Droit des médias
Nous entamons cette rubrique avec deux contributions qui ne sont pas issues de revues juridiques à proprement parler. À l’occasion de son quarantième anniversaire, l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP) a publié un recueil de contributions. Ce livre est disponible sur le site de l’AIEP: ubi.admin.ch/fr/actualites/news/40-jahre-ubi.
Yaniv Benhamou,
Commentaires en ligne et désinformation, quelles limites à l’expression? Suites de l’ATF 149 I 2,
Livre anniversaire «40», p. 31 ss.
Membre de l’AIEP, avocat et professeur de droit du numérique à l’Université de Genève, Yaniv Benhamou apporte son regard d’expert sur un arrêt s’inscrivant dans l’évolution des médias. Cet arrêt marquant sur le contrôle judiciaire des commentaires et contenus générés par les utilisateurs (user generated content, UGC) a bouleversé le rôle initial de l’AIEP en reconnaissant sa compétence pour juger la modération des commentaires en ligne des médias traditionnels.
L’auteur détaille les critiques émises à ce sujet, y répond, développe les enjeux constitutionnels inhérents à la suppression d’un commentaire, en particulier les conditions applicables à la restriction de la liberté d’expression. Il dénonce également la différence de traitement entre les médias privés et institutionnels. Yaniv Benhamou conclut par une série de propositions à l’adresse du législateur. Un exposé complet et concentré sur les lacunes légales en matière de modération des contenus sur internet.
Ilaria Tassini Jung,
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme,
Livre anniversaire «40», p. 97 ss.
Illaria Tassini Jung présente trois affaires relevant de la compétence de l’AIEP traitées par les juges de la Cour européenne des droits de l’homme. L’auteure résume ces jugements et reporte les critiques émises par la doctrine. Cette contribution a le mérite de présenter des étapes marquantes pour la liberté d’expression dans le journalisme audiovisuel.
Droit pénal
Procédure pénale
Alain Macaluso, Andrew M. Garbarski, Honor Felisberto, Hélène Rodriguez-Vigouroux,
La pratique judiciaire du Tribunal fédéral en matière de procédure pénale en 2023,
JdT 2024 IV 199
En ce début d’année, il n’est pas possible de faire fi de l’habituelle revue jurisprudentielle annuelle du Journal des Tribunaux. Une fois n’est pas coutume, nous saluons la structure de cet exposé. Les auteurs résument les derniers développements jurisprudentiels sur les principes régissant la procédure pénale, les règles générales de procédure, les parties à la procédure, les moyens de preuve, les mesures de contrainte, les mesures de surveillance secrète, les procédures de première instance et les voies de recours. Une lecture incontournable en début d’année.
Exécution des peines
Tano Barth,
Justice ou injustice? Les contradictions de la jurisprudence en matière de détention provisoire,
Revue de l’avocat 11/12 2024, p. 481 ss.
Récemment, nos collègues alémaniques de plädoyer ont relevé le taux très élevé de personnes en détention préventive dans les prisons suisses. L’analyse jurisprudentielle de Tano Barth nous éclaire un peu plus sur les causes de cet usage accru de la détention préventive. Effectivement, l’approche jurisprudentielle actuelle semble conduire à la systématisation de prononcés favorisant cette mesure de contrainte.
L’auteur critique l’interprétation extensive de forts soupçons qui assouplit fortement les motifs de la détention préventive ou l’utilisation insuffisante d’alternatives à la détention comme le bracelet électronique ou la caution. Après avoir développé les éléments critiques des arrêts du Tribunal fédéral, Tano Barth propose des solutions de modification de la jurisprudence. Nous saluons cet intéressant article qui a le mérite de souligner une problématique source d’injustice et de graves atteintes aux droits fondamentaux.
Droit privé
Droit de la famille
Guillaume Choffat, Vanessa Ndoumbe Nkotto, Mihaela Verlooven,
La notion d’intérêt supérieur de l’enfant,
Revue de l’avocat 11/12 2024, p. 471 ss.
