Une procédure de libération des dettes verra-t-elle le jour en Suisse?
Pour les personnes concernées, le surendettement représente une préoccupation quotidienne et une source de honte. La plupart des débiteurs surendettés souhaitent avant tout rembourser leurs dettes et vivre sans ce fardeau.
Dans l’opinion publique, la question du surendettement est vite réglée: une dette, ça se paie. Dans les cas de rigueur, une remise peut être accordée au cas par cas et pour des motifs impérieux – en particulier, aucune faute ne doit pouvoir être reprochée au débiteur à la situation obérée.
Est-ce si simple?
De nombreuses facettes de la question du surendettement sont le plus souvent occultées dans le débat public: le surendettement passif de la majorité des débiteurs, ses causes systémiques, la spirale du surendettement provoquée notamment par les règles actuelles en matière de saisie de salaire et l’impossibilité, pour un grand nombre de débiteurs surendettés, de rembourser leurs dettes.
Cet article traite de certaines de ces questions fondamentales – et des réponses à y apporter – à la lumière d’un enjeu majeur du droit de l’exécution forcée: l’avant-projet d’assainissement pour les personnes physiques soumis à consultation publique jusqu’à la fin septembre 2022.
1. Le projet d’assainissement des personnes physiques
L’avant-projet modifie deux institutions de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) en introduisant une procédure concordataire simplifiée pour les débiteurs qui ne sont pas soumis à la poursuite par voie de faillite et une procédure de faillite par assainissement des dettes ouverte à toutes les personnes physiques. Cette dernière s’articule en trois phases:
1.1 L’ouverture de la procédure
Tout d’abord l’ouverture de la procédure, qui, comme pour la faillite personnelle consacrée aux articles 191 et suivants de la LP, est requise par le débiteur auprès du juge. Tous les particuliers, également les indépendants, peuvent demander son ouverture. Le juge l’accorde aux conditions suivantes (art. 337 AP-LP):
le débiteur est durablement insolvable;
- l’homologation d’un concordat ou un règlement amiable des dettes paraît impossible;
- le débiteur rend vraisemblable que son budget est équilibré;
- il n’a pas bénéficié d’une libération de l’obligation de payer le solde de sa dette au cours des 15 dernières années;
- aucune procédure pénale en matière de poursuites n’est en cours à son encontre.
Une fois la procédure ouverte, l’office des faillites procède à un inventaire et à des mesures d’administration de la faillite. Il va aussi dresser, avec le débiteur, l’une des pièces maîtresses de la procédure: le plan d’assainissement des dettes.
Cet instrument, qui provient du désendettement, donc de l’établissement de propositions de remboursement intégral ou partiel des dettes, comprend les éléments suivants (art. 343 AP-LP):
- l’ensemble des biens prélevés par l’office des faillites;
- les revenus et autres biens qui échoiront probablement au débiteur pendant la procédure d’assainissement;
- les recherches que le débiteur a prévu de mener pour réaliser des revenus et d’autres biens;
- le cas échéant, le taux de remboursement escompté et la distribution prévue.
À noter que les créanciers et l’office des faillites peuvent, à la suite du dépôt du plan d’assainissement, demander au juge de mettre un terme à la procédure d’assainissement (art. 344 AP-LP). Ainsi, et contrairement à la procédure de faillite personnelle que nous connaissons actuellement, un droit est conféré aux créanciers. L’avis des créanciers est également requis en fin de procédure (art. 349 al. 1 AP-LP).
1.2 Une phase de prélèvement de quatre ans
La deuxième phase de la procédure est confiée aux offices des poursuites qui procèdent à une saisie selon l’article 346 AP-LP qui diffère sur plusieurs points de la saisie ordinaire. En premier lieu, la saisie peut être nulle. Autrement dit, le désintéressement, même partiel, des créanciers, n’est pas une condition de l’aboutissement de l’assainissement. Deuxièmement, la saisie et la réalisation ont lieu d’office et profitent à l’ensemble des créanciers. Troisièmement le minimum vital du débiteur et de sa famille, donc la quote-part de salaire insaisissable, se calcule en tenant compte des impôts courants (art. 339 let. a al. 1 AP-LP). Enfin, l’Office des poursuites doit contrôler le comportement du débiteur, en particulier le fait qu’il s’efforce de réaliser des revenus. À ces fins, il peut demander des renseignements aux offices et autorités qui versent des prestations étatiques au débiteur et contrôlent ses recherches de revenus (par exemple aux assurances sociales ou à l’aide sociale; art. 347 AP-LP). Cette phase dure quatre ans.
