1. La jurisprudence fédérale
La construction de résidences secondaires a occupé le Tribunal fédéral depuis plusieurs années déjà. Le 5 mars 1986, en statuant sur un recours de la commune de Bever aux Grisons, il reconnaît un intérêt public important aux mesures destinées à lutter contre la construction excessive de résidences secondaires dans les cantons montagnards et les régions touristiques: d'une part la multiplication des résidences secondaires conduit au gaspillage du sol, dont la rareté, en Suisse, est bien connue; d'autre part, ce phénomène entraîne un renchérissement du terrain et des logements en raison de la demande de personnes étrangères à la localité, contraignant la population indigène à se contenter de logements dans des endroits moins favorables de la commune, voire dans d'autres communes1.
Par la suite, dans un arrêt du 27 mars 1991 concernant la commune de Sils, le Tribunal fédéral confirme que les communes peuvent prendre des mesures pour lutter contre le développement excessif de résidences secondaires afin d'éviter de créer des infrastructures
surdimensionnées et sous-utilisées2. Dans un arrêt plus récent du 26 mai 2009 concernant les communes de Crans-Montana, il précise que les objectifs de développement qui tendent à favoriser la construction de résidences principales et à limiter celle de résidences secondaires sont des mesures d'aménagement du territoire qui tendent à une occupation judicieuse et mesurée du sol, conformément au mandat constitutionnel de l'art. 75 Cst. et qui correspondent à un intérêt public important justifiant des restrictions à la liberté économique (art. 27 Cst.) et à la garantie de la propriété (art. 26 Cst.)3.
Le Tribunal fédéral a ainsi confirmé des mesures qui fixent un contingent de résidences secondaires4, ou réservent une surface minimale de plancher aux résidences principales dans les zones à bâtir des stations de montagnes5. Dans l'affaire concernant les communes de Crans-Montana, le Tribunal fédéral a confirmé la validité du Règlement communal des quotas du contingentement (RQC), accepté en votation populaire le 11 mars 2007, qui fixe un taux de 70% de résidences principales par parcelle et par lotissement. La population résidente à l'année s'élevait à 6000 habitants, alors que la station comptait déjà 33000 lits en résidences secondaires et 2000 lits d'hôtels; cette situation constituait une menace pour le tourisme et les habitants qui ne trouvaient plus d'appartements pour se loger à des prix raisonnables6. Parmi les autres mesures du RQC admises par le Tribunal fédéral, il faut mentionner celle qui fixe un contingent de résidences principales à 100% pour les chalets individuels et celle qui impose aux propriétaires d'appartements de location non soumis au contingent l'obligation d'assurer une commercialisation et une mise en location par une société de location professionnelle reconnue7. Enfin, le Tribunal fédéral s'est prononcé en 2011 sur une sanction prise par le Conseil communal de Zermatt (amende de 18 750 fr.) contre un propriétaire qui avait acquis une résidence principale sans avoir déplacé son domicile principal à Zermatt dans les délais fixés à cet effet8.
Ce bref regard sur la jurisprudence montre que, depuis plus de 25 ans, le Tribunal fédéral a soutenu les efforts des communes de régions de montagne pour lutter contre la multiplication des résidences secondaires. Les mesures prises par ces communes révélaient aussi que la loi fédérale sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger du 16 décembre 1983 (LFAIE), ne suffisait pas à contrôler et à maîtriser le développement excessif des résidences secondaires; cette législation n'avait d'ailleurs pas été conçue dans ce but, même si elle avait pu, dans certaines régions, contribuer à freiner un tel développement9.
2. La révision de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (LAT) de 2010
Après avoir ouvert en 2005 une consultation en vue d'une éventuelle abrogation de la LFAIE avec des mesures d'accompagnement en matière d'aménagement du territoire, le Conseil fédéral a adopté, le 4 juillet 2007, le message concernant l'abrogation de la LFAIE10 et celui sur les mesures d'accompagnement sur les résidences secondaires11. Le Conseil national et le Conseil des Etats ont toutefois renvoyé le projet d'abrogation de la LFAIE au Conseil fédéral en mars et juin 2008. Mais les mesures d'accompagnement ont été adoptées le 17 décembre 2010 comme un contre-projet indirect à l'initiative populaire «Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires», qui avait été déposée dans l'intervalle, le 18 décembre 2007.
