Droit des obligations
Responsabilité civile
Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui,
L’intérêt digne de protectionde la victime d’un dommage climatique, Analyse de droit matériel et procédural,
RSJ 14/2024, p. 665
Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui s’est érigé en chantre de la question de la responsabilité climatique. Le président de l’association Avocat.e.s pour le Climat a par exemple analysé cette question sous l’angle de la causalité dans le recueil de Lettres à Christine Chappuis puis dans plaidoyer (plaidoyer 1/2024) en l’abordant par le biais de l’affaire Holcim. Cette contribution est pour sa part principalement consacrée aux aspects procéduraux, nommément à l’intérêt digne de protection des demandeurs agissant en cessation de l’atteinte climatique et en indemnisation du dommage climatique.
Si les difficultés inhérentes à la causalité naturelle et adéquate lors d’actions en responsabilité climatique sont présentées, ce n’est que pour mieux exposer l’intérêt digne de protection formalisé à l’art. 59 al. 1 let. a
du code de procédure civile. Il est ainsi rappelé que les entraves procédurales sont légion pour les victimes de dommages climatiques en raison de l’identification de l’acte dommageable, des émissions de gaz à effet de serre résultant d’une agrégation d’actes ou de l’identification de l’auteur, le dommage résultant de l’intervention d’une pluralité d’auteurs.
Autant de questions qui amènent Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui à en appeler à une interprétation jurisprudentielle souple tant sous l’angle de la notion de causalité naturelle et adéquate que du point de vue de l’admission de l’intérêt digne de protection, cette question devant être tranchée par le tribunal dans le cadre de l’analyse au fond.
Nous saluons cette approche juridique qui a le mérite de souligner la nécessité d’une approche jurisprudentielle dynamique de la responsabilité civile dans le contexte d’un changement climatique aux effets exponentiels.
Droit des contrats
Jacques de Werra,
Droit des contrats:
Partie générale des contrats,
JdT 2024 II 111
Jacques de Werra, professeur de droit des obligations à la Faculté de droit de l’Université de Genève, nous propose une sélection d’arrêts du meilleur acabit. Nous nous limiterons à en citer quelques résumés. Dans l’ATF 148 III 401, les juges fédéraux soulignent la différence entre les prétentions réclamées dans la procédure civile pour mauvaise exécution du contrat en raison d’une erreur médicale et les dommages-intérêts exigés dans le volet pénal par le biais de l’action civile adhésive.
Or, si les dommages réclamés dans le procès pénal découlent d’actes délictuels ou extracontractuels, les prétentions réclamées sur le fondement de la responsabilité contractuelle découlent pour leur part de la violation du devoir de diligence du mandataire. Dès lors, la prescription de la créance contractuelle ne saurait être interrompue par le dépôt de la plainte pénale, faute d’identité dans les fondements des créances.
L’arrêt TF 4A_268/2021 du 18 mai 2022 concerne le contrat d’entreprise et comporte une importante mise en garde pour les maîtres d’ouvrage mandatant un tiers pour exécuter des travaux à la place du cocontractant à la suite d’une mauvaise exécution ou d’une inexécution. Ainsi, le maître d’ouvrage ne peut pas exiger la compensation de sa créance avec celle de l’entrepreneur sur la seule base de la preuve de la réalisation effective des travaux. Encore faut-il qu’il démontre le paiement effectif des prestations exécutées par le tiers.
Quant à l’arrêt TF 4A_23/2021, il précise le calcul du montant de la réduction de prix de l’action minutoire prévue à l’art. 368 al. 2 CO. Ainsi, déduire le montant des travaux de remise en état de la valeur objective de l’objet ne saurait suffire, la disposition précitée exigeant que le prix soit réduit «en proportion de la moins-value». Le prix réduit découle donc du rapport entre la valeur objective de l’ouvrage défectueux et sa valeur objective sans défaut.
Dans le cas d’espèce, les juges ont retenu que la valeur de l’ouvrage avec défaut était nulle et que le prix de l’ouvrage était déterminé par le contrat, soit un montant nettement inférieur aux frais de remise en état. Quant à l’arrêt TF 4A_490/2021, il nous rappelle à quel point les dénominations peuvent être trompeuses. Tel est le cas d’un SLA (Service
Level Agreement), une appellation courante qui désigne de nombreux contrats de prestations. Dans l’arrêt TF 4A _490/2021, les juges fédéraux ont exclu la possibilité de résilier le contrat en tout temps, tel que le prévoit l’art. 404 CO prévu dans les dispositions du contrat de mandat. Ils ont en effet estimé que l’engagement de garantir une performance de 95% tenait plus de l’obligation de résultat du contrat d’entreprise.