1.3 Les cas d’échec de la procédure
Pendant toute la durée de cette période, le débiteur peut être mis en échec et la procédure s’arrêter, sur requête de l’office des poursuites au juge, dans les cas de figure suivants (art. 348 AP-LP): les revenus saisissables sont plus bas qu’indiqué dans le plan d’assainissement des dettes par faute du débiteur; l’office juge que les recherches de revenus menées par le débiteur sont manifestement insuffisantes; ou il existe de nouvelles dettes. Dans ces situations, la procédure se poursuit sous la forme d’une faillite personnelle (art. 344 al. 2 AP-LP).
1.4 La clôture de la procédure d’assainissement et la libération du solde de la dette
Au terme des quatre ans, l’office des poursuites dresse le tableau de distribution et remet aux créanciers un rapport sur le déroulement de la procédure et le montant du solde des dettes, en leur impartissant un délai pour dire s’ils estiment que les conditions de la libération du solde des dettes sont remplies (art. 349 al. 1 AP-LP). Le juge de la faillite clôture la procédure et prononce la libération du solde des dettes aux conditions suivantes (art. 349 al. 3 AP-LP):
- le débiteur a rempli ses obligations de renseigner, de remettre les objets, de coopérer et de faire rapport;
- ses recherches de revenus n’étaient pas manifestement insuffisantes;
- il n’a pas contracté de nouvelles dettes;
- aucune condamnation n’a été prononcée et aucune procédure pénale concernant des crimes et délits en matière de poursuites et de faillite n’est en cours.
1.5 Les dettes effacées, les dettes qui restent
Certaines dettes sont exclues de la libération (art. 350a AP-LP): il s’agit des amendes, des peines pécuniaires et des sanctions administratives à caractère pénal, des prétentions en réparation morale, des contributions d’entretien et d’aliments découlant du droit de la famille si les prétentions ne sont pas passées à la collectivité publique, les demandes de remboursement de prestations d’aide sociale et les demandes de remboursement de prestations indues des assurances sociales. Ces dettes-là se transforment, lors de la clôture de la procédure, en actes de défaut de biens après faillite.
2. Les enjeux de ce débat ou la recherche d’un nouvel équilibre
Il faut saluer ce projet, qui apporte un correctif ponctuel bienvenu à l’assignation à vie de la majorité des débiteurs surendettés à l’office des poursuites. Cependant, l’effectivité réelle de la nouvelle procédure dépendra de son architecture concrète. En voici les principaux enjeux:
2.1 L’accès à la procédure quelle que soit la quotité de remboursement
Pour peu que les conditions d’ouverture de l’art. 337 AP-LP soient réunies, tant les débiteurs dont le budget dégage un disponible que ceux qui ne peuvent pas du tout désintéresser leurs créanciers doivent pouvoir mener la procédure à terme. Telle est la teneur du mandat conféré par le Parlement au Conseil fédéral par l’acceptation des deux motions qui ont donné naissance à ce projet.
Ce point est crucial, car il touche de nombreux débiteurs et pas uniquement les «cas désespérés» dont il est question dans le rapport explicatif du Conseil fédéral. Deux études récentes ont montré qu’une grande partie de la population vit avec des moyens financiers plus que modestes en travaillant, en élevant ses enfants et sans nécessairement percevoir des prestations des assurances sociales ou de l’aide sociale. À titre d’illustration, le revenu médian annuel d’un ménage s’élève, selon l’étude de l’OFAS, à 63 470 francs. Si ce revenu peut permettre à une famille de quatre personnes de subsister, il semble difficile d’en dégager un disponible pour régler d’hypothétiques dettes. Ceci d’autant plus que les éventuelles saisies effectuées lors de la phase de prélèvement se calculent sur la base d’un minimum vital selon le droit des poursuites élargi aux impôts courants, qui est sensiblement plus haut que le minimum vital LP actuellement utilisé pour calculer la saisie ordinaire.