Dans son Message concernant les mesures d'accompagnement, le Conseil fédéral relève encore les nombreux inconvénients d'une multiplication des résidences secondaires: diminution des lits hôteliers, voire fermeture d'hôtels, augmentation excessive des prix du marché immobilier et locatif, surcoût considérable des infrastructures à charge des contribuables locaux, consommation élevée de surfaces urbanisées, mitage du paysage et atteinte aux paysages de valeurs constituant le capital du tourisme suisse12. Les solutions et mesures individuelles prises par certaines communes ou cantons n'avaient qu'une portée locale et restaient insuffisantes. Il était donc nécessaire de donner les bases légales permettant à la Confédération de prendre des mesures plus vigoureuses aux niveaux régional et cantonal, qui puissent assurer un développement mesuré et équilibré de ce type de construction sur l'ensemble du pays13.
Le Conseil fédéral a proposé au Parlement d'agir dans le cadre des instruments de planification prévus par la LAT, en particulier le plan directeur cantonal, de manière à respecter la répartition des compétences entre cantons et Confédération prévue par l'art. 75 Cst. Cette disposition limite en effet le rôle de la Confédération à l'élaboration de principes ou de prescriptions cadres, les cantons conservant la compétence de mise en œuvre, par leur propre législation, d'application en matière d'aménagement du territoire, leur permettant d'adopter des solutions appropriées aux caractéristiques locales par l'adoption de plans d'affectation notamment14.
La LAT a donc été modifiée pour imposer aux cantons de désigner, dans leur plan directeur, les territoires où des mesures particulières doivent être prises en vue de maintenir une proportion équilibrée de résidences principales et de résidences secondaires (art. 8 al. 2 LAT). Les dispositions transitoires fixent un délai de trois ans aux cantons pour adapter les plans directeurs cantonaux et pour veiller à ce que les communes prennent, dans le même délai, les mesures nécessaires, notamment par la fixation de contingents annuels ou d'un taux de résidences principales ou par la délimitation de zones d'affectation spéciale ou encore par le prélèvement de taxes d'incitation. A l'expiration de ce délai, aucune nouvelle résidence secondaire ne peut plus être autorisée tant que les cantons et les communes n'ont pas adopté les dispositions nécessaires15. L'entrée en vigueur de ces nouvelles règles a été fixée au 1er juillet 2011 et le délai de trois ans arrive ainsi à échéance le 1er juillet 2014.
3. Les dispositions constitutionnelles sur les résidences secondaires de 2012 (art. 75b et 197
ch. 9 Cst.)
L'initiative populaire «Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires», qui avait été lancée dès l'annonce du projet d'abrogation de la LFAIE, a été acceptée par le peuple et les cantons le 11 mars 201216. L'art. 75b Cst. prévoit que «les résidences secondaires constituent au maximum 20% du parc des logements et de la surface brute au sol habitable de chaque commune» (al. 1) et que «la loi oblige les communes à publier chaque année leur plan de quotas de résidences principales et l'état détaillé de son exécution» (al. 2). Les dispositions transitoires de l'art. 197 ch. 9 Cst. prévoient que «le Conseil fédéral édicte, par voie d'ordonnance, les dispositions d'exécution nécessaires sur la construction, la vente et l'enregistrement au Registre foncier si la législation correspondante n'est pas entrée en vigueur deux ans après l'acceptation de l'art. 75b par le peuple et les cantons» (al. 1).
En outre, «les permis de construire des résidences secondaires qui auront été délivrés entre le 1er janvier de l'année qui suivra l'acceptation de l'art. 75b par le peuple et les cantons et la date d'entrée en vigueur de ses dispositions d'exécution seront nuls» (al. 2).
