Au cours de la prolifique saga des arrêts UBS qui a débuté en mars 2009, le Tribunal administratif fédéral (TAF) s'est successivement employé à (i) reconnaître la probable commission d'une fraude fiscale massive par UBS, en raison de sa position d'intermédiaire qualifiée, qui constituait pour les autorités fiscales américaines une véritable délégation de leurs tâches de contrôle; (ii) constater une violation caractérisée de la loi sur les banques et du droit à la protection de la sphère privée par l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma); (iii) rappeler qu'un accord amiable ne pouvait déroger au texte d'un accord international, avant de rendre cet été un arrêt de principe qui a mis fin aux espoirs des contribuables américains de bénéficier du secret qui leur avait pourtant été garanti. Peut-on être traité différemment pour avoir eu la mauvaise idée d'ouvrir un compte à UBS et non à Crédit Suisse, par exemple? C'est ce qu'a dû admettre le TAF pour ne pas laisser sombrer une entreprise «too big to fail». En déclarant l'Accord UBS, tel qu'approuvé par l'Assemblée fédérale, exempt de tout vice, et donc valable, le dernier bastion de l'ordre juridique a fini par plier. Cela, alors que des doutes raisonnables se sont élevés au sujet de la validité formelle, mais aussi matérielle, de cet accord. Dans la même affaire, le TAF a, en outre, déjà sanctionné à plusieurs reprises l'Administration fédérale des contributions (AFC) pour des violations du droit d'être entendu des contribuables concernés.
Ce sont, ainsi, tour à tour, UBS en qualité d'intermédiaire qualifié, la Finma, le Conseil fédéral et l'AFC que l'on a surpris à commettre des entorses aux principes de l'Etat de droit. Peut-être que des raisons économiques impérieuses le justifiaient. Ce qui est sûr, c'est que, en effet, «en politique, le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal» (Nicolas Machiavel).
Dans l'intervalle, la Suisse a déjà renégocié une trentaine de conventions de lutte contre la double imposition (CDI) conformes aux standards de l'article 26 du Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l'OCDE (MC OCDE). Il en résulte que la Suisse s'oblige désormais non seulement à échanger les renseignements fiscaux vraisemblablement pertinents pour l'application des CDI, mais également ceux qui servent à appliquer le droit fiscal interne de ses partenaires conventionnels. Le caractère dualiste du droit fiscal suisse qui suppose de distinguer entre soustraction (Steuerhinterziehung) et fraude fiscale (Steuerbetrug) pour obtenir la levée du secret bancaire n'aura plus qu'une portée interne. Dans un cas d'entraide, selon l'article 26 MC OCDE, peu importe les subtiles distinctions de comportements opérées par l'Etat requis, ce qui compte, c'est que l'Etat requérant considère que son droit n'a pas été correctement appliqué. Coopérer à l'application du droit fiscal d'un autre Etat implique, au demeurant, de se soumettre à l'appréciation de ce dernier pour déterminer les renseignements qui lui sont nécessaires. La portée de l'obligation réciproque d'échanger des renseignements fiscaux a donc été considérablement étendue pour la Suisse.
Reconnaître que le secret bancaire ne pourra plus être invoqué à titre d'opposition à une demande d'assistance étrangère ne doit toutefois pas tromper sur le fait que, en l'absence d'une demande concrète, il restera «fiscalement intact». Les autorités suisses ne donneront par ailleurs, à aucun moment, des renseignements fiscaux ou bancaires de façon spontanée ou automatique. Le passage à un échange de renseignements automatique, à l'instar de ce qui est pratiqué au sein de l'Union européenne, aurait pour conséquence de réduire quasiment à néant la portée du secret bancaire helvétique. Or, il n'en est rien. La Suisse a clairement affirmé lors des négociations de chacune de ses nouvelles CDI que l'entraide aurait lieu uniquement sur demande. Le Conseil fédéral l'a confirmé dans son ordonnance d'exécution.
On jugera sans doute a posteriori que, au cours de cette transition, la fin a parfois justifié les moyens. Espérons que l'ère nouvelle s'annonce sous de meilleurs auspices.
Fabien Liégeois, Avocat du barreau de Genève et assistant-doctorant des professeurs Christian Bovet et Xavier Oberson
*L'auteur a obtenu, en septembre 2010, le Prix de l'Ordre romand des experts fiscaux diplômés (OREF) pour une contribution scientifique sur le secret bancaire et l'échange de renseignements en matière fiscale, à paraître.