Droit de la profession d’avocat
L’édition de la Revue de l’avocat parue à la fin du mois de septembre est dédiée à l’intelligence artificielle. Nous en avons sélectionné deux articles.
David Schwaninger, Simon Fritsch,
Künstliche Intelligenz in der Anwaltspraxis,
Revue de l’avocat 9/2024, p. 360 ss.
En raison des progrès de l’intelligence artificielle (IA) générative, il n’est aujourd’hui plus possible d’ignorer qu’elle soit utilisée au sein d’études d’avocats pour générer du texte. Les auteurs de cette contribution exposent les différents risques juridiques concernant l’utilisation de ces outils à titre professionnel. Vu les potentielles erreurs générées par l’IA, ce système ne saurait remplacer intégralement le travail juridique mais seulement servir de béquille. Toutefois, son usage se généralise, car les options offertes par l’IA sont séduisantes.
La mise en place de garde-fous pour assurer son utilisation modérée concerne de nombreuses études d’avocats. À cette fin, les auteurs exposent les impacts de l’IA sur la protection des données, où le consentement du mandant devrait être requis, ou sur le secret professionnel. Outre ces éléments cruciaux, l’avocat pourrait tout aussi bien impliquer sa responsabilité en cas de violation du droit d’auteur.
David Schwaninger et Simon Fritsch concluent en rappelant que les études devraient encadrer ces pratiques en formant leur personnel. Cette contribution est un tour d’horizon rapide et efficace des problématiques juridiques inhérentes à l’utilisation de l’intelligence artificielle et un appel à la prudence vu l’augmentation exponentielle du nombre d’utilisateurs de ces «nouvelles» technologies.
Simon Brun, Gregor Münch,
Generative Sprachmodelle verstehen und richtig anwenden,
Revue de l’avocat, 9/2024, p. 380 ss.
Après l’exposé de David Schwaninger et de Simon Fritsch sur les risques juridiques de l’utilisation de l’IA, voici des conseils pratiques pour en augmenter le potentiel. Cette contribution a effectivement pour objectif d’offrir des pistes afin de profiter de tous les avantages de cette technologie. Les auteurs proposent des exemples de prompts, soit des phrases ou des questions saisies en vue d’obtenir du contenu ou une réponse dans ChatGPT. Ils citent notamment l’étude Vischer qui a mis à disposition sur son site un fichier Excel contenant des questions et des phrases. Si vous utilisez ChatGPT, la lecture de cet article est recommandée afin de s’inspirer des propositions qui y sont émises.
Droit pénal
Helia Farman, Alexandra Salamin-Casciaro,
L’action en remise de gain et le sort des prétentions contractuelles dans l’action civile par adhésion: le cas de la traite d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle,
forumpoenale 4/2024, p. 264 ss.
Les autrices traitent d’une délicate question dont la portée dépasse le champ de l’infraction de traite d’êtres humains. En effet, les mêmes réflexions sont applicables en cas d’escroquerie, d’usure ou de gestion déloyale où les prétentions en dommages-intérêts découlant de l’infraction pénale se mêlent aux prétentions contractuelles. Aussi, les victimes
s’exposent à la prescription de leur action devant le juge civil en cas d’échec de l’action délictuelle ou lorsque le juge pénal se déclare incompétent concernant les prétentions contractuelles. Helia Farman et Alexandra Salamin-Casciaro invitent les praticiens à réclamer la réparation du dommage et la remise du gain réalisé par le gérant.
Elles estiment aussi que le lien d’instance devrait être maintenu lorsque le lésé introduit l’action devant le juge civil. Ce dernier pourrait ainsi bénéficier de l’interruption du délai de prescription à compter du jour où il s’est constitué partie civile, soit au moment du dépôt de la plainte pénale et des conclusions civiles par adhésion. Un exposé qui éclaire sur le difficile chemin des victimes de traite d’êtres humains.
Exécution des peines
Emanuele Trezzini,
La santé en prison: le principe de l’équivalence,
Jusletter du 21 octobre 2024
L’auteur procède à une intéressante analyse du principe de l’équivalence par le biais d’un exposé de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de l’état de la législation, de la jurisprudence et de la doctrine suisses. Ce principe, qui exige une équivalence entre les traitements délivrés dans les établissements pénitentiaires et ceux fournis à la population civile, a récemment été reconnu par le Tribunal fédéral et le Tribunal pénal fédéral.
Emanuele Trezzini déplore toutefois le manque d’homogénéité découlant de la compétence des cantons en matière d’exécution. À son avis, le législateur fédéral devrait énoncer ce principe plus précisément afin de transposer les standards internationaux. Nous saluons cet exposé pour son résumé de la jurisprudence et de l’état législatif en Suisse.
