La Suisse, comme la plupart des pays, finance son système d'assurance chômage essentiellement par des cotisations salariales. On peut adresser quatre critiques majeures à l'encontre de ce mode de financement. La première est liée à l'évolution de l'assiette fiscale sur laquelle sont prélevées les cotisations. Dans la majorité des Etats, la part des salaires dans le revenu national diminue. Si cette tendance devait s'accentuer, cela signifierait que les cotisations salariales ne suivront plus la croissance des dépenses de l'assurance chômage qui augmentent tendanciellement, au-delà des cycles conjoncturels qui les caractérisent, au rythme du revenu national.
D'autre part, ce mode de financement crée des différences de traitement injustifiées entre secteurs économiques. Si l'on mesure les contributions patronales à l'assurance chômage par rapport à la valeur ajoutée brute, il apparaît que les cotisations versées par les entreprises de la métallurgie, par exemple, représentent, en Suisse, le double de celles versées par le secteur bancaire.
La troisième critique provient du fait que le financement actuel a été construit sur la base d'une société où le statut de salarié occupé à plein temps constituait la forme d'emploi la plus fréquente. Or, on assiste à l'apparition de nouvelles formes d'emplois qui vont poser des problèmes pour les systèmes de protection sociale (emplois à temps partiel, indépendants, télétravail, travail intérimaire, etc.).
Finalement, les cotisations salariales tendent à augmenter les coûts indirects du travail. Les entreprises qui licencient reportent donc sur les autres, celles qui conservent leur personnel, les coûts sociaux de leur propre décision. Les entreprises peuvent être donc incitées à remplacer la main-d'œuvre par d'autres facteurs de production (équipements, machines, etc.) dont le coût relatif diminue au fur et à mesure que le coût brut du travail progresse. Un tel mode de financement tend indirectement à favoriser les entreprises qui licencient, puisqu'elles parviennent ainsi à réduire leur contribution aux caisses de l'assurance chômage, tout en augmentant les charges des entreprises qui conservent leur personnel.
Une réforme du financement des assurances sociales en général, et de l'assurance chômage en particulier, s'impose donc. Elle doit être basée sur la finalité de l'assurance considérée. Si celle-ci a pour but essentiel de couvrir un risque, il faut utiliser les cotisations. La voie de la fiscalité doit être en revanche choisie si l'objectif prioritaire est la redistribution du revenu.
Une solution possible
Dans le cas de l'assurance chômage, cela signifie qu'il conviendrait de choisir de financer les mesures actives par le biais de la fiscalité. En effet, celles-ci ont pour objectif principal d'instaurer une redistribution en faveur des chômeurs qui n'ont pas pu bénéficier des mesures de formation ou de requalification nécessaires, avant ou au cours de leur vie active, pour prévenir leur chômage. C'est ce qui est, à l'heure actuelle, prévu dans le cadre de l'assurance chômage helvétique qui est partiellement financée par des contributions de la Confédération prélevées sur ses recettes fiscales. En revanche, les cotisations doivent être utilisées pour financer les indemnités versées aux chômeurs, puisqu'il s'agit dans ce cas de couvrir un risque, celui de perdre son emploi. Cependant, celles-ci ne devraient plus être prélevées sur les salaires, comme actuellement, mais sur la totalité de la valeur ajoutée brute des entreprises.
Avec un tel système, les cotisations seraient ponctionnées non seulement sur la masse salariale, mais aussi sur les dividendes, les bénéfices, distribués ou non, les intérêts ainsi que les amortissements. Dans ces conditions, les cotisations versées par les employeurs fluctueront au gré de la conjoncture et des variations de leur valeur ajoutée brute. En revanche, si l'on adopte cette nouvelle assiette fiscale, le montant des cotisations ne variera plus, comme c'est le cas aujourd'hui, en fonction des choix de techniques de production des entreprises, ce qui aura pour effet de reporter sur la société des coûts qui devraient être assumés par les employeurs eux-mêmes.