Ces dispositions constitutionnelles sont entrées en vigueur dès leur acceptation par le peuple et les cantons, comme le prévoit l'art. 195 Cst.17. Par ailleurs, le Conseil fédéral a d'emblée adopté des dispositions d'exécution par voie d'ordonnance sans attendre le délai de deux ans préconisé par l'art. 197 ch. 9 Cst. Il a ainsi prévu une mise en œuvre de l'initiative en deux étapes: tout d'abord, par l'adoption de l'ordonnance du 22 août 2012 sur les résidences secondaires (ci-après: l'ordonnance ou ORés), avec une entrée en vigueur fixée au 1er janvier 2013, réglant les questions les plus urgentes; ensuite, par une loi fédérale d'exécution qui doit, en principe, entrer en vigueur dans le délai de deux ans dès l'acceptation de l'initiative, soit avant le 11 mars 2014.
a) Les bases constitutionnelles de l'ordonnance sur les résidences secondaires du 20 août 2012
La base constitutionnelle de l'ordonnance peut soulever des questions. Le rapport explicatif relatif à l'ordonnance mentionne deux pistes. Tout d'abord, la règle transitoire qui prévoit la nullité de toute autorisation de construire des résidences secondaires depuis le 1er janvier 2013 jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions d'exécution pose des difficultés d'exécution. Selon la jurisprudence, la nullité absolue d'une autorisation ne frappe que les décisions affectées des vices les plus graves, manifestes ou du moins facilement décelables, et pour autant que la constatation de la nullité ne mette pas sérieusement en danger la sécurité du droit. Hormis dans les cas expressément prévus par la loi, il n'y a lieu d'admettre la nullité qu'à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d'annulabilité n'offre manifestement pas la protection nécessaire. Des vices de fond n'entraînent qu'à de rares exceptions la nullité d'une décision; en revanche, de graves vices de procédure ainsi que l'incompétence qualifiée de l'autorité qui a rendu la décision sont des motifs de nullité18. La conséquence de la nullité prévue par l'initiative apparaît disproportionnée au regard de la jurisprudence fédérale. Elle menace la sécurité du droit par les incertitudes que la mise en œuvre de la disposition transitoire peut provoquer: par exemple, la règle s'applique-t-elle à toutes les résidences secondaires ou seulement à celles des communes visées par l'art. 75b Cst.? Ne concerne-t-elle que les nouvelles résidences ou s'applique-t-elle aussi aux travaux ou aux changement d'affectation de résidences existantes? Comment définir la notion même de résidence secondaire?
En outre, comme la nullité absolue peut être invoquée en tout temps et devant toute autorité et qu'elle doit être constatée d'office19, il serait possible de contester et de remettre continuellement en cause, auprès de toutes autorités, les permis délivrés pour des résidences secondaires pendant la phase transitoires allant du 1er janvier 2013 au 11 mars 2014. Or, il s'agirait précisément d'une période d'incertitude avant que la jurisprudence du Tribunal fédéral ne soit connue sur la portée de la disposition transitoire. Il y avait donc pour le Conseil fédéral, une nécessité de régler en urgence la période transitoire et de clarifier ainsi la situation juridique avant l'adoption d'une loi d'exécution.
Aussi l'art. 197 ch. 9 al. 1 Cst. attribue-t-il clairement au Conseil fédéral la compétence d'édicter, par voie d'ordonnance, les dispositions d'exécution nécessaires sur la construction, la vente et l'enregistrement au Registre foncier à titre transitoire avant l'adoption d'une loi d'exécution. Le délai de deux ans pour l'adoption et la mise en vigueur d'une loi d'exécution est fixé à l'attention du législateur fédéral. Il doit être compris comme la limite maximale à ne pas dépasser pour l'adoption des dispositions d'exécution de l'initiative. Mais on ne saurait comprendre ce délai comme une interdiction faite au Conseil fédéral d'adopter des dispositions d'exécution avant cette échéance. Au contraire, il ressort du texte de l'initiative une volonté des initiants tendant à ce que les dispositions d'exécution soient adoptées le plus tôt possible, mais dès le 1er janvier de l'année qui suit l'acceptation de l'initiative. Dans ce sens, la base constitutionnelle de l'ordonnance pourrait se déduire de l'art. 182 al. 1 Cst. (ordonnance indépendante).
