L’enfant au centre des préoccupations
Comme le soulignait le Conseil fédéral dans le cadre de la révision du Code civil, «la perception de l’enfant dans la société et dans le droit a considérablement évolué, ces dernières années. On est passé du statut de l’«enfant objet/dépendant», une sorte de propriété des parents, au statut de l’«enfant sujet/indépendant», lui-même détenteur de droits. La Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant (CDE-ONU), en vigueur en Suisse depuis le 26 mars 1997, constitue une étape importante dans ce processus (…). Il ne s’agit pas seulement de protéger l’enfant en tant que membre le plus vulnérable de la société, mais aussi de le reconnaître comme une personne indépendante ayant ses propres aspirations, sa propre volonté et ses propres droits. (…) Cela s’avère d’autant plus nécessaire que le fondement de la famille contemporaine n’est plus le couple, dont le maintien est incertain dans la durée, mais plutôt la relation parent-enfant.3»
Le regroupement familial inversé, qui met au centre le droit de l’enfant, va dans le sens de cette évolution, tout en étant limité par la politique migratoire dont les contours sont définis notamment par l’art. 121a Cst. Cette disposition prévoit que «la Suisse gère de manière autonome l’immigration des étrangers. (…) Le droit au séjour durable, au regroupement familial et aux prestations sociales peut être limité.» Si les tensions entre cette disposition, adoptée en votation populaire en 2014, et l’Accord sur la libre circulation des personnes ont été abondamment débattues, il ne fait aucun doute qu’une politique migratoire ainsi posée crée aussi un champ de tension avec la volonté, tout aussi affirmée, de mettre les enfants au centre des préoccupations. L’articulation est, on s’en doute, délicate; l’objectif de la politique migratoire restant la maîtrise, voire pour certains la limitation des entrées sur le territoire, alors que le droit de l’enfant est de pouvoir vivre une relation harmonieuse avec ses deux parents hors considérations de nationalité. L’évolution, parfois erratique, du regroupement familial inversé en est l’une des illustrations.
De l’effet utile…
Commençons par la seule disposition qui semblerait traiter du droit de l’enfant à faire venir ou stabiliser le statut de ses parents. Le regroupement familial ascendant, comme droit pour un regroupant de faire venir un membre de sa famille qui ne soit ni son conjoint ni son enfant mineur, existe, pour la Suisse, depuis l’introduction de l’ALCP. En effet, l’art. 3 al. 2 Annexe I ALCP prévoit un droit au regroupement familial de ses aînés et de ceux de son conjoint en ligne directe4. Comme la condition pour pouvoir faire venir ses ascendants est d’être en mesure de démontrer les avoir entretenus, on imagine bien que le but de cette disposition n’est pas de garantir à un enfant mineur ressortissant d’un pays de l’Union européenne de vivre avec son ou ses parents, mais bien de protéger le droit du travailleur de faire venir les aînés dont il ou elle a la charge.
Garantir à un enfant le droit de vivre dans le pays dont il a la nationalité – ou dans lequel il a un droit à la libre circulation – et régler le séjour du parent qui en a la garde principale ne figure donc dans aucun acte législatif. Une construction jurisprudentielle a été nécessaire pour arriver à l’instauration de ce regroupement familial inversé. Le premier pas de cette construction est le concept d’effet utile. En application des art. 6 et 24 Annexe I ALCP, toute personne bénéficiaire des Accords peut s’installer dans n’importe quel pays signataire pour autant que ses ressources soient suffisantes. Un enfant européen peut donc invoquer son droit à la libre circulation. La question qui se pose est alors de savoir si cela permet l’installation du parent gardien. C’est l’effet utile développé progressivement par la jurisprudence tant européenne que suisse, il y a un peu plus d’une quinzaine d’années. Dans un arrêt du 19 octobre 2004, ci-après arrêt Zhu et Chen5, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) ouvrait la voie. L’enfant Catherine Chen avait acquis la nationalité irlandaise de par sa naissance sur le sol de l’île. La mère de l’enfant, de nationalité chinoise, cherchait à obtenir une autorisation de séjour sur la base du droit à la libre circulation de sa fille. La Cour a affirmé que l’enfant avait un droit de s’installer dans n’importe quel pays de l’Union et que «le refus de permettre au parent, ressortissant d’un État membre ou d’un État tiers, (…) de séjourner avec cet enfant dans l’État membre d’accueil priverait de tout effet utile le droit de séjour de ce dernier. En effet, il est clair que la jouissance du droit de séjour par un enfant en bas âge implique nécessairement que cet enfant ait le droit d’être accompagné par la personne assurant effectivement sa garde.»6
La jurisprudence est aujourd’hui bien établie en Suisse depuis un arrêt du 15 novembre 20107, où le Tribunal fédéral a admis qu’une ressortissante brésilienne, mère d’un ressortissant portugais, puisse se prévaloir d’un titre de séjour en raison de la nationalité de son fils. En parallèle, le TF a peu à peu défini les contours de la notion de condition financière comme, par exemple, que les ressources de l’enfant pouvaient émaner de l’activité de tiers8 ou être obtenues alors que le parent n’était pas au bénéfice d’une autorisation de travail9. Il a aussi précisé que les ressources sont considérées comme suffisantes même si la famille bénéficie des subsides d’assurance maladie10. La jurisprudence a aussi confirmé qu’il n’était pas nécessaire que l’enfant ait fait usage de libre circulation, c’est-à-dire qu’il pouvait être né en Suisse et bénéficier de l’application de la jurisprudence Zhu et Chen, et ce contre l’avis du SEM11.