Cette solution s'appuie donc sur un concept de responsabilité sociale de l'entreprise. Elle permet, pour une fois, de réconcilier la logique économique avec les principes éthiques qui sont pourtant trop souvent opposés lors dudébat politique actuel. Dans le monde d'aujourd'hui, où les valeurs «marchandes» prennent de plus en plus le pas sur toutes les autres dimensions, il ne suffit malheureusement plus de faire appel aux bons sentiments des employeurs. Il faut trouver des mécanismes qui contraignent les entreprises à intégrer les intérêts de l'ensemble de la collectivité dans leurs calculs économiques individuels. De ce point de vue, la solution que nous préconisons est très proche de celles qui sont appliquées dans le domaine de la protection de l'environnement.
Les caractéristiques du nouveau mode de financement
Afin de bien comprendre les fondements de cette nouvelle cotisation assise sur la valeur ajoutée brute des entreprises, il nous semble utile d'apporter quelques précisions. En particulier, il convient de ne pas confondre cette cotisation perçue sur la valeur ajoutée brute de l'entreprise avec l'impôt sur la consommation que l'on connaît sous le nom de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Entre ces deux formes de prélèvement, on observe des différences essentielles qu'on peut résumer en quatre points:
1 La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est un impôt sur la consommation et, en tant que tel, ne frappe que la consommation intérieure du pays. Cela signifie donc que l'assiette fiscale de cet impôt est limitée à une fraction seulement du PIB, représentée par la consommation. Celle-ci constitue généralement entre 60 et 65% de la valeur de la production réalisée par toutes les entreprises localisées sur le territoire d'un pays donné. Elle ne touche donc pas les investissements privés et publics, ce qui signifie simplement que les entreprises qui acquièrent des machines sont exonérées du paiement de la TVA. D'autre part, étant donné que la TVA porte sur la consommation intérieure, elle exonère une partie de la production réalisée par les entreprises domestiques qui exportent leurs biens ou leurs services sur les marchés étrangers. Les exportations, qui représentent une part non négligeable de la production intérieure de la Suisse, sont donc exonérées du paiement de cet impôt général sur la consommation. En revanche, la TVA taxe les importations de biens ou de services consommés à l'intérieur des frontières du pays.
La cotisation sur la valeur ajoutée brute (CSVAB) de l'entreprise s'applique au contraire à tous les biens et services produits dans le pays, que ceux-ci soient destinés à la consommation, aux investissements ou qu'ils soient exportés vers des pays étrangers. Concrètement, cela signifie que l'assiette fiscale de cette taxe porte sur l'ensemble du PIB réalisé par une économie durant une année particulière et que son assiette fiscale est plus large que celle de la TVA. Du point de vue de l'entreprise, la valeur ajoutée brute sur laquelle elle sera imposée est calculée en prenant son chiffre d'affaires, duquel on déduira l'ensemble des achats intermédiaires (tels que matières premières, biens et services nécessaires à la production, y compris les loyers et les frais financiers, à l'exclusion des intérêts). En d'autres termes, cela signifie que l'assiette fiscale sur laquelle l'entreprise doit cotiser comprend tous les revenus que son activité a générés et qu'elle a pu distribuer sous forme de salaires, de revenu net d'exploitation (comprenant à la fois les bénéfices distribués ou non, les dividendes versés aux actionnaires et les intérêts) ainsi que les amortissements. De ce point de vue, la CSVAB est un prélèvement qui s'effectue sur tous les revenus des facteurs de production. Elle instaure donc une parfaite neutralité vis-à-vis de l'utilisation des facteurs de production, puisqu'elle porte à la fois sur les salaires, les amortissements ainsi que les autres formes de revenu du capital. L'assiette de la TVA traditionnelle est donc plus étroite, car elle n'inclut pas les amortissements.