La deuxième piste mentionnée dans le rapport explicatif se réfère aux nouvelles dispositions de la LAT sur les résidences secondaires. En effet, l'acceptation de l'initiative n'a pas abrogé les nouvelles règles de la LAT sur les résidences secondaires20. Les deux textes coexistent et doivent être appliqués de manière coordonnée et concertée. L'art. 8 al. 2 LAT impose donc aux cantons de désigner les territoires où des mesures particulières doivent être prises en vue de maintenir une proportion équilibrée de résidences principales et de résidences secondaires et l'art. 8 al. 3 LAT précise que les mesures à prendre visent notamment à limiter le nombre de nouvelles résidences secondaires (lit. a). Or, le nouvel art. 75b Cst. fixe clairement le critère à prendre en compte pour limiter le nombre des résidences secondaires et ne laisse plus de marge de manœuvre aux cantons dans le processus d'adaptation de leur plan directeur cantonal. Dans ce cadre, l'ordonnance pourrait être comprise comme un texte de mise en œuvre de l'exigence de l'art. 8 al. 2 LAT sur le maintien d'une proportion équilibrée entre résidences principales et résidences secondaires21. L'ordonnance trouverait alors sa base constitutionnelle à l'art. 182 al. 2 Cst. (ordonnance d'exécution22).
La situation est, à peu de chose près, comparable à celle qui a prévalu lors de l'acceptation de l'initiative Rothenthurm. L'initiative introduisait un nouvel alinéa 5 à l'art. 24sexies, dans l'ancienne Constitution (actuellement art. 78 al. 5 Cst.) qui instaurait une protection des marais et des sites marécageux d'une beauté particulière23. Le contre-projet indirect à l'initiative proposait de protéger l'ensemble des biotopes, et pas seulement les marais, par une modification de la loi fédérale sur la protection de la nature (LPN)24; dans ce but, l'art. 18a LPN chargeait le Conseil fédéral de désigner les biotopes d'importance nationale. Cette disposition a alors servi de base légale aux ordonnances du Conseil fédéral sur la protection des hauts- et des bas-marais, adoptées respectivement en 1991 et 199425 et assurait ainsi la mise en oeuvre partielle de l'initiative avant l'adoption des dispositions d'exécution (art. 23a et 23b LPN) par le Parlement le 24 mars 1995, entrées en vigueur en février 199626.
On peut relever enfin que l'ordonnance porte pour l'essentiel sur les différents points mentionnés à l'art. 197 ch. 9 al. 1 Cst. Elle règle la construction de nouvelles résidences secondaires (art. 4 ORés) et l'inscription des mentions au Registre foncier (art. 6 ORés). L'ordonnance définit son champ d'application (art. 1 ORés) et la notion de résidence secondaire (art. 2 ORés). Elle règle encore le cas des résidences et des établissements hôteliers existants et leur changement d'affectation (art. 3 ORés) ainsi que celui des résidences secondaires aménagées dans des constructions protégées (art. 5 ORés); les dispositions transitoires concernent les résidences secondaires prévues par des plans d'affectation spéciaux détaillés, approuvés avant le 11 mars 2012 (art. 8 ORés). Il s'agit d'un contenu minimum permettant d'assurer une mise en œuvre cohérente de l'initiative dans le respect du principe de sécurité du droit. Les décisions accordant des permis de construire des résidences secondaires seront alors annulables dans le cadre de recours si elles ont été délivrées en violation de l'ordonnance.
