Il est des interventions parlementaires qui valent la peine d’être déposées, si l’on se réfère à la quantité d’études auxquelles elles donnent lieu. Ainsi, le postulat de Thomas Aeschi (13.3672), demandant d’évaluer les besoins de légiférer sur les symboles religieux dans les bâtiments publics, a débouché sur l’attribution de trois mandats: l’un au Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH), pour analyser sur le terrain la présence et le port de symboles religieux, un deuxième à l’Université de Fribourg, afin de recenser les interventions déposées à ce sujet ces quinze dernières années dans les cantons, et un troisième à l’Institut suisse de droit comparé, pour une étude de la situation juridique dans sept pays d’Europe.
Près d’un an après la publication de la dernière étude, le Conseil fédéral rend son rapport… qui conclut à l’inutilité de légiférer au niveau fédéral. Car, d’une part, la législation en matière religieuse est de la compétence des cantons et, d’autre part, les autorités et les institutions confrontées à des conflits parviennent généralement à trouver des solutions adaptées. «Comme on pouvait s’y attendre», observe encore le gouvernement, les symboles religieux sont relativement fréquents dans les écoles des cantons catholiques, mais plutôt rares dans celles des cantons réformés. De plus, certains motifs, comme la croix catholique, reflètent autant une appartenance à une culture qu’à une religion.
«Tout ça pour ça», serait-on tenté de dire. Et pourtant, les trois études sont riches d’enseignements. Elles montrent que, s’agissant de respecter la jurisprudence du TF, il y a les bons élèves et les autres: l’arrêt (ATF 116 Ia 252) interdisant le crucifix dans les écoles publiques est par exemple appliqué à Genève, à Neuchâtel et dans le Jura, mais moins au Tessin, qui a sorti le symbole catholique des salles de classe, mais l’autorise dans les couloirs et les entrées des écoles. Quant au Valais, il continue d’autoriser les croix sur les murs des salles de classe, et connaît même un cas de licenciement d’un enseignant coupable d’avoir retiré un crucifix du mur…
Le rapport donne aussi la signification des principaux symboles des religions présentes en Suisse, de manière très instructive. Mais il se heurte parfois à des difficultés d’interprétation: «Tous les symboles ne possèdent plus forcément une connotation religieuse, à l’exemple des coqs-girouettes sur les toits des temples protestants, qui servent à indiquer la direction du vent, ou de cloches, qui sonnent pour donner l’heure.»
Il serait évidemment injuste de réduire la portée du rapport à ces quelques anecdotes… Reconnaissons qu’il documente minutieusement la manière dont les signes religieux sont acceptés, ou non, dans les bâtiments publics (y compris les tribunaux et les prisons), sur la base des règlements et de la jurisprudence cantonale et fédérale. Il montre aussi qu’au final, les interventions politiques demandant de légiférer ont rarement abouti sur le plan cantonal. Seul le canton du Tessin a adopté une interdiction de se voiler le visage dans l’espace public.
Ce constat général est loin d’être inutile, à l’heure où un mouvement se prépare à demander une interdiction de se dissimuler le visage sur le plan fédéral. Car personne n’est dupe: cette initiative est davantage animée par des velléités populistes que par un véritable souci de prévenir ou de régler les conflits.