TF 4A_552/2020 du 12 mars 2021
Nullité du loyer initial et abus de droit du locataire
Dans le cadre de la location d’une villa, le locataire s’est vu remettre la formule officielle de notification de loyer lors de la conclusion d’un nouveau bail, qui s’avère être viciée5. Il n’a pas contesté son loyer initial. Quelques mois après la prise de possession des lieux, il s’est plaint de défauts et d’une prétendue surestimation du loyer. Il a proposé à son bailleur une résiliation à l’amiable du contrat, qui a été refusée. Le 15 août 2016, le locataire, qui a, pour la première fois, invoqué la nullité de son loyer initial, a annoncé qu’il quitterait les lieux le 15 septembre suivant. Le 30 août 2016, il a précisé qu’il n’avait pas contesté le loyer initial en raison de divers contretemps, notamment un deuil familial à l’étranger. Son bailleur a répondu que les conditions d’une restitution anticipée n’étaient pas réunies. Quelques jours avant son départ, le locataire a une nouvelle fois proposé de revoir à la baisse le montant du loyer, en vain. L’état des lieux de sortie s’est tenu le 30 novembre 2016, soit bien avant le terme contractuel du 14 décembre 2017.
Le bailleur a ouvert action en paiement des loyers impayés pour les mois de novembre 2016 à mai 2017, la villa ayant été relouée dès le mois de juin 2017 pour un loyer identique. Par réponse du 26 octobre 2018, le locataire a notamment conclu à la compensation des loyers réclamés avec le trop-perçu par le bailleur pendant la durée d’occupation.
Le Tribunal fédéral rappelle dans un premier temps que, lorsque le loyer initial est nul, le locataire peut agir en fixation judiciaire du loyer et en restitution de l’éventuel trop-perçu. Il s’agit d’un cumul d’actions (art. 90 CPC). La première vise à calculer le loyer initial, après constatation préalable de sa nullité, et la seconde à la restitution des prestations, conformément aux règles sur l’enrichissement illégitime (art. 62 ss. CO). Cette restitution est soumise au double délai de l’art. 67 al. 1 CO, à savoir un délai relatif d’un an6 qui court dès le jour où la partie lésée a eu connaissance de son droit à répétition et un délai absolu de dix ans, qui court dès la naissance de ce droit.
Demeure réservé l’abus de droit manifeste (art. 2 al. 2 CC), dont les cas typiques sont l’absence d’intérêt à l’exercice d’un droit, l’utilisation d’une institution juridique de façon contraire à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence ou l’attitude contradictoire7. Concernant cette dernière, la jurisprudence cite par exemple le cas où le locataire s’est rendu compte du vice de forme mais s’est abstenu de protester pour en tirer ultérieurement profit8. Le seul fait d’avoir payé le loyer, sans discuter et pendant un long laps de temps, ne permet pas à lui seul de retenir l’abus de droit. Quant à l’utilisation d’une institution juridique de façon contraire à son but, la jurisprudence a notamment retenu le cas où le locataire invoque la nullité pour s’opposer à son expulsion9.
En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que le locataire savait, au plus tard le 30 août 2016, que son loyer initial était nul et qu’il avait une année pour le contester, ce qu’il n’a fait que bien plus tard, cherchant avant tout à résilier le bail de la villa qui ne lui convenait pas. Or, le but de la formule officielle n’est pas d’obtenir un motif de résiliation anticipée. En se prévalant d’un loyer surfait pour se départir du contrat, le locataire a utilisé l’institution juridique de la contestation du loyer initial contrairement à son but. Il commet ainsi un abus de droit.
Tout autre aurait été l’issue si le locataire, plutôt que de tarder à faire valoir la nullité du loyer initial, non seulement avait agi immédiatement en constatation de la nullité et en fixation du loyer, mais aussi et surtout évité de tenter de négocier un départ facilité. En effet, c’est bien ce dernier objectif qu’a uniquement recherché le locataire, qui n’a fait valoir la nullité du loyer que de manière reconventionnelle, et tardivement de surcroît, dans une procédure en paiement introduite à son encontre par le bailleur. Dans ce cas de figure, le locataire aurait certainement été mieux inspiré d’ouvrir action en nullité avant de tenter de négocier avec son bailleur les conséquences financières de son départ anticipé.