b) La situation transitoire entre le 11 mars 2012 et le 31 décembre 2012
Ni l'ordonnance sur les résidences secondaires ni les dispositions transitoires de l'art. 197 ch. 9 Cst. ne règlent la situation transitoire entre l'acceptation de l'initiative, le 11 mars 2012, et l'entrée en vigueur de l'ordonnance, le 1er janvier 2013. Dans un communiqué de presse du 17 septembre 2012, l'association Helvetia Nostra indiquait avoir déposé plus de 900 oppositions à des projets de résidences secondaires et de nombreux recours ont été interjetés contre les décisions des communes levant ces oppositions.
La question que posent ces recours est celle de savoir si l'art. 75b Cst., qui est entré en vigueur le 11 mars 2012 en vertu de l'art. 195 Cst., fait obstacle à l'octroi de permis de construire des résidences secondaires dans les communes où la proportion de 20% est déjà dépassée. En d'autres termes, il convient de déterminer si l'art. 75b Cst. est une norme suffisamment précise pour être directement appliquée. Seule la violation de dispositions directement applicables (self-executing) peut, en effet, être invoquée par les particuliers devant les tribunaux. La jurisprudence a précisé à cet égard qu'une norme constitutionnelle ou conventionnelle est directement applicable si elle est suffisamment déterminée et claire par son contenu pour constituer le fondement d'une décision27. C'est par la voie de l'interprétation qu'il convient d'opérer une qualification à cet égard28.
Selon l'art. 75b Cst., les résidences secondaires constituent au maximum 20% du parc des logements et de la surface brute au sol habitable de chaque commune. Les données statistiques (recensements) permettent de déterminer avec assez de précision si la proportion de 20% par rapport au parc de logements est ou non atteinte. En revanche, pour déterminer si la proportion de 20% de la surface brute au sol habitable est ou non dépassée, des études plus précises doivent être entreprises dans les communes. Le critère de surface brute habitable au sol est d'ailleurs inhabituel; les règlements de construction distinguent plutôt la surface brute de plancher habitable totale d'une construction pour déterminer l'indice ou le coefficient d'utilisation du sol (CUS) et la surface bâtie au sol pour fixer le coefficient d'occupation du sol (COS), la surface bâtie au sol ne correspondant pas nécessairement à la surface habitable au sol29.
Mais la seule possibilité de déterminer si la proportion de 20% par rapport au parc de logements est ou non atteinte ne signifie pas encore que la norme constitutionnelle est directement applicable. L'art. 75b Cst. manque en effet de précision en ce qui concerne les moyens juridiques de mise en œuvre dans les différents instruments d'aménagement du territoire prévus par le titre II de la LAT et ses effets juridiques. Ces mesures distinguent les plans directeurs des cantons (art. 6 à 12 LAT), les plans sectoriels de la Confédération (art. 13 LAT), les plans d'affectation (art. 14 à 21 LAT) et les permis de construire (art. 22 à 24 LAT). Or on ne voit pas la place que prend l'art. 75b Cst. dans ces différents instruments de planification et, dans tous les cas, la norme constitutionnelle ne le précise pas. Ainsi, on ne sait pas si l'art. 75b Cst. constitue un objectif contraignant de planification à insérer dans les plans directeurs des cantons, au sens de l'art. 8 LAT, ou s'il s'agit d'une mesure à prendre en compte directement dans la procédure d'établissement des plans d'affectation (art. 14 ss LAT) ou encore d'une règle de construction directement applicable dans la procédure de demande de permis de construire (art. 22 LAT). En prévoyant une loi d'exécution dans les dispositions transitoires, les initiants s'en sont ainsi remis au législateur pour préciser la place de la règle de l'art. 75b Cst. dans les différents instruments d'aménagement du territoire.