Or, même si aucune disposition n’empêche les débiteurs dont le budget ne dégage aucun disponible de traverser la procédure avec succès, l’avant-projet de loi a été pensé et rédigé dans l’optique d’un désintéressement, même partiel, des créanciers. À titre d’illustration, il prévoit une phase de prélèvement, puis la libération du solde de la dette au lieu, par exemple, d’un délai d’épreuve et d’une libération des dettes restantes. Des répercussions importantes pourraient découler en particulier de la conception actuelle du plan d’assainissement (art. 343 AP-LP), qui représente l’un des instruments centraux de la procédure, car il en mesure le succès ou en conditionne l’échec (art. 348 al. 1 let. a et 349 AP-LP).
S’il semble évident qu’une procédure aboutissant à la libération des dettes ne peut être conduite qu’avec des débiteurs dont le budget est équilibré et que l’abus de droit doit être prohibé, un plan d’assainissement rigide pourrait rendre l’instrument inefficient en en faisant dépendre le succès de conditions incohérentes.
En effet, tel qu’il est prévu actuellement, le plan d’assainissement pose un pronostic sur les biens et les revenus qui échoiront au débiteur pendant la durée de la procédure d’assainissement (art. 343 al. 1 let. c AP-LP) et fixe le taux de remboursement escompté et la distribution prévue (art. 343 al. 1 let. e AP-LP). Cet instrument provient du désendettement, il est communément utilisé lors de négociations avec les créanciers et permet d’établir la quotité de remboursement des dettes. Or, la procédure dont il est question ici a justement pour objectif de combler une lacune dans le droit de l’assainissement en permettant aux débiteurs qui ne peuvent se désendetter avec les procédures actuelles de se libérer de leurs dettes, et l’une de ses conditions d’ouverture est justement l’impossibilité d’homologuer un concordat ou un règlement à l’amiable des dettes.
Un plan d’assainissement rigide qui se prononce sur le taux de remboursement escompté et la distribution prévue après quatre ans de prélèvement se trouve en contradiction avec le dynamisme de la saisie appliquée lors du prélèvement (art. 346 al. 1 AP-LP), qui s’adapte ponctuellement aux besoins vitaux que le débiteur et sa famille ne manqueront pas de rencontrer pendant les quatre ans que devrait durer cette phase. Le danger d’un plan d’assainissement chiffré au franc près, sans qu’un poste du budget du débiteur ne soit consacré aux dépenses ponctuelles indispensables, se révèle tant pendant la phase de prélèvement (art. 348 al. 1 let. a AP-LP) qu’en fin de procédure (art. 349 al. 2 AP-LP): tout écart à ce plan devra être dûment justifié par le débiteur, sous peine que la procédure tout entière soit mise en échec et que la libération des dettes ne puisse être prononcée.
Que les personnes physiques puissent se désendetter sans rembourser, même partiellement, leurs créanciers, est une idée totalement étrangère à notre droit de l’exécution forcée. Un débiteur failli conserve ses dettes sous forme d’actes de défaut de biens après faillite, qui jouissent d’une imprescriptibilité de fait. La seule exception à ce principe semble être la répudiation de l’héritage, saisissante illustration de l’adage de William Shakespeare: «Qui meurt paie ses dettes.»
Qu’en est-il de cet impératif de remboursement dans les faits? Les sommes en jeu sont importantes, puisque 6% des personnes physiques en Suisse possèdent au moins un acte de défaut de biens et que plusieurs millions d’actes de défaut de biens sont en circulation, qui représentent un volume estimé à environ 20 milliards de francs. Une étude commandée à Ecoplan dans le cadre de cet avant-projet révèle que la valeur des actes de défaut de biens se modifie au cours du temps: s’il est possible de recouvrer une partie ou la totalité de la créance directement après l’établissement du premier acte de défaut de biens, le taux de recouvrement baisse ensuite pendant les premières années. Le volume de remboursement le plus important a lieu entre la 3e et la 8e année après l’établissement du premier acte de défaut de biens pour une créance donnée. La valeur des actes de défaut de biens plus anciens tend vers zéro.