ATF 147 III 431
Contestation du loyer initial portant sur un immeuble ancien et fardeau de la preuve
Le Tribunal fédéral revient ici sur une jurisprudence de 2012, dans laquelle il a tranché la question du fardeau de la preuve lors de la contestation du loyer initial, qui incombe au locataire10. Il a toutefois atténué ce principe en raison de la situation particulière, puisque, d’une part, l’on avait affaire à un immeuble ancien, et que, d’autre part, le loyer avait fait l’objet d’une importante augmentation de loyer11 par rapport à celui payé par le locataire précédent. Une telle augmentation ne pouvait en effet pas se justifier compte tenu de l’évolution favorable de la conjoncture économique, plus particulièrement de la baisse conséquente du taux hypothécaire de référence. Le Tribunal fédéral est ainsi arrivé à la conclusion que, dans ces circonstances, une augmentation de loyer de plus de 10% était présumée abusive. Il appartenait dès lors au bailleur d’apporter la contre-preuve de ce que le loyer serait conforme aux loyers usuels. En l’espèce, cette contre-preuve n’ayant pas été apportée par le bailleur, qui n’avait pas non plus établi les statistiques officielles, le loyer litigieux a été ramené à celui payé par le précédent locataire.
Dans sa décision du 6 mai 2021, le Tribunal fédéral précise celle de 2012, en ce sens que lorsque le loyer initial fait l’objet d’une augmentation massive, celle-ci est présumée abusive, à moins que le bailleur ne renverse cette présomption de fait. Pour ce faire, le bailleur n’a pas à apporter de contre-preuve formelle, la vraisemblance étant suffisante. La présomption selon laquelle le loyer serait abusif peut ainsi être renversée par la production de statistiques (même non officielles au sens de l’art. 11 al. 4 OBLF) ou d’objets comparatifs (sans qu’il soit nécessaire qu’ils respectent scrupuleusement les critères qualitatifs et quantitatifs posés par l’art. 11 al. 1 OBLF).
D’après le Tribunal fédéral, il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence, mais d’une précision. Selon notre Haute Cour, l’arrêt de 2012 pouvait laisser à penser que bailleur avait la charge de la contre-preuve, alors que – au vu de sa dernière décision – tel n’est finalement pas le cas. Ni les tribunaux ni les mandataires ne l’avaient toutefois compris ainsi, puisque, dans la pratique, il était clairement admis qu’en cas de contestation du loyer initial, avec une augmentation de plus de 10% pour un immeuble ancien, le loyer litigieux devait être ramené au même montant que celui du locataire précédent.
Ce raisonnement était d’ailleurs à ce point reconnu que bon nombre de transactions ont été passées dans ce sens.
Ce dernier arrêt laisse un arrière-goût d’inachevé. Officiellement, notre Haute Cour ne fait que préciser sa jurisprudence de 2012. Dans les faits, elle la modifie considérablement, et ce au détriment de la partie locataire. Il est indéniable que, à suivre ce raisonnement, le nouveau locataire se trouve de toute évidence moins bien protégé que son prédécesseur. En effet, il est admis qu’un bailleur peut augmenter, à certaines conditions, le loyer en cours de bail selon la méthode absolue. Il doit apporter la preuve stricte de ce que le loyer litigieux est insuffisant12. Or, en matière de contestation du loyer initial, et alors même que ce montant est fixé par le bailleur, celui-ci n’a, avec cette nouvelle jurisprudence, plus à apporter la preuve formelle de ce que le loyer litigieux serait conforme aux loyers usuels; il peut se contenter de la simple vraisemblance. La différence est de taille. Il va sans dire que, d’un point de vue économique, rien ne justifie de favoriser l’augmentation – massive de surcroît – d’un loyer au changement de locataire, bien au contraire. L’on peine dès lors à comprendre que, dans un domaine aussi sensible que le bail à loyer, le degré de la preuve selon la méthode des loyers usuels du quartier puisse être différent selon que l’on a affaire à une augmentation de loyer en cours de bail ou à une contestation du loyer initial.
TF 4A_592/2020 du 12 octobre 2021
Nullité du loyer initial, preuve de la remise de la formule officielle et de sa validité
Dans le cadre d’un litige en lien avec l’état des lieux de sortie, plusieurs années après la conclusion du contrat, le conseil du locataire a relevé que celui-ci n’était en possession que du recto de la formule officielle de notification de loyer lors de la conclusion d’un nouveau bail, signée par le bailleur. L’exemplaire en possession du locataire ne comportait ainsi ni la liste des autorités de conciliation compétentes conformément à l’OBLF, ni les dispositions légales applicables à la contestation du loyer initial. Or, le contrat de bail indiquait que «par la signature du présent bail, le preneur reconnaît avoir reçu la notification de loyer lors de la conclusion d’un nouveau bail». Le locataire a ouvert action en constatation de la nullité du loyer initial. L’instruction a permis d’établir, par une simple comparaison du recto de la formule en possession du locataire et de la copie recto verso de celle du bailleur, qu’aucun des deux documents n’était une copie de l’autre au vu des différences de calligraphie de l’indication du lieu et de la date.
