Le Tribunal fédéral a dû se prononcer, le 22 mai 2013, sur la question de l’applicabilité directe de l’art. 75b Cst. et de l’art. 197 ch. 9 al. 2 Cst. A cette occasion, il a formulé un certain nombre de lignes directrices quant au champ d’application matériel et spatial de l’art. 75 b Cst. (ATF 139 II 243, c. 9.1, 9.2, 10, 11.1 – 11.3).
Il a en particulier souligné que le titre de l’initiative, le Message du Conseil fédéral et les explications fournies avec le matériel de vote impliquaient que l’adoption de l’initiative entraînerait un moratoire brutal dans la construction de résidences secondaires. Selon le TF, il s’agit là d’une restriction significative de la garantie de la propriété expressément voulue par le souverain. Ce moratoire valant jusqu’à l’entrée en vigueur de la législation d’exécution doit être interprété de manière large, afin de ne pas limiter la marge de manœuvre du législateur (ATF précité, c. 10.5), bien que le TF ait déjà souligné la portée drastique du texte (cf. ATF précité c. 11.4).
Subodorant la tentation que pourraient avoir les autorités fédérales de vider d’une bonne partie de sa substance une disposition constitutionnelle à l’adoption de laquelle elles s’étaient vigoureusement opposées, le TF a souligné l’obligation faite au législateur de mettre l’initiative en œuvre rapidement et de manière efficace (wirksam), tout en évoquant le risque d’un référendum en cas de dérogations trop généreuses (ATF précité, c. 11.6).
On ne peut dès lors que s’étonner du peu de cas que fait aujourd’hui le Conseil fédéral de la portée significative que lui-même et l’Assemblée fédérale prêtaient à l’initiative en cas d’acceptation. L’interprétation qu’il en donne dans le projet soumis aux Chambres a ainsi diamétralement changé. Il s’agit plutôt d’un catalogue permettant de diluer tant au fond qu’à la forme l’interdiction stricte de construire de nouvelles résidences secondaires voulue par le souverain.
Les principales dispositions litigieuses du projet.
1. Les «vraies fausses résidences principales»
Actuellement, les art. 4 et 6 de l’ordonnance permettent d’assortir l’autorisation de construire d’une restriction d’utilisation et d’une mention de celle-ci au Registre foncier. Dans la pratique actuelle, on peut constater dans des centaines de cas que des projets déposés durant le courant de l’année 2012 sont aujourd’hui «recyclés» en pseudo-résidences principales. Le projet de loi reprend cette possibilité dans son art. 7 al. 1 lit. a et à l’art. 7 al. 3 et 4.
Le problème réside dans le fait que l’art. 15 du projet prévoit la possibilité d’obtenir la suspension de telles restrictions d’utilisation pour une durée déterminée aux conditions alternatives prévues à l’art. 15 al. 1 lit. a et b, cette suspension pouvant être renouvelée sans limitation dans le temps si les conditions qui ont présidé à son octroi sont toujours remplies.
Ainsi, il suffirait au propriétaire d’un immeuble construit sous le label «résidence principale» d’apporter la preuve que le logement a été proposé sur le marché et qu’il a vainement recherché des personnes disposées à utiliser légalement le logement à un prix raisonnable pour obtenir la suspension de cette restriction d’utilisation. D’innombrables prétendues résidences principales pourraient être construites qui seraient in fine affectées à la résidence secondaire en raison de la suspension de la restriction d’utilisation prévue à l’art. 15, faute de demande du marché en matière de résidence principale. Ainsi, de facto, l’octroi d’une telle dérogation à la restriction d’utilisation battrait gravement en brèche l’interdiction constitutionnelle voulue par le souverain. Le Parlement devra être d’autant plus vigilant que, dans un récent arrêt, le TF s’est montré extrêmement exigeant quant aux preuves qu’il convient d’apporter pour reconnaître un abus de droit dans ce domaine (1C_874/2013 du 4.4.2014).