En octobre 2021, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU s’inquiétait que la notion de bien de l’enfant inscrite dans la Constitution ne corresponde pas au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant consacré par la Convention relative aux droits de l’enfant. Ce qui pourrait conduire à une application insuffisante du principe de l’intérêt supérieur des enfants dans les décisions qui concernent ces derniers. D’où le bien-fondé de cette contribution dont l’objectif consiste à présenter les outils de mise en œuvre de la protection de l’enfant dans les procédures en droit de la famille.
Faute de définition, c’est aujourd’hui au cas par cas que le juge évalue l’intérêt supérieur de l’enfant au cours de la procédure. Les auteurs développent les différents éléments propres à définir les pourtours de l’intérêt supérieur de l’enfant, tels que les allégations des parents dans la procédure, l’importance des rapports d’évaluation des offices de protection de la jeunesse et de l’enfance, les expertises familiales, la présence éventuelle d’un curateur de représentation du mineur dans la procédure et l’audition de l’enfant.
Cet exposé rappelle les différences cantonales et les difficultés à appliquer des mesures afin d’assurer que l’enfant puisse s’exprimer valablement en cours de procédure. Un indispensable rappel de la définition d’un élément cardinal dans les procédures en droit de la famille trop rarement développée par la doctrine. À lire… absolument.
Droit des migrations
Alissa Hänggeli,
Vorläufig aufgenommene Kinder in der Asylsozialhilfe,
Jusletter du 16 décembre 2024
L’art. 86 al. 1 de la loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) est le produit de la crainte de l’abus de perception d’aide étatique par des migrants et de l’éventuel appel d’air qu’engendrerait une politique sociale et intégrative ouverte. La portée de cette disposition qui permet la réduction des montants de l’aide sociale est plus problématique lorsque les bénéficiaires sont des enfants. Les impacts d’une limitation de l’aide au strict minimum, soit le comblement des besoins physiologiques (nourriture, logement et santé), ne peuvent pas être niés, dès lors que le développement des enfants se joue également au travers de l’intégration sociale et des occupations culturelles et éducatives.
C’est sous cet angle qu’Alissa Hänggeli s’interroge sur un droit à une aide sociale recouvrant ces aspects. À cet effet, elle détaille les dispositions constitutionnelles et les textes internationaux et propose une interprétation de l’art. 86 al. 1 LEI. Une intéressante analyse qui fait écho au récent avis de droit commandé par la Commission fédérale des migrations sur le régime d’aide d’urgence et les droits de l’enfant.
Procédure pénale
Droit international
Evelyne Schmid,
Le récit de la Suisse comme élève modèle et la ratification de la CEDH il y a 50 ans: entre édulcoration et autocritique,
RDS 143/2024 I, p. 493 ss.
Pour sa dernière publication de l’année 2024, la Revue de droit suisse publie trois contributions traitant de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et de la Cour européenne des droits de l’homme. Sans surprise, puisque la Suisse a fêté un important jubilé en 2024: le cinquantenaire de la ratification de la CEDH. La professeure Evelyne Schmid propose trois manifestations de récit de l’histoire des discussions ayant précédé la ratification de la CEDH.
Cet exposé n’est pas seulement une vue historique, l’influence du récit de la Suisse comme élève modèle alimentant encore les débats actuels. L’auteure ne manque pas de le souligner en citant les vives réactions après la condamnation de la Suisse dans l’affaire Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse. Ce qui fait écho au chapitre «Des condamnations inimaginables?». Ce récit a même servi d’argument pour motiver certains détracteurs à approuver la CEDH, le risque de condamnation étant très limité.
On ne saurait pas non plus omettre l’importance de cette ratification en matière de politique extérieure. La Confédération ferait aussi figure de chef de file en ouvrant la voie à d’autres pays. Evelyne Schmid conclut en relevant un dernier aspect caractéristique du premier de la classe, l’examen scrupuleux des conventions, le respect des engagements (pacta sunt servanda) et le diktat inhérent à la conformité préalable du droit suisse aux exigences du traité.
Un diktat qui s’est quelque peu érodé au fil du temps. Cet intéressant exposé nous plonge dans l’histoire de l’adoption d’un texte essentiel. Une lecture recommandée à l’heure où le groupe UDC a invité le Parlement à dénoncer la CEDH.