Les dispositions transitoires sont toutefois beaucoup plus précises. Les initiants ont prévu un effet juridique direct en prévoyant la nullité des permis de construire des résidences secondaires délivrés entre le 1er janvier 2013 et la date d'entrée en vigueur de ses dispositions d'exécution. On peut interpréter cette règle en ce sens que la conséquence de la nullité concerne seulement les permis de construire délivrés pour les résidences secondaires dans les communes où la proportion de 20% prévue par l'art. 75b Cst. est dépassée. La disposition transitoire prévoit une application directe de la norme constitutionnelle dès le 1er janvier 2013 dans le cadre de la procédure de demande de permis de construire, en indiquant les conséquences juridiques pour les permis de construire des résidences secondaires délivrés sans respecter la proportion prévue par l'art. 75b al. 1 Cst. Cette disposition transitoire limite toutefois l'effet juridique de la nouvelle norme constitutionnelle à partir du 1er janvier 2013. Cette marge a vraisemblablement été prévue et voulue pour donner une certaine souplesse à la mise en œuvre de l'initiative, car rien n'empêchait les initiants de prévoir, dans
les dispositions transitoires, la conséquence de la nullité des permis de construire dès le jour de l'acceptation de l'initiative par le peuple et les cantons.
Ainsi, l'art. 75b Cst. en relation avec l'art. 197 ch. 9 al. 2 Cst. n'est donc pas une norme constitutionnelle directement applicable dans la procédure d'autorisation de construire, dans tous les cas pas avant le 1er janvier 2013. Le Tribunal administratif du canton des Grisons a rendu le 23 octobre 2012 un arrêt allant dans le même sens30. En revanche, dès le 1er janvier 2013, l'ordonnance sur les résidences secondaires comportera les dispositions d'exécution nécessaires permettant d'assurer la mise en œuvre de l'initiative dans les procédures de demande de permis de construire, en particulier l'art. 4 ORés.
c) Qualité pour recourir de Helvetia Nostra
Les nombreux recours déposés par Helvetia Nostra contre les décisions communales délivrant des permis de construire des résidences secondaires dans les communes où la proportion de 20% est dépassée amènent les tribunaux à se poser la question de la qualité pour agir de l'association, qui doit être examinée d'office.
Helvetia Nostra fait partie des organisations d'importance nationale auxquelles la législation fédérale accorde un droit de recours au sens de l'art. 12 LPN31. Le droit de recours de l'art. 12 al. 1 LPN concerne toutefois exclusivement les décisions prises dans l'accomplissement de tâches de la Confédération au sens des art. 78 al. 2 Cst. et 2 LPN32. On est en présence d'une tâche de la Confédération lorsque le projet requiert une autorisation fondée sur le droit fédéral au sens de l'art. 2 al. 1 lit. b LPN, par exemple, les autorisations spéciales prévues pour les constructions hors des zones à bâtir au sens des art. 24 ss LAT33. En revanche, les décisions prises dans le cadre de la procédure cantonale d'autorisation de construire selon l'art. 22 LAT ne font pas partie des tâches de la Confédération34.
Ainsi, le fait de délivrer une autorisation de construire une résidence secondaire dans des zones à bâtir légalisées et conformes à l'art. 15 LAT ne constitue pas une tâche de la Confédération au sens de l'art. 2 LPN, car le droit fédéral n'est pas directement applicable et n'est pas déterminant pour ce type d'autorisation. Le droit fédéral comprend aussi les droits constitutionnels des citoyens35, mais l'art. 75b Cst. ne constitue précisément pas une norme de droit fédéral directement applicable, ni d'ailleurs le nouvel art. 8 al. 2 et 3 LAT, et ces dispositions ne sont donc pas applicables dans la procédure d'autorisation de construire, dans tous les cas jusqu'au 31 décembre 2012. Les recours de Helvetia Nostra contre les permis de construire des résidences secondaires en zone à bâtir ne semblent pas recevables en vertu de l'art. 12 LPN en l'absence d'une tâche de la Confédération36.
NOTES
*L'auteur exprime ici des opinions qui n'engagent que lui
1ATF 112 Ia 65 consid. 5c pp. 70-71 (commune de Bever).