En 201613, le Tribunal fédéral a posé le principe selon lequel, lorsque le locataire conteste avoir reçu la formule officielle, la preuve de cette notification incombe au bailleur. Cette remise est toutefois présumée si le contrat de bail, dont la réception n’est pas litigieuse, en fait mention, d’une part, et pour autant que le bailleur soit en mesure de produire une copie du formulaire officiel contenant les indications nécessaires pour le bail en question, d’autre part14.
C’est ici l’occasion pour notre Haute Cour de préciser sa jurisprudence, en ce sens que si l’ATF 142 III 369 reconnaît, à certaines conditions, que la formule officielle est présumée avoir bien été remise au locataire, cette présomption ne porte toutefois que sur la notification de la formule officielle elle-même et non sur la validité formelle de la formule. Si, comme en l’espèce, le locataire se plaint non pas de l’absence de la remise du formulaire, mais d’un vice qui affecte ce document, il appartient alors toujours au bailleur de prouver la validité de la formule officielle.
En l’occurrence, le bailleur a échoué à apporter cette preuve, amenant le Tribunal fédéral à constater la nullité du loyer initial.
Ce raisonnement permet de protéger efficacement l’institution de la contestation du loyer initial. La Cour cantonale avait, de son côté, considéré que, puisque le bail faisait mention de la remise du formulaire officiel, d’une part, et que le bailleur avait été en mesure de produire une copie complète dudit formulaire, d’autre part, alors ce dernier avait satisfait à son devoir de preuve. Un tel raccourci s’avère particulièrement dangereux. Le bailleur aurait en effet tout intérêt à remettre au locataire un exemplaire vicié de la formule officielle tout en en conservant un exemplaire correctement rempli par-devers lui. Non seulement il réduirait ainsi le risque de voir le locataire contester le loyer initial dans le délai de trente jours, mais aussi et surtout, en cas d’action ultérieure du locataire en nullité du loyer initial, des mois, voire des années plus tard, il pourrait utiliser son propre exemplaire pour faire obstacle à la procédure. Cette décision est donc particulièrement bienvenue.
TF 4A_215/2021 du 22 octobre 2021
Augmentation de loyer et méthode des loyers comparatifs
En janvier 2019, le bailleur a notifié une hausse de loyer aux locataires, en invoquant la méthode absolue des loyers usuels du quartier et l’évolution du coût de la vie. La dernière fixation du loyer remontait au 1er mai 1992. Les locataires ont contesté l’augmentation de loyer et ont simultanément demandé une baisse de loyer fondée sur la baisse du taux hypothécaire de référence.
Le Tribunal fédéral rappelle que bailleur et locataire peuvent l’un et l’autre invoquer la méthode absolue à l’appui, respectivement, d’une hausse ou d’une baisse de loyer en cours de bail, à la condition que se soit écoulée une période suffisamment longue depuis la dernière fixation du loyer pour pouvoir être considérée comme significative. En l’espèce, aucun grief n’a été soulevé en lien avec cette problématique par-devant le Tribunal fédéral, qui s’est limité à rappeler cette exception de manière générale, sans examiner plus avant si le bailleur était ou non légitimé à se prévaloir de cette méthode.
Confirmant dans un deuxième temps sa jurisprudence antérieure, sur laquelle il n’y a pas lieu de revenir, le Tribunal fédéral rappelle que la preuve des loyers usuels doit soit résulter de statistiques officielles soit reposer sur cinq objets de comparaison, mais en aucun cas sur la base d’une impression d’ensemble. S’agissant des statistiques officielles, celles-ci doivent satisfaire aux exigences de l’art. 11 al. 1 OBLF, et donc être suffisamment détaillées et différenciées. En l’occurrence, il n’en existe pas dans le canton de Genève. En ce qui concerne les cinq objets de comparaison, le Tribunal fédéral rappelle qu’ils doivent essentiellement correspondre à l’appartement litigieux, pour les principaux critères que sont l’emplacement, la dimension, l’équipement, l’état et l’année de construction. Une pondération entre les critères doit encore pouvoir être effectuée par le juge. Il convient de se montrer particulièrement strict dans l’application de cette méthode, non seulement pour une question de sécurité du droit, mais aussi parce qu’il faut uniquement comparer cinq objets.
