«J'ai fait beaucoup de stages. Et c'est vraiment n'importe quoi qu'on ne me paie pas. Je travaille et c'est fatigant et le seul truc que j'ai tout le temps à la fin de la semaine, c'est des salutations et des remerciements... » témoigne une internaute suisse sur un site dédié aux relations de travail. «En sortant de sociologie, il n'était pas facile de m'insérer sur le marché du travail. J'ai trouvé ces stages par moi-même, dans l'espoir d'acquérir l'expérience professionnelle qui me manquait», lui fait écho une jeune cadre de l'Université de Lausanne, qui a commencé sa carrière par trois ans de stages de longue durée et d'emplois temporaires faiblement indemnisés.
Elle explique: «Je vivais encore chez mes parents et j'ai postulé dans des entreprises qui m'intéressaient. J'ai notamment fait un stage à la Radio suisse romande où je n'étais pas rétribuée, chez un important éditeur romand où j'étais payée 500, puis 1000 fr. par mois pour faire un suivi administratif d'offres marketing, puis à la Confédération où j'ai enfin touché un salaire de 3600 fr. environ. Avec le recul, je résume ces expériences en disant qu'il faut savoir d'emblée si l'employeur a la volonté d'offrir quelque chose de formateur ou s'il ne veut qu'exploiter quelqu'un à bon marché. A la radio, j'ai pu, par exemple, participer au briefing du matin et au choix des sujets à traiter;on m'a donné de petits reportages à faire, des montages sonores, j'avais tout de même certaines responsabilités. En revanche, dans la maison d'édition où je travaillais, j'avais compris en une semaine quelle tâche répétitive il s'agissait de faire: elle avait besoin d'une petite main qui ne coûtait pas cher, et c'est pour cela qu'elle prenait un stagiaire, et non un employé.»
Ces emplois sont qualifiés d'«atypiques précaires», car ils octroient un revenu inférieur à 60% du salaire médian, qui était de 5823 fr. selon une étude de l'Office fédéral de la statistique de 2008. Des postes qui ont augmenté en Suisse de 0,4% entre 2002 et 2008, relève une étude du bureau Ecoplan1 (derniers chiffres connus). Cette année-là, quelque 140000 personnes occupaient un tel poste dans notre pays. Ecoplan soulignait alors que les stages représentaient, depuis 2004, près de deux tiers des nouveaux emplois «atypiques précaires» de durée déterminée. Ils étaient prioritairement occupés par des jeunes et des femmes.
«Flou artistique»
«Nous rencontrons toujours plus de jeunes qui font un apprentissage, puis un stage», confirme Luc Python, secrétaire central de la Société suisse des employés de commerce pour la Suisse romande (SEC). Il poursuit: «Si vous sortez de l'université, le stage est aussi souvent un passage obligé. En outre, c'est une notion entourée de flou artistique: si stage il y a, cela signifie que l'occupation a un caractère formateur. Or, la tendance de certaines entreprises est d'appeler «stages» des emplois où l'on n'apprend rien, mais où l'on profite parfois d'une main-d'œuvre à bon marché. On peut d'ailleurs se demander si une telle pratique est favorable à l'efficacité de l'entreprise. Si le stage n'est pas payé, la personne engagée ne fera pas toujours preuve d'un grand engagement et l'employeur ne pourra pas non plus exiger beaucoup d'elle. Il faut redéfinir plus concrètement les différents types de stages et les rémunérations que ces stagiaires sont en droit d'attendre. C'est pourquoi nous avons sorti, l'an dernier en français, la brochure «Diversité des stages - Conditions d'engagement et salaires.»
Cette brochure recommande, par exemple, d'exclure tout «stage» proposé après la formation professionnelle initiale dans le métier qui a été appris. En effet, la personne ayant terminé un apprentissage est parfaitement au courant de la tâche à accomplir, sa capacité de travail est complète et le stage n'a aucun caractère formateur. Les seuls cas admissibles surviennent lors d'un changement de branche après la formation initiale, par exemple pour un apprenti de commerce dans une entreprise de construction en bois qui souhaite se réorienter dans la banque ou les assurances. En pareille situation, un salaire minimal de 1800 fr. du 1e au 3e mois et de 2400 fr. du 4e au 6e mois est recommandé. De même, pour les titulaires d'un master universitaire, un salaire mensuel de 3200 fr. au minimum devrait être versé.
«Un contrat de travail usuel»
L'Union syndicale suisse estime, de son côté, qu'un «stage est un contrat de travail usuel qui doit en respecter toutes les règles, indique son secrétaire central Jean-Christophe Schwaab. Pour déterminer le salaire, il faut, lors de la conclusion du contrat, définir quelle est la partie «prestation de travail» et quelle est la partie «formation». En ce qui concerne la partie «travail», nous revendiquons que le salaire usuel de la branche (par exemple celui prévu par la CCT) soit versé. Pour la partie «formation», un salaire moindre est acceptable et son montant doit correspondre à un revenu d'apprenti. A notre avis, il ne faut pas simplement considérer le stage comme un contrat d'apprentissage, car ce dernier est un rapport de travail dont les moindres détails sont prévus dans les ordonnances de formation, alors que le contenu d'un stage est laissé à la libre appréciation des parties au contrat et n'a pas à respecter les conditions strictes du contrat d'apprentissage; il n'est donc pas soumis à des règles protectrices particulières et impératives.»