2. Réaffectation des logements créés selon l’ancien droit
L’art. 12 al. 1 permet la réaffectation en résidences secondaires de toutes les résidences principales existantes ou autorisées avant le 11 mars 2012. Nous considérons que c’est abusivement que la garantie de la propriété est invoquée à cet égard. En effet, celle-ci peut seulement justifier la protection de l’affectation existante au moment de l’entrée en vigueur de l’art. 75b Cst. On rappelle ici que, selon une jurisprudence constante, des restrictions à la garantie de la propriété sont admissibles si elles reposent sur une base légale suffisante, qu’elles sont fondées par un intérêt public et qu’elles respectent le principe de proportionnalité. L’adoption de l’art. 75b Cst. satisfait à ces trois conditions.
Seule une possibilité de réaffectation des logements existants, selon la variante qui a été prévue dans l’avant-projet à l’art. 12 al. 3 lit. 1, soit un transfert de domicile résultant de motifs particuliers, tels qu’un décès, un changement de domicile ou un changement d’état civil, serait envisageable. Cela serait plus compatible avec le souci exprimé en page 15 du Message en langue française ad art. 11 où le Conseil fédéral affirme que «laisser réaffecter librement des logements existants à la résidence secondaire favoriserait une évolution qui serait contraire à l’objectif visé par l’article constitutionnel».
3. Plans d’affectation spéciaux détaillés entrés en force avant le 11 mars 2012
La possibilité, prévue à l’art. 24, de construire néanmoins des résidences secondaires, pour autant que celles-ci aient été prévues dans le cadre de tels plans, se heurte à l’interprétation du TF. Il a en effet considéré que le souverain avait manifesté la volonté de faire cesser immédiatement la construction de nouvelles résidences secondaires. L’on ne saurait dès lors soutenir que des droits acquis – fût-ce au bénéfice d’un plan d’affectation détaillé antérieur – puissent l’emporter sur une interdiction strictement formulée et résultant du choix fait en toute connaissance de cause par le constituant. Nous pensons, pour notre part, que les restrictions à la garantie de la propriété et aux droits acquis qu’impliquait l’adoption de l’art. 75b excluent cette dérogation supplémentaire à l’interdiction de construire de nouvelles résidences secondaires depuis le 11 mars 2012.
4. Nouveaux logements sans restrictions d’utilisation; art. 9 –logements en relation avec des entreprises d’hébergement organisées
Ce concept est en soi contraire au mandat constitutionnel. Un financement croisé ne pourrait à la rigueur être envisagé que si des résidences privées se trouvaient sous le même toit que l’exploitation hôtelière. En outre, la réaffectation complète en logements sans restrictions d’utilisation d’hôtels de plus de 25 ans est tout simplement inacceptable. Il convient, au contraire, d’en encourager la rénovation ou la reconstruction.
5. Logements proposés sur une plateforme de placement exploitée commercialement
L’art. 7 al. 2 lit. c, qui prévoit le recours à des plateformes de placement, présente des possibilités d’abus et des difficultés de contrôle insurmontables. Le fait de poser comme condition à leur utilisation l’obligation préalable d’une intégration de ce type de logement au Plan directeur cantonal (art. 8) ne changera rien au défaut fondamental de ce concept.
6. Autorité de surveillance
Alors que le TF a expressément confirmé que l’octroi d’autorisations de construire dans les communes concernées par la disposition relève de l’exécution d’une tâche fédérale (ATF 139 II 271), il faut déplorer que l’art. 16 du projet laisse l’entier de la surveillance de l’application de la loi aux cantons. A notre sens, la plupart des dérogations accordées au titre des exceptions prévues dans la loi devraient être notifiées à l’Office du développement territorial (ARE) afin que celui-ci puisse effectivement assurer une application uniforme du droit fédéral, ne serait-ce que par la menace potentielle qu’il puisse exercer en temps utile son droit de recours. Il paraît en effet difficilement soutenable de confier l’ensemble de la surveillance de l’application d’une norme voulue par le constituant et confirmée dans sa rigueur par le TF aux communes et aux cantons dont les autorités manifestent régulièrement leur mauvaise volonté.