2ATF 117 Ia 141 consid. 2c. p. 144 (commune de Sils).
3ATF 135 I 233 consid. 2.7 p. 244 (communes de Crans-Montana).
4ATF 1P.22/1995 du 1er septembre 1995 consid. 3b.
5ATF 112 Ia 65; 117 Ia 141.
6ATF 135 I 233 consid. 3.4 p. 247 (communes de Crans-Montana).
7ATF 135 I 233 consid. 5.4 et 7.3 p. 250. et 252 (communes de Crans-Montana)
8 ATF 6B_802/2010 du 25 août 2011.
9Message concernant la modification de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (mesures d'accompagnement liées à l'abrogation de la loi fédérale sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger du 4 juillet 2007) ci-après Message LAT, in FF 2007 p. 5480.
10FF 2007 p. 5455 ss.
11FF 2007 p. 5477 ss.
12Message LAT in FF 2007 p. 5480-5481.
13Message LAT in FF 2007 p. 5481-5482.
14Message LAT in FF 2007 p. 5484.
15RO 2011 p. 29123.
16L'initiative populaire a été acceptée par le peuple, par 1 152 598 oui (50,6%) contre 1 123 802 non (49,4%), ainsi que par les cantons - 12 cantons et 3 demi-cantons oui, contre 8 cantons et 3 demi-cantons non; in FF 2012 p. 6149.
17Office fédéral du développement territorial, Rapport explicatif relatif à l'ordonnance sur les résidences secondaires du
17 août 2012 (ci-après: Rapport explicatif) p. 2.
18ATF 122 I 97 consid. 3aa p. 99; 116 Ia 215 consid. 2c p. 219 s et la jurisprudence citée.
19ATF 116 Ia 215 consid. 2a p. 217; 115 Ia 1 consid. 3 p. 4 et les arrêts cités.
20Rapport explicatif pp. 2 et 3.
21Rapport explicatif p. 3.
22Sur les notions d'ordonnances indépendante ou d'exécution voir AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, Berne 2000 vol. 1 n° 1910 à 1918.
23L'initiative a été acceptée lors de la votation du 6 décembre 1987 par 57,8% des votants et par 17 cantons et 6 demi-cantons.
24FF 1985 II p. 1470.
25Voir l'ordonnance sur la protection des hauts-marais du 21 janvier 1991 (RS 451.32) et l'ordonnance sur la protection des bas-marais du 7 septembre 1994 (RS 451.33).
26RO 1996 p. 214 et FF 1991 III pp. 1137 ss.
27ATF 136 I 290 consid. 2.3.1 p. 293; 126 I 240 consid. 2b; 125 III 277 consid. 2d/aa p. 281; 121 V 246 consid. 2b p. 249; 120 Ia 1 consid. 5b.
28ATF 121 V 246 consid. 2b et les références citées; arrêts du Tribunal administratif fédéral A-7663/2010 et A-7699/2010 du 28 avril 2011 consid. 2.1 et les références citées.
29Pour une distinction entre coefficient d'utilisation ou d'occupation du sol, voir l'arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud AC.2004.0213 du 22 juin 2006 consid. 8.
30Arrêt du Tribunal administratif du canton des Grisons R 12 77 du 23 octobre 2012.
31ATF 137 II 143 consid. 1.1 non publié .
32ATF 1C_426/2009 du 17 mars 2010 consid. 1 et les arrêts cités.
33ATF 1C_394/2010 et 1C_404/2010 du 10 juin 2011 consid. 2.2.
34ATF 116 Ib 119 consid. 2c p. 124; 115 Ib 335 consid. 4a p. 340, voir aussi ATF 1C_393/2011 du 3 juillet 2012 consid. 6.
35ALFRED KÖLZ/ISABELLE HÄNER, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, 2e éd., Zurich 1998, ch. 621.
36Voir dans le même sens l'arrêt de la Cour de droit public du Tribunal cantonal valaisan du 23 octobre 2012.