Il n'en reste pas moins que, même si le contenu dépend de la négociation entre employeur et employé, une rémunération est obligatoire, car il s'agit bien d'un contrat de travail, explique encore Jean-Christophe Schwaab: «Cette règle vaut à notre avis pour toute forme de stage (sauf pour les stages professionnels de l'assurance chômage dont le statut est réglé par la loi), y compris ceux qui sont suivis à des fins d'orientation. Ces derniers, même s'ils durent peu de temps et si la prestation de travail est par nature peu importante, devraient donner droit à un salaire, fût-il symbolique, étant donné qu'il s'agit de découvrir le monde du travail, ses contraintes (horaires, discipline, etc.), mais aussi ses avantages (salaire).»
Pratiques dans la presse
En pratique, «plus l'entreprise dans laquelle tu fais un stage est prestigieuse, moins tu es payé», constate avec réalisme le site etudiants.ch. «Nous recevons entre 100 et 150 demandes de stage par année, et cela m'embêterait qu'il y ait une obligation de rémunérer ces stagiaires», lâche pour sa part Ignace Jeannerat, secrétaire général et membre de la rédaction en chef du quotidien Le Temps, qui engage chaque année des bénévoles gratuits. «Je vois cela comme une opération «gagnant-gagnant, précise-t-il. Nous accueillons des volontaires pour trois semaines, sans rémunération, ils peuvent écrire, découvrir de l'intérieur une rédaction et vérifier s'ils se sentent prêts à adopter un tel métier. Nous les voyons à l'œuvre durant ce temps et pouvons repérer des talents. Ces dernières années, tous les stagiaires journalistes que nous avons engagés pour commencer une formation conforme aux normes du Centre romand de formation des journalistes (formation en emploi) avaient préalablement effectué un telle activité non rémunérée. Nous leur exposons clairement les règles du jeu et, vu le caractère réduit de cet engagement, cela ne me paraît pas abusif.»
A noter que ces travailleurs sont généralement titulaires d'une maîtrise universitaire, voire d'une formation postgrade. Le Temps accueille parallèlement les étudiants de l'Académie du journalisme et des médias (AJM) de l'Université de Neuchâtel, rémunérés selon un contrat prévoyant un salaire de 1000 fr. par mois pour huit à dix semaines.
«Voir les jeunes à l'œuvre»
«Il ne faut pas fermer la porte à ceux qui sont prêts à faire preuve de bénévolat. Cela nous permet aussi de recruter des gens qu'on a vus à l'œuvre», ajoute le directeur de Ringier Romandie et vice-président de Presse Suisse Daniel Pillard. Il relève que, sein de ce groupe de presse, seul L'Hebdo a eu recours à cette pratique en été ou durant deux ou trois mois en engageant des journalistes libres sans leur proposer de salaire. Néanmoins, tous ont été payés pour les articles parus, sur la base de la moitié du tarif à la page proposé aux journalistes inscrits au Registre professionnel. Cette pratique tend à se réduire depuis le lancement d'une opération mobilisant chaque été cinq jeunes pour un concours de reportages. «Actuellement, les seuls stagiaires non rémunérés que nous accueillons sont les collégiens et les gymnasiens qui viennent passer une
semaine en entreprise. Les autres stagiaires adressés par les écoles (AJM, Polycom) sont rétribués au moins 1000 fr. par mois.»
«Nous n'avons que des stages d'observation ne dépassant pas quinze jours qui ne sont pas rémunérés», relativise aussi Joëlle Hofelmann, chef du Service développement ressources humaines de la Radio télévision suisse. Quant aux «stages complémentaire/école», par exemple au métier d'électronicien au sein du département technique de la RTS, qui est «non payé, mais défrayé» et s'adresse à une personne en cours de formation, «il répond à des accords que nous avons avec les écoles formatrices. Par honnêteté, nous précisons que seul un défraiement de 1000 à 1500 fr. sera versé pour un plein temps. Leur durée est de deux à six à sept mois au maximum.» Joëlle Hofelmann précise que «le juriste de la RTS lui a assuré que ces stages ne posaient pas de problème au regard du droit du travail».
Les volontariats du DFAE
Enfin, l'Administration fédérale elle-même propose parfois des stages gratuits: c'est le cas du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), qui offre des volontariats de quatre mois aux diplômés universitaires prêts à mettre à l'épreuve leurs qualités au sein des représentations de la Suisse à l'étranger. «Nous estimons que plus d'une centaine de demandes sont transmises chaque année à nos ambassades, indique Jenny Piaget, porte-parole du DFAE. Les volontaires qui effectuent un stage d'initiation dans une représentation suisse signent un contrat de travail selon le droit local. L'indemnité offerte correspond à 25% du salaire moyen des employés locaux hautement qualifiés de l'ambassade.» Le DFAE indique que la majorité des volontaires sont satisfaits de pouvoir mettre à l'épreuve les connaissances théoriques apprises à l'université, tout en éprouvant sur place les conditions de vie de la population et en connaissant le pays d'accueil de l'intérieur. Il entend maintenir de telles offres.