L’institution indépendante en charge de la qualité des expertises médicales existe depuis le début de l’année 2022. Elle a pour mission de surveiller l’habilitation des centres d’expertise, les critères d’élaboration des expertises et leurs résultats pour toutes les assurances sociales, ainsi que d’émettre des recommandations publiques sur ces sujets.
Les expertises jouent un rôle central. En Suisse, entre 70 et 100 milliards de francs sont dépensés chaque année pour environ 15 000 expertises externes de l’assurance-invalidité (AI). Une majorité des décisions de rente sont aujourd’hui prises avec l’aide d’un expert externe. En 2019, 16 000 nouvelles rentes ont été accordées, soit une baisse de 42% par rapport au pic de 2003. Les assurances-accidents s’appuient également sur des expertises médicales externes pour le traitement des cas.
La Commission d’assurance qualité des expertises médicales a commencé ses travaux il y a un an. Elle est composée du président Michael Liebrenz et de douze membres. Y sont représentés les assurances sociales, les centres d’expertise, les représentants des médecins, les neuropsychologues, les milieux scientifiques, le secteur de la formation en médecine des assurances ainsi que les organisations de patients et d’aide aux personnes handicapées. L’avocat zurichois Luzius Hafen, spécialisé dans la responsabilité civile et en droit des assurances, déplore que les avocats ne soient pas représentés au sein de la commission. Il place toutefois de grands espoirs dans le président de la commission, qui a fait preuve d’une grande compétence professionnelle et d’indépendance dans son travail pratique.
Incitations à un temps d’examen court
Avant d’être nommé président de la commission, Michael Liebrenz, du service de psychiatrie médico-légale de l’Université de Berne, avait été chargé par le Département fédéral de l’intérieur (DFI) d’évaluer l’expertise médicale dans l’AI. Son rapport indiquait par exemple: «Outre une communication dysfonctionnelle, même au-delà de la compétence d’expertise dans la procédure, une durée d’expertise trop courte est un défaut souvent critiqué, surtout dans le domaine des examens psychiatriques. Trois aspects doivent être soulignés ici: premièrement, la durée (trop) courte de l’examen résulte de la rémunération forfaitaire parfois dérisoire des experts. Un examen plus court permet donc, d’une part, d’augmenter le salaire horaire réalisable, et, d’autre part, d’effectuer plusieurs examens dans la même journée. Il ne faut pas s’attendre à ce que les lignes directrices en vigueur quant à la profondeur de l’examen soient respectées en cas d’incitations de ce type.»
Depuis des années, l’organisation de patients Inclusion Handicap, par le biais de son centre de déclarations des expertises AI, enregistre des critiques à l’encontre des mêmes médecins et instituts. Les intéressés rapportent que les entretiens d’expertise ne durent même pas 15 minutes. En outre, des expertises ont été établies sans que le médecin n’ait vu la personne concernée. Les associations de personnes handicapées et les avocats des assurances critiquent le fait que de nombreux médecins ne sont pas indépendants et établissent leurs expertises en fonction des goûts de l’assurance. Certains médecins et instituts gagneraient jusqu’à plusieurs millions de francs par an avec de telles expertises de complaisance.
Le fait que l’OFAS ait proposé Michael Liebrenz comme président de la commission et que le Conseil fédéral ait approuvé cette proposition en novembre 2021 indique que des changements sont envisagés. Dans son étude, Liebrenz a toutefois exigé que la commission prévue «ne se contente pas de formuler des recommandations publiques, mais qu’elle ait la compétence d’émettre des directives contraignantes et de les contrôler régulièrement». En tant qu’organe de surveillance, elle devrait en outre avoir la compétence de «sanctionner des experts et des bureaux d’expertise qui ne respectent pas les conditions d’habilitation – ou qui se font remarquer par des défauts qualitatifs répétés lors de l’expertise».
Mais aujourd’hui, la commission peut uniquement émettre des recommandations. «Elle n’a pas la possibilité d’infliger des sanctions», critique l’avocat zurichois Soluna Girón. Pour que la commission puisse garantir une surveillance efficace, elle doit pouvoir émettre des directives contraignantes. Dans le cas contraire, les recommandations risquent de connaître le même sort que les directives d’expertise des sociétés médicales spécialisées exigées à l’origine par le Tribunal fédéral, auxquelles divers experts n’ont finalement pas adhéré.
L’avocat neuchâtelois Marc Zürcher, qui siège au sein de la commission au nom de l’organisation de personnes handicapées Procap, espère toutefois que les recommandations deviendront au fil du temps des «critères contraignants» – «notamment grâce à la jurisprudence et à la pratique elle-même». Le président de la commission opine: «J’ai l’impression qu’il existe une réelle volonté politique de prendre en compte nos recommandations». De plus, les recommandations sont rendues publiques. «Cela permet de créer une pression publique pour qu’elles soient mises en œuvre», explique le professeur de psychiatrie bernois. La commission prévoit de publier ses premières recommandations au cours du premier semestre 2023.
Point de vue des assurés
La commission dispose d’un budget de plus de 1 million de francs par année. Selon Liebrenz, la commission a créé un service spécialisé doté de 3,3 emplois plein temps dirigé par un juriste, un médecin et un scientifique et qui est responsable des affaires courantes. Sur le plan administratif, les collaborateurs sont rattachés à l’Office fédéral des assurances sociales. Selon Liebrenz, la commission veut vérifier la qualité des expertises recueillies au hasard par le biais d’une procédure de revues par les pairs anonyme.
Les enquêtes doivent également inclure le point de vue des patients et des assurés: «Nous aimerions savoir comment les personnes concernées perçoivent la procédure d’expertise», explique Marc Zürcher, le représentant de Procap.
Les critiques exprimées publiquement par les personnes concernées indiquent fondamentalement un manque de confiance dans le système actuel d’expertise, «raison pour laquelle nous estimons que des mesures concrètes sont nécessaires pour augmenter le degré d’acceptation et de confiance. En fin de compte, les personnes concernées doivent ressentir que le processus d’expertise est équitable», selon Liebrenz. ❙