Droit des poursuites et des faillites
Hansjörg Peter,
Le point sur le droit des poursuites et faillites,
Période de mai 2023 à avril 2024,
RSJ 15/2024
Ce grand classique de la Revue suisse de jurisprudence doit être présenté en raison des importantes modifications de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite visant la «lutte contre l’usage abusif de la faillite». La rubrique législative est donc plus fournie dans ce numéro. Dès le 1er janvier 2025, les autorités devront procéder par la voie de la faillite contre les personnes morales inscrites au registre du commerce et les offices des faillites seront compétents pour dénoncer un crime ou un délit aux autorités de poursuite pénale.
Après l’exposé sur les développements législatifs, où Hansjörg Peter ne manque pas de critiquer certaines dispositions de la réforme, il présente aussi quelques décisions judiciaires marquantes. Il est notamment rappelé que les offices de poursuites et de faillites ne sauraient assumer la responsabilité des erreurs d’adressage du créancier poursuivant. Sous peine de nullité, le créancier sera donc bien avisé de remplir précautionneusement la réquisition de poursuite. L’auteur précise également que la mainlevée de la caution ne peut pas être requise isolément.
Ainsi, le créancier devra parallèlement adresser une requête. Puis les principaux pièges pratiques sont exposés, tels que les délais, la nécessité d’adresser la réquisition de poursuite à la bonne adresse, l’obligation d’adresser un commandement de payer à chaque débiteur solidaire. La brièveté des propos et le travail de vulgarisation par l’auteur d’une matière peu appréciée à cause de sa complexité mais indispensable au quotidien permettront à tous les lecteurs, même les plus profanes, de comprendre rapidement les principes posés par la jurisprudence fédérale et cantonale. Un tour d’horizon efficace.
Réflexions générales
Etienne Koechlin,
Preuve et conviction: une approche par les sciences cognitives,
RDS 143/2024 I, p. 25
Cette contribution s’inscrit dans une excellente édition spéciale consacrée à la récente révision de la loi sur les profils d’ADN entrée en vigueur le 1er août 2023, des ordonnances idoines et des dispositions du code de procédure pénale concernant l’analyse du génome humain. Dans ce contexte, la présentation d’Etienne Koechlin sur le processus cognitif des juges lors de l’appréciation de la preuve prend toute sa consistance.
Ce spécialiste des neurosciences cognitives nous invite à réfléchir à la potentielle schématisation des raisonnements probatoires sous le prisme des résultats de recherche en sciences neurocognitives. Si l’auteur présente d’abord les mécanismes de la logique pure, il s’attarde surtout à présenter le potentiel de modélisation des raisonnements probatoires par le biais du paradigme de Bayes. Théorie essentielle pour appréhender les mathématiques probabilistes conditionnelles et totales, le théorème de Bayes énonce les probabilités de plusieurs évènements. Aussi, la probabilité de la survenance d’un évènement A sachant que l’évènement B est survenu peut être établie eu égard aux éléments probants.
Ce mécanisme reflète également le raisonnement humain. Tel est le cas de l’individu devant identifier un sujet sur une photographie. Pour procéder à cette identification, l’intéressé prendra en compte des indices (tenue du sujet, expression faciale). À l’issue de ce processus, il sera en principe apte à formuler l’hypothèse la plus probable eu égard aux indices figurant sur la photographie. La potentielle transposition du paradigme bayésien à une possible modélisation nous amène évidemment à nous interroger sur son utilité compte tenu des difficultés croissantes des autorités judiciaires en lien avec les analyses ADN (intégration du phénotypage, marge d’erreur…).
Cette approche mérite d’être saluée en raison du dynamisme du théorème de Bayes, qui permettrait d’intégrer de nouveaux paramètres ou éléments de preuves. Le théorème de Bayes comporte toutefois des limites, comme le mentionne l’auteur. Dans ce processus, les valeurs émotionnelles et morales ou de l’évolution sociétale sont omises. Nous pourrions aussi relever l’impossibilité de produire des résultats binaires conduisant de fait à l’indécision.
Une excellente contribution qui nous amène à repenser les limites d’une justice algorithmique.