Droit administratif
Nadja Braun Binder, Liliane Obrecht,
Transparenz über den staatlichen Einsatz algorithmischer Entscheidungsysteme,
PJA 10/2024, p. 1069 ss.
L’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) par l’administration n’est plus une utopie. Dans ce contexte, des parlementaires ont déposé des demandes en vue de la création d’un répertoire identifiant les utilisateurs de l’IA et garantissant une information transparente au public. Au niveau de l’Administration fédérale, le Réseau de compétences en intelligence artificielle (CNAI) publie une liste des systèmes d’intelligence artificielle utilisés par les autorités administratives alimentée sur une base volontaire.
Le Conseil fédéral estime toujours qu’il n’existe aucune nécessité de légiférer en la matière, d’autant plus que cette pratique serait encadrée après l’entrée en vigueur de la dernière révision de la loi sur la protection des données. Des arguments insuffisants, selon les autrices, qui soulignent les avancées législatives aux niveaux cantonal et international. Aussi une base légale serait nécessaire pour ancrer cette nouvelle exigence de transparence pour protéger le droit d’être entendu, le droit d’accès aux données personnelles et pour lutter contre la discrimination.
Nadja Braun Binder et Liliane Obrecht ne manquent pas de citer les dispositions légales fondant une obligation informationnelle de l’Administration fédérale, comme la Constitution fédérale ou la loi sur l’organisation du gouvernement et de l’administration. Les deux juristes appellent de leurs vœux la création d’une base légale et détaillent les différentes lois où une telle obligation pourrait s’inscrire, à l’instar de la loi sur la protection des données, de la loi sur la transparence ou de la loi sur l’utilisation des moyens électroniques pour l’exécution des tâches des autorités. Une analyse de lege ferenda qui offre des pistes pour encadrer l’usage croissant de l’intelligence artificielle par l’administration.
Droit privé
Droits réels
Bénédict Foëx,
Les droits réels en direction de l’irréel,
RDS 2024 I, p. 349 ss.
Professeur honoraire à l’Université de Genève, Bénédict Foëx parvient à donner vie à une matière trop souvent perçue comme poussiéreuse. La partie introductive relative à la notion de chose ou res adressée à un large public dépoussière le domaine des droits réels en rappelant son caractère évolutif face aux développements techniques ou les liens entre les données numériques et le droit de gage ou l’usufruit. L’ancien professeur souligne l’éloignement des droits réels de la réalité en fournissant divers exemples, comme la dématérialisation de la cédule de registre qui n’est plus un document ou l’anonymisation de la cédule où le débiteur perd de vue son créancier. Dans la partie finale de cette leçon d’adieu,
Bénédict Foëx soumet quelques propositions de lege ferenda. Nous citerons en particulier la problématique de l’hypothèque légale du sous-traitant qui expose le maître d’ouvrage au risque de payer à double une prestation. L’auteur cite la proposition de créer un autre droit de gage légal fondé sur la créance de l’entrepreneur à l’encontre du maître d’ouvrage, une idée émise dans le cadre de l’avant-projet de modification du code civil suisse de 2004. Cette contribution, qui marque le départ d’un spécialiste du droit de sûretés, éveillera sans doute les passions pour cette matière dynamique intrinsèquement liée au droit des contrats.
Droit de la famille
Véronique Boillet, Marta Roca i Escoda,
Établissement de la filiation en Suisse en cas de gestation pour autrui à caractère international: considérations sociojuridiques des apports corporels et des statuts genrés,
Fampra.ch 3/2024, p. 599 ss.
Les autrices maîtrisent ce sujet sur le bout des doigts. Elles l’ont traité ensemble en 2018 dans un article dénommé Les enjeux juridico-législatifs actuels de la pratique de la gestation pour autrui et ses conséquences sur la filiation. Et la professeure de sociologie Marta Roca i Escoda a reçu un prix pour un projet de recherche sur la gestation pour autrui et ses effets sur la filiation en Espagne en 2011. Plus de dix ans plus tard, la gestation pour autrui reste interdite dans la majeure partie des pays européens, dont la Suisse.
Ce n’est pas pour autant que cette problématique n’occupe pas les tribunaux suisses. Cette contribution résume les jugements sur l’établissement de la filiation concernant un enfant né d’une mère gestatrice. Cette analyse jurisprudentielle conclut au maintien actuel d’une vision genrée et hétéronormative de la filiation, soit un ancrage biologique pour la mère où la filiation dépend de la grossesse et un attachement aux critères sociaux de la paternité caractérisés par le mariage.
Véronique Boillet et Marta Roca i Escoda déplorent la discrimination que subissent les mères d’intention, qui doivent passer par la procédure d’adoption même en cas de lien génétique avec l’enfant. Elles en appellent à une modernisation du droit de la filiation pour protéger les droits fondamentaux des familles modernes et lutter contre les biais de genre.