Le Tribunal fédéral précise enfin – et c’est bien là que réside tout l’intérêt de cette jurisprudence – que le fardeau de la preuve incombe dans ce cas au bailleur et qu’il ne saurait être réduit au degré de la vraisemblance prépondérante. Le juge doit ainsi être convaincu de l’existence des loyers usuels dans le quartier ou la localité.
Il est regrettable que la problématique de l’applicabilité de la méthode absolue n’ait pas été abordée, dans la mesure où il serait intéressant que le Tribunal fédéral précise – enfin – la période au terme de laquelle bailleurs et locataires sont légitimés à se prévaloir de ladite méthode en cours de bail.
Il semblerait que, cette fois-ci, notre Haute Cour mette fin avec cet arrêt aux espoirs des milieux immobiliers de voir le fardeau de la preuve en matière de loyers comparatifs allégé. Le Tribunal fédéral ne semble pas prêt d’assouplir sa jurisprudence en la matière, considérant que cette preuve, par sa nature, n’est pas impossible à apporter. Ce raisonnement doit évidemment être approuvé. En effet, on ne voit pas ce qui justifierait de se montrer plus clément en matière de loyers comparatifs, dès lors que les bailleurs, représentés dans une très grande majorité par des régies immobilières, doivent disposer des outils et ressources adéquats pour réunir des fiches de comparaison en nombre suffisant.
Conclusion
Dans un pays où le nombre de locataires dépasse largement celui des propriétaires15, la question des loyers n’a jamais été aussi cruciale. Le mécanisme mis en place par le législateur en matière de protection contre les loyers abusifs s’avère être manifestement insuffisant. Alors que le coût de l’argent n’a jamais été aussi bon marché et que les loyers devraient être au plus bas, ces derniers ne cessent d’augmenter. Malgré une marge de manœuvre pourtant suffisante, force est de constater que le Tribunal fédéral, sous prétexte de préciser certaines de ses anciennes décisions, se détourne en réalité de cette protection. Il faut dès lors s’attendre, à moyen terme, à une véritable flambée des loyers16, le taux hypothécaire de référence allant tôt ou tard remonter.❙
1 bfs.admin.ch/bfsstatic/dam/assets/18704394/master. Depuis 2016, le taux de logements vacants, y compris à la vente, a diminué: 1,62% (2018), 1,66% (2019), 1,72% (2020) et 1,54% (2021).
2 bfs.admin.ch/bfsstatic/dam/assets/20944323/master. L’indice national des loyers fait état d’une augmentation linéaire de 5,6% entre le mois de janvier 2016 et le mois de décembre 2021.
3 Le taux hypothécaire de référence était de 1,75% au mois de janvier 2016 et de 1,25% au mois de décembre 2021.
4 Conformément à l’art. 13 al. 1 et 2 OBLF, une baisse du taux hypothécaire de référence d’un demi-point doit aboutir à une baisse de loyer de 5,66%.
5 Le formulaire ne comportait aucune indication concernant le bailleur, l’ancien et le nouveau locataire ainsi que le montant du loyer.
6 En vigueur jusqu’au 31 décembre 2019. Dès le 1er janvier 2020, ce délai est passé à trois ans.
7 ATF 143 III 279 c. 3.1; ATF 140 III 583 c. 3.2.4.
8 ATF 138 III 401 c. 2.4; ATF 113 II 187 c. 1a.
9 ATF 140 III 583 c. 3.2.4; ATF 138 III 401 c. 2.4; ATF 137 III 547 c. 2.3.
10 ATF 139 III 13 c. 3.1.3.1.
11 En l’espèce, le loyer initial avait été augmenté de 43,61% par rapport à celui payé par le précédent locataire, augmentation qualifiée de «massive» (ATF 139 III 13 c. 3.1.4).
12 TF 4A_215/2021 du 22 octobre 2021, qui sera examiné ci-dessous.
13 ATF 142 III 369.
14 ATF 142 III 369 c. 4.2.
15 En 2019, 36.4% des habitants étaient propriétaires du logement occupé (bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/construction-logement/logements/conditions-habitation/locataires-proprietaires.html).
16 Conformément à l’art. 13 al. 1 OBLF, une augmentation du taux hypothécaire de référence de 1/4% donne généralement droit à une augmentation de loyer de 3% (tant que le taux est inférieur à 5%). Aussi, le jour où le taux passera par exemple progressivement à 2.25%, les loyers pourront-ils être augmentés de 12%.