Le taux de remboursement général des actes de défaut de biens sur toute la durée de leur gestion s’élève à 17%, selon une enquête réalisée par la faîtière Recouvrement suisse auprès de ses membres. Par ailleurs, 60% des actes de défaut de biens ne donnent lieu à aucun remboursement, 28% à un remboursement partiel et 12% à un remboursement total de la dette; ces derniers concernent souvent des créances de moins de 1000 francs.
L’on peut déduire de ces considérations que les personnes qui pourront accéder à la nouvelle procédure visant à la libération des dettes restantes, donc les débiteurs surendettés durablement insolvables, sont également ceux pour lesquels les démarches de recouvrement des actes de défaut de biens se montrent le plus souvent infructueuses. Dans le cadre de la procédure de saisie actuelle, ces débiteurs surendettés sont continuellement mis en échec par leur impossibilité à désintéresser leurs créanciers, une impossibilité qui se heurte à l’impératif de remboursement qui sous-tend le droit de l’exécution forcée et qui s’est encore durci à la suite de la jurisprudence du Tribunal fédéral déclarant abusive la requête de faillite personnelle d’un débiteur qui n’avait plus d’actifs à répartir entre les créanciers.
Du point de vue des créanciers également, la gestion de créances partiellement irrécouvrables représente un investissement important, tant du point de vue administratif que financier, pour un résultat insatisfaisant. Enfin, du point de vue des offices des poursuites, la remise dans le circuit de ces créances produit une activité administrative dont la finalité peut être questionnée, dans la mesure où elle ne permet ni le remboursement des créanciers, ni le rétablissement économique des débiteurs. Nous ne pouvons que souscrire à la constatation posée dans le rapport qui accompagne l’avant-projet, selon laquelle «l’endettement à vie des personnes concernées, qui est le résultat de la pratique actuelle, est difficilement justifiable, vu les conséquences graves qu’il a pour les débiteurs et leurs familles, alors que les créanciers n’en tirent souvent aucun avantage. À l’inverse, si une personne peut, grâce à un assainissement financier, s’affranchir des aides de l’État et se réinsérer dans le circuit économique, ce ne sont pas seulement elle et sa famille qui en profitent, mais aussi l’État et la société dans son ensemble.»
2.2 La durée de la procédure de prélèvement, ou du délai d’épreuve
L’avant-projet propose une procédure de prélèvement sur quatre ans. Le rapport explicatif le mentionne explicitement: cette durée résulte d’un compromis entre la position des créanciers privés, qui demandent une procédure sur sept ans, et celle des spécialistes en matière de gestion de dettes et de désendettement, pour lesquels la durée de cette phase ne devrait pas excéder trois ans. La question de la durée de la procédure est centrale, du point de vue de l’effectivité réelle de l’instrument. En effet, de devoir vivre avec un budget réduit au minimum vital en suivant les obligations en matière de comportement et d’équilibre budgétaire sur une (trop) longue durée augmente les risques «que les multiples rouages qui conditionnent un assainissement réussi des dettes ne s’imbriquent plus de manière optimale.»Le délai de quatre ans représente une anomalie, tant dans le paysage du droit de l’assainissement que dans le droit de la consommation, en particulier en matière d’examen de la capacité de contracter un crédit à la consommation, qui s’effectue sur trois ans, notamment pour des raisons de prédictibilité.
Des éléments de droit comparé confirment le bien-fondé d’une durée raisonnable de la phase de prélèvement ou du délai d’épreuve: l’Allemagne et l’Autriche, deux pays dans lesquels une procédure similaire existe depuis un certain temps, en ont tous deux réduit la durée à trois ans. Cela non seulement en raison de l’adoption, par l’Union européenne, d’une nouvelle directive, mais aussi parce que la durée de la procédure constituait un facteur d’échec dans de trop nombreuses situations.
