le bien-fondé, au risque de se rendre compte que sa requête n’a d’emblée aucune chance de succès. Cela expose le locataire à un congé de représailles.
3.4. Interprétation téléologique
L’interprétation téléologique (examen du but de la loi) corrobore notre thèse. La contestation du loyer initial est primordiale dans le système de protection du locataire contre les loyers abusifs. Un loyer initial qui n’est pas contesté sert par la suite de base à toutes les adaptations de loyer ultérieures, pendant la durée du bail. Il n’est en principe pas possible, à l’occasion d’une demande de diminution du loyer pour une échéance ultérieure, de remettre en question le bien-fondé du loyer. Sauf cas particuliers, le locataire ne pourra, en cours de bail, demander une diminution du loyer que s’il a des raisons d’admettre que la chose louée procure au bailleur un rendement excessif, à cause d’une notable modification des bases de calcul résultant en particulier d’une baisse des frais (art. 270a al. 1 CO). La protection du locataire doit dès lors être assurée d’emblée contre n’importe quel loyer initial abusif; pas seulement contre une augmentation abusive du loyer initial par rapport au précédent loyer27.
Le but de la formule obligatoire est précisément de donner au locataire une information complète sur les possibilités de contester son loyer initial, afin de pouvoir déterminer s’il entend procéder à pareille démarche (au demeurant fort désagréable pour la plupart des locataires). Le caractère complet de l’information communiquée par la formule est d’autant plus crucial que le délai de saisine de l’autorité de conciliation est court (trente jours). Une telle information est particulièrement importante en période de pénurie (condition d’application de l’art. 270 al. 2 CO).
Il n’est pas rare, sur un marché pénurique, de rencontrer des loyers excessifs qui se perpétuent au changement du locataire, alors même qu’une diminution du loyer aurait trouvé sa justification dans la baisse des coûts pris en compte pour le déterminer (notamment, baisse du taux hypothécaire). Le locataire doit être en mesure de comprendre pourquoi le loyer a été fixé au montant convenu, qu’il n’a pas pu négocier. Et, comme le soulignait déjà la motion Déglise, il est peu souhaitable, a fortiori sur un marché du logement asséché, de contraindre un locataire à apparaître querelleur à son bailleur au risque, notamment lorsque le bailleur a recouru à un bail de durée déterminée, de ne pas voir son bail renouvelé à l’échéance. Or, on contraindrait immanquablement le locataire à cela s’il devait contester son loyer initial devant l’autorité de conciliation pour savoir sur quel motif le bailleur a fondé le loyer initial.
4. Conclusion
C’est à nos yeux à juste titre qu’auparavant la jurisprudence genevoise considérait que la contestation du loyer initial examine le loyer en soi, pas une augmentation du loyer28, si bien que le formulaire obligatoire doit indiquer la motivation du loyer initial. La Cour estime que pareille considération relève du fond et n’a pas d’incidence sur la problématique de la forme29. Il nous apparaît artificiel de désolidariser la forme du fond en matière de protection contre les loyers abusifs. La forme est au service du fond, pas un objectif en soi. L’indication du motif de fixation du loyer initial sur le formulaire obligatoire permet au locataire d’être complètement informé et lui évite de s’exposer à une procédure, au risque de la perdre, d’en supporter les frais (dans les cantons qui ne connaissent pas une juridiction des baux et loyers gratuite), et les conséquences néfastes (congé de représailles contre lequel il ne serait pas protégé).
Enfin, il n’y a nul besoin d’une modification légale ou réglementaire pour contraindre le bailleur à respecter pareille exigence30. Soutenir le contraire méconnaît le fait que, en matière de protection du locataire contre les loyers abusifs, le Tribunal fédéral a largement comblé les lacunes présentes dans la loi31. y
1A ce jour, sept cantons ont fait usage de cette faculté: Fribourg, Genève, Neuchâtel, Vaud, Nidwald, Zoug et Zurich.
2Ordonnance sur le bail à loyer et le bail à ferme d’habitations et de locaux commerciaux du 9 mai 1990 (RS 221.213.11).
3Par exemple, en y indiquant que le loyer initial procure au bailleur un rendement convenable.
4A ce sujet: François Bohnet, Un loyer identique à celui payé par le précédent locataire doit-il être motivé sur la formule utilisée à la conclusion d’un nouveau bail?, CdB 2017, pp. 33-42.
5La loi cantonale peut rendre obligatoire cette formule, en cas de pénurie, pour la conclusion de tout nouveau bail, mais son contenu relève du droit fédéral: Sébastien Fetter, La contestation du loyer initial. Etude de l’article 270 CO, Berne, 2005, n. 144. Il importe donc peu que certains cantons aient homologué des formules qui ne prévoient une motivation qu’en cas de hausse du loyer par rapport à celui de la précédente location. On ne saurait interpréter le droit supérieur par référence au droit inférieur.