2 Contrairement à la TVA traditionnelle, qui est un impôt sur la consommation, la CSVAB constitue une cotisation comparable à celle prélevée à l'heure actuelle sur la masse salariale des entreprises. A ce titre, elle est parfaitement adaptée au financement de prestations sociales visant à couvrir des risques, tels que le chômage par exemple. La TVA devrait au contraire être réservée au financement d'assurances ayant un caractère redistributif marqué.
3 La CSVAB est prélevée, comme nous l'avons déjà mentionné auparavant, sur l'ensemble de la production intérieure brute d'un pays, que les biens ou les services produits aient été ou non écoulés sur le marché. Cela signifie donc que cette cotisation frappe tant les biens que les services commercialisés que les produits stockés. A l'opposé, la TVA ne s'applique évidemment que sur les biens qui ont été écoulés sur le marché.
4 Ces deux systèmes se distinguent également du point de vue du transfert de charge fiscale qu'ils impliquent. En l'occurrence, le passage d'un prélèvement salarial à une cotisation sur la valeur ajoutée brute entraînerait un transfert de la charge sociale des entreprises à forte intensité de main-d'œuvre vers celles qui sont fortement mécanisées. En effet, lorsque les cotisations sont prélevées sur la masse salariale uniquement, comme c'est le cas à l'heure actuelle, le poids de la charge sociale, exprimée en pour cent de la valeur ajoutée brute, est nécessairement plus élevé pour les entreprises très intensives en main-d'œuvre, alors qu'elle est parfaitement identique pour tous les secteurs économiques dans le cas de la CSVAB. En revanche, un allégement des cotisations patronales compensé par une hausse de la TVA se traduirait par un transfert de charges, très variable selon les branches considérées, entre les entreprises et les consommateurs. A priori, cette redistribution du fardeau fiscal est difficilement prévisible mais on peut s'attendre à ce que, dans les secteurs faiblement syndiqués, caractérisés par une faible concurrence et une demande très inélastique, ce poids sera essentiellement supporté par les consommateurs. Le financement par le biais de la TVA ne permettrait en tout cas pas d'instaurer une redistribution de la charge fiscale au profit des entreprises intensives en main-d'œuvre, évolution qui nous semble pourtant souhaitable dans le contexte actuel. Par rapport à l'objectif poursuivi par la réforme du financement de l'assurance-chômage, la TVA ne constitue donc pas une solution défendable, cela d'autant plus qu'il s'agit d'un impôt qu'il faudrait réserver au financement des prestations sociales à caractère redistributif. Pour financer la couverture de risques tels que le chômage, la solution de la cotisation s'impose.
Une extension de l'assiette des cotisations à la valeur ajoutée brute des entreprises aurait, selon nous, deux avantages fondamentaux. En premier lieu, le financement basé sur la CSVAB se révèle neutre par rapport à l'utilisation du travail et du capital puisque cette cotisation est prélevée indistinctement sur les deux facteurs de production. D'autre part, cette solution supprime les discriminations entre entreprises à forte intensité de capital et celles à forte intensité de main-d'œuvre. Elle entraînerait donc un transfert de charges entre les entreprises.
Il serait faux néanmoins de croire que ce système contribuerait à défavoriser les secteurs peu intensifs en main-d'œuvre. Il aurait simplement pour effet de rétablir un équilibre intersectoriel qui n'existe pas à l'heure actuelle. Surtout, il traduirait un changement de philosophie dans les sources de financement de l'assurance chômage, qui est non seulement compatible avec les mutations en cours sur le marché du travail, mais beaucoup plus conforme avec la finalité de l'assurance elle-même. Finalement, cette proposition de réforme permettrait de réduire le chômage en créant, d'une part, les conditions nécessaires pour que la croissance soit de nouveau porteuse de plus d'emplois et en supprimant, d'autre part, l'incitation faite actuellement aux entreprises à substituer le travail par des machines.