2.3 La mise en œuvre de la procédure et le rôle du travail social
La nouvelle procédure de libération des dettes restantes modifie en profondeur le rôle tant du débiteur que de l’office responsable du bon déroulement de la procédure et en particulier de l’office des poursuites. En effet, contrairement à la saisie ordinaire, qui est imposée au débiteur, celui-ci est tenu de devenir l’acteur de son désendettement dans la nouvelle procédure de libération des dettes restantes, que le juge ouvre à sa demande (art. 337 AP-LP). Déjà lors de l’établissement du plan d’assainissement des dettes (art. 343 AP-LP), puis pendant toute la phase de prélèvement, ou du délai d’épreuve, où une collaboration accrue est attendue de lui, qui s’ajoute à l’exigence de tenir un budget à hauteur du minimum vital sans produire de nouvelles dettes.
La nouvelle procédure assigne aussi un rôle inédit aux offices des poursuites et aux offices des faillites: de spécialistes de l’exécution forcée, ces offices deviennent les autorités sous l’égide desquelles se planifie, puis se déroule l’assainissement des débiteurs souhaitant se désendetter par le biais de ce nouvel instrument.
Les offices des poursuites devront notamment contrôler que le débiteur recherche des revenus et que ces recherches soient «manifestement suffisantes» (art. 347 AP-LP, art. 348 al. 1 let. b AP-LP). Cette obligation ne devrait pas soulever de questions particulières dans le cas de débiteurs déjà contraints à des prescriptions du même type par une assurance sociale ou par l’aide sociale (art. 347 al. 2 AP-LP). En revanche, la situation de débiteurs qui travaillent, peut-être à temps partiel, par exemple pour des raisons familiales ou de santé, sera susceptible de faire l’objet d’arbitrage de la part d’une autorité qui ne détient pas d’expertise dans le domaine de l’insertion professionnelle ou du travail social.
Une collaboration proactive entre offices des poursuites et débiteurs est également indispensable à la sauvegarde de l’équilibre budgétaire de ces derniers, un équilibre qui représente une condition centrale de la libération des dettes restantes (art. 348 al. 1 let. c AP-LP). Or, cette collaboration diffère considérablement d’un office à un autre. Les disparités relatives à l’organisation et aux ressources en personnel des offices des poursuites peuvent produire des conséquences sur l’exécution de la saisie. Les économies réalisées en matière d’engagement de personnel dans les offices des poursuites en général et dans l’exécution de la saisie en particulier sont de nature à augmenter rapidement les coûts sociaux. Les coûts sociaux dont il est question en matière de saisie ordinaire sont encore plus importants lorsque l’enjeu consiste à parvenir avec succès au terme d’une procédure d’assainissement des dettes. Une constatation similaire peut être exprimée en matière de prise en compte de frais occasionnels, comme des dépenses de santé, dont le remboursement par les offices des poursuites, s’il se fait tarder, mettrait en péril non seulement le budget mensuel, mais également le succès de l’assainissement des dettes dans son ensemble.
Ces considérations, ainsi que la complexité de la procédure de libération des dettes restantes, démontrent également la nécessité d’un accompagnement des débiteurs qui le souhaitent par des personnes spécialisées dans le désendettement – une nécessité largement reconnue, et, avec elle, le rôle important du travail social spécialisé en matière d’assainissement financier.
2.4 Les dettes exclues de la libération
Reste à aborder la question des dettes susceptibles, pour des raisons d’acceptation sociale, de continuer d’exister après la clôture de la procédure (art. 350a AP-LP). Si l’on peut comprendre que les prétentions en réparation morale, les contributions d’entretien ou encore le remboursement d’indus soient exclus de la libération, l’objectif de la procédure, qui reste le rétablissement économique du débiteur durablement insolvable, requiert que le «catalogue des exceptions» soit le plus restreint possible. En outre, l’égalité de traitement entre les créanciers privés, qui doivent abandonner leur dû, et les créanciers publics exige de ces derniers de la retenue dans l’établissement des exceptions dont ils seraient bénéficiaires. En particulier, il semble difficile de justifier l’exception accordée aux créances d’aide sociale légalement perçue, ce qui empêcherait dans les faits le rétablissement économique par le biais de cette procédure de toute personne recourant ou ayant recouru à l’aide sociale de manière substantielle, du moins dans les cantons – majoritaires dans notre pays – qui prévoient une obligation de rembourser l’aide sociale légalement perçue.