6ATF 140 III 583, c. 3.2.1 et 3.2.2.
7TF 4A_132/2011 du 1.6.2011, c. 2.2.1. On voit mal pourquoi le TF aurait émis pareille considération si seul un loyer initial majoré devait être motivé.
8TF 4A_571/2017 du 10.7.2018, c. 4.1.2. Le TF a en revanche considéré que si le bailleur opérait une distraction de nouveaux frais accessoires, désormais facturés séparément du loyer au nouveau locataire, il appartenait au bailleur de le motiver sur le formulaire obligatoire.
9TF 4A_647/2011 du 26.1.2012, c. 2.1. Cela ne fait pourtant pas l’objet d’une mention explicite dans la loi ou dans l’ordonnance.
10ACJC/571/2018, publié in: CdB 2018, pp. 87-94, c. 2.1.2 et les références citées. Cet arrêt servira de fil rouge à notre analyse.
11Voir l’arrêt cité à la note précédente, c. 2.1.
12ACJC/571/2018, c. 2.1.2. Idem: cf. Note à l’arrêt précité de Laure Meyer, CdB 2018, p. 95 (l’ancienne jurisprudence genevoise est une «Genferei»); Bohnet, op. cit., p. 33.
13Le lecteur s’en convaincra en consultant les statistiques des autorités de conciliation: https://www.bwo.admin.ch/bwo/fr/home.html > Droit du bail > Statistiques des procédures de conciliation. Sur les sept cantons qui ont rendu obligatoire la formule de notification du loyer initial, il n’y a aucun cas de contestation à Nidwald et très peu de cas à Zoug. Dans la plupart des cas la procédure a donné lieu à un arrangement devant l’autorité de conciliation, exception faite des cantons de Genève et de Vaud.
14ACJC/571/2018, c. 2.1.3 et les références citées. L’arrêt de la Cour de justice genevoise indique, à notre avis à tort, que se dessine une doctrine majoritaire sur la question, alors même que les auteurs auxquels la Cour fait référence n’ont guère songé à celle-ci.
15David Lachat, Le bail à loyer, Lausanne, 2008, p. 535.
16CR CO I – Lachat, art. 270 CO N° 9.
17Sébastien Fetter, op. cit., N° 167. Cet auteur souligne également que l’application à la formule officielle de notification du loyer initial de règles régissant les augmentations du loyer n’est pas satisfaisante. Il faut rechercher des solutions prenant en compte le but d’information visé par l’article 270 al. 2 CO en période de pénurie: Sébastien Fetter, op. cit., N° 127.
18«Umfassende Information»: BSK OR-Weber, art. 270 N° 13.
19ZK OR-Higi, art. 270 CO N° 113.
20Hans Bättig, in: Handbücher für die Anwaltspraxis, Wohn- und Geschäftsräummiete, Beraten und Prozessieren im Immobiliarmietrecht [MÜLLER J. P. (éd.)], Bâle, 2016, N° 1.128.
21Mark Muller, La contestation du loyer initial et sa notification sur formulaire officiel, CdB 1995, pp. 1 ss, p. 12.
22Bohnet, op. cit. à la note de bas de page 4. La Cour genevoise s’en inspire largement dans l’arrêt sous revue.
23BSK ZGB-Honsell, art. 1 CC N° 9.
24Sont également d’avis que les débats parlementaires ne sont d’aucun secours pour interpréter la loi en matière de protection des locataires contre les loyers abusifs: Commentaire SVIT, art. 269-270e CO N° 2; BSK OR-Weber, art 270 CO
N° 11a, qui est d’avis que le législateur ne s’est guère penché sur les questions entourant la notification sur formulaire du loyer initial, ce qui a contraint le TF à combler cette lacune.
25BO CN 1989 p. 530.
26Giacomo Roncoroni, Die Anfechtung des Anfangsmietzinses im schweizerischen Rechtssystem, MP 2018, pp. 1 ss, pp. 24-25.
27Roncoroni, op. cit., p. 25.
28En ce sens: ATF 136 III 82, c. 3.3.
29ACJC/571/2018, c. 2.1. Du même avis: Bohnet, op. cit., p. 41.
30D’un autre avis: ACJC/571/2018, c. 2.1.7 et la référence à Bohnet.
31Voir David Lachat, op. cit., p. 372 qui est d’avis que le TF a dû compléter l’œuvre du législateur en la matière, et les critiques d’autres commentateurs qui estiment que le TF serait allé trop loin en établissant de manière prétorienne des principes comme la méthode relative de fixation du loyer, l’inefficacité des congés, la fixation du taux de rendement admissible, etc.: Commentaire SVIT, art. 269-270e CO N° 6.