3. La nouvelle procédure répond à un réel besoin
Souvent, d’un point de vue individuel, la cause du déséquilibre budgétaire trouve son origine dans un «accident de la vie». Toutefois, il ne faut pas perdre de vue les raisons systémiques du surendettement: en particulier, la stagnation des salaires et la précarisation de l’emploi ainsi que les programmes d’économies dans les assurances sociales ont entraîné des reports de risques et de charges des entreprises et de la collectivité sur les personnes assurées et leurs familles. Les possibilités de crédit et l’endettement, peuvent permettre de faire face temporairement aux difficultés budgétaires. À titre d’illustration, selon de nombreuses études, les ménages aux budgets les plus restreints se sont retrouvés pendant plusieurs mois en situation déficitaire lors du premier confinement. Actuellement, une hausse des prix généralisée est constatée avec en particulier une hausse massive des prix des hydrocarbures et de l’électricité. Ne serait-ce pas le bon moment pour adopter un correctif ponctuel et permettre aux ménages dont les dettes hantent durablement le quotidien de prendre un nouveau départ? À la suite de la consultation publique, la réponse à cette question reviendra au Parlement fédéral. ❙
1 C’est le terme utilisé par Jean-Jacques Duc pour qualifier la situation de la majorité des personnes surendettées: Jean-Jacques Duc, Actes de défaut de biens et la gestion des débiteurs récalcitrants, in: JdT 2018 II 102.
2 Judith Notter, Lutte contre le surendettement dans le canton de Neuchâtel: le programme de détection précoce du surendettement, in: Dossier du mois Artias juin 2022, p. 3, et les références citées.
3 Il s’agit ici en particulier de la non-prise en compte des obligations fiscales courantes dans le minimum vital selon le droit des poursuites. À ce sujet, voir Michel Ochsner, Le minimum vital (art. 93 al. 1 LP), in: La Semaine judiciaire, doctrine 2012 II.
4 Voir ci-dessous, § 2.1.
5 bj.admin.ch/bj/fr/home/wirtschaft/gesetzgebung/schuldsanierung.html
6 Dans cet article, il sera uniquement question de la procédure de faillite par assainissement des dettes. Un avis des praticiens sur la procédure concordataire simplifiée se trouve par exemple dans la position de l’organisation faîtière Dettes Conseils Suisse (ci-après: Position, Dettes Conseils Suisse), schulden.ch/wp-content/uploads/2022/07/schuldenberatung-schweiz-stellungnahme-schkg-revision-juli-2022.pdf
7 Département fédéral de justice et police, Modification de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (Assainissement des dettes des personnes physiques), Rapport explicatif de l’avant-projet envoyé en consultation, Berne, 2022, p. 2 (ci-après: Rapport explicatif).
8 Avant-projet de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite «Assainissement des dettes des personnes physiques», bj.admin.ch/dam/bj/fr/data/wirtschaft/gesetzgebung/schuldsanierung/vorentw.pdf.download.pdf/vorentw-f.pdf
9 Le droit actuel ne propose aucune solution au débiteur surendetté dont le revenu ne permet pas de dégager un disponible pour désintéresser ses créanciers. Ce cas de figure est toutefois courant. Selon les statistiques de Dettes Conseils Suisse pour 2021, le revenu mensuel médian des ménages qui se sont adressés à un service de gestion de dettes et de désendettement se montait, pour l’année en question, à 4272 francs. Plus de 80% de ces ménages disposaient d’un revenu inférieur à 6000 francs par mois. L’endettement médian de ces ménages se montait, quant à lui, à 41 596 francs, dettes.ch/statistique/
10 Motions 18.3510 Hêche, Permettre la réinsertion économique des personnes sans possibilités concrètes de désendettement, et 18.3683 Flach, Prévoir une procédure de désendettement pour les particuliers, dans l’intérêt des débiteurs comme des créanciers.
11 Rapport explicatif, p. 16 ss.
12 Il s’agit d’une part de l’étude mandatée par l’OFAS sur la situation économique de la population entre 2012 et 2015 et d’autre part de celle de la Haute École spécialisée bernoise sur mandat de Caritas Suisse. Références: Philippe Wanner, Roxane Gerber, La situation économique de la population en âge d’activité et à l’âge de la retraite, Aspects de la sécurité sociale, rapport de recherche no 4/22, Genève, 2021. Hümbelin, Oliver, Lehmann, Olivier Tim, Schätzung der Zahl der Menschen in finanziell schwierigen Lebenslagen knapp oberhalb der Armutsgrenze, Bern, 2022.
13 Art. 337 al. 1 let. b AP-LP.
14 Les Lignes directrices pour le calcul du minimum vital du droit des poursuites selon l’article 93 LP du 1.7.2009, édictées par la Conférence des préposés aux poursuites et faillites de Suisse, prévoient une adaptation temporaire du minimum vital lorsque, «au moment de la saisie, le débiteur doit faire face de manière imminente à de grosses dépenses, par exemple frais médicaux, médicaments, franchise, naissance et soins apportés à des membres de sa famille, déménagement, etc.»
15 Parmi d’autres, Ecoplan, Umgang mit Verlustscheinen, Bern, 2021, p. 25 (ci-après: Ecoplan, Verlustscheinen).
16 Walter A. Stoffel, Isabelle Chabloz, Voies d’exécution, poursuite pour dettes, exécution de jugements et faillite en droit suisse, Berne, 2010, p. 281.
17 Rapport explicatif, p. 12.
18 Ecoplan, Verlustscheinen, p. 28 ss.
19 Ecoplan, Verlustscheinen, p. 30 ss.
20 Arrêts 5A_915/2014 du 14 janvier 2015 et 5A_78/2016 du 14 mars 2016. La pratique est toutefois très différente d’un canton à l’autre; pour la Suisse alémanique, voir: Michael Krampf, Kantone grosszügiger als das Bundesgericht, in:plädoyer, 2/2022, p. 12.
21 Jean-Philippe Bujard, Jean-Jacques Duc, Et à la fin, ce sont les caisses maladie qui gagnent…, Paola Stanić (dir.), Permettre un nouveau départ, Regards croisés sur l’avant-projet d’assainissement des dettes des particuliers, Dossier du mois Artias, juillet 2022 (ci-après: Artias, Permettre un nouveau départ), p. 12.
22 Paola Stanić, La libération des dettes restantes: un instrument de politique sociale, Artias, Permettre un nouveau départ, p. 33.
23 Rapport explicatif, p. 25.
24 Rapport explicatif, p. 47. Les positions des professionnel·le·s du domaine se retrouvent dans le dossier Artias, Permettre un nouveau départ.
25 Yves de Mestral, Procédure de libération des dettes restantes – un projet pavé de bonnes intentions, mais insuffisant! Artias, Permettre un nouveau départ, p. 17.
26 Rausan Noori, Assainissementdes dettes des personnes physiques – la lumière au bout du tunnel, Artias, Permettre un nouveau départ, p. 23.
27 Rapport explicatif, p. 21.
28 Position, Dettes Conseils Suisse, p. 15.
29 Pascal Pfister, Annulation des dettes restantes: une chance pour la collectivité, Artias, Permettre un nouveau départ, p. 31; Rapport explicatif, p. 27; Ecoplan, Effekte eines Restschuldbefreiungsverfahrens auf die Schuldner, Bern, 2021, p. 8 ss.
30 Jean-Philippe Bujard, Jean-Jacques Duc, Artias, Permettre un nouveau départ, p. 13.
31 Les différences entre cantons sont illustrées précisément par le monitoring de l’aide sociale réalisé par la CSIAS, dans sa version la plus récente pour l’année 2021. (skos.ch/fileadmin/user_upload/skos_main/public/pdf/Publikationen/Monitoring/Monitoring-Bericht_2021_F.pdf).
32 Paola Stanić, Artias, Permettre un nouveau départ, p. 35.
33 Parmi d’autres: Centre de recherches conjoncturelles de l’École polytechnique fédérale de Zurich (KOF), La crise du coronavirus exacerbe les inégalités en Suisse, communiqué de presse du 23.2.2021, kof.ethz/fr/news-et manifestations/medias/communiques-de-presse/2021/02/La-crise-du-coronavirus-exacerbe-les inégalités-en-Suisse.html