Reste que l’exigence principale pour l’application de cette jurisprudence est l’autonomie financière de l’enfant et de son parent gardien, basée sur l’art. 24 Annexe I ALCP.
Un autre développement jurisprudentiel européen offre un droit de séjour propre à l’enfant, et, par ricochet, à son parent gardien: il s’agit du droit de demeurer de l’enfant d’un travailleur. Dans son arrêt Baumbast du 17 septembre 200212,
la CJCE traite la situation d’une ressortissante colombienne, épouse d’un travailleur allemand venu s’installer en Grande-Bretagne avec sa famille et ses deux enfants dont l’un était un ressortissant UE. Le couple se sépare et le mari quitte le pays. Il ressort de cet arrêt que «les enfants d’un citoyen de l’Union européenne qui se sont installés dans un État membre, alors que leur parent exerçait des droits de séjour en tant que travailleur migrant dans cet État membre sont en droit d’y séjourner afin de poursuivre des cours d’enseignement général (…). Le fait que les parents des enfants concernés ont entre-temps divorcé, le fait que seul l’un des parents est un citoyen de l’Union et que ce parent n’est plus un travailleur migrant dans l’État membre d’accueil ou le fait que les enfants ne sont pas eux-mêmes des citoyens de l’Union n’ont, à cet égard, aucune incidence. Lorsque des enfants bénéficient d’un droit de séjour dans un État membre d’accueil afin de suivre des cours d’enseignement général (…) cette disposition (…) permet au parent qui a effectivement la garde de ces enfants, quelle que soit sa nationalité, de séjourner avec eux.»
A la différence de la jurisprudence Zhu et Chen, qui s’appuie sur le droit des personnes sans activité lucrative, l’affaire Baumbast traite du droit des travailleurs, ce qui fait que la condition d’indépendance économique ne s’applique pas13. Dans un arrêt du 12 avril 200514, le TF se réfère à cette jurisprudence, mais renonce à l’application du droit de demeurer de l’enfant au cas d’espèce, estimant que l’école enfantine ne fait pas partie de l’enseignement général traité par le droit européen. Un mois plus tard, s’agissant d’un enfant allemand en apprentissage et de sa mère Mauricienne, le TF estime, en référence à l’arrêt Baumbast, que l’enfant allemand devait être autorisé à terminer sa formation et demeurer en Suisse, non pas sur la base d’une autorisation de séjour pour personne sans activité lucrative (art. 24 Annexe I ALCP), mais comme membre de la famille d’un travailleur (art. 3 par. 6 Annexe I ALCP). La question de l’indépendance financière devenait alors indifférente15. Cette position a été confirmée dans un arrêt récent16 concernant le droit de demeurer propre d’un enfant portugais de 13 ans, né en Suisse, détenteur d’un permis C, et dont le père qui a la garde se voit refuser un renouvellement du fait de sa dépendance à l’aide sociale.
La pratique reste toutefois très instable. Si, dans un arrêt de mai 201917, le TF rappelle qu’avant de révoquer le permis de séjour d’une femme divorcée et de ses deux enfants, le Tribunal cantonal doit se prononcer sur l’existence d’un éventuel droit de demeurer des enfants malgré la situation obérée de la mère, on trouve une décision inverse cinq jours plus tard pour un état de fait assez semblable18. Le droit de demeurer de l’enfant n’est pas reconnu, car l’enfant pourrait habiter chez son père. On s’interroge sur la légitimité du juge administratif de compter sur un changement de garde, pourtant attribuée par l’autorité civile compétente à la mère. Un tel raisonnement pourrait évidemment réduire de manière importante l’application de la jurisprudence Zhu et Chen ainsi que Baumbast à chaque fois que le parent non gardien bénéficie, lui, d’un droit de séjour19.
En matière d’asile, on voit aussi poindre un regroupement familial inversé pour le parent gardien20, comme, par exemple, dans une situation récente21 concernant une demande d’autorisation d’entrée et de séjour pour la mère, alors en Éthiopie, d’une jeune Erythréenne de 12 ans reconnue réfugiée en Suisse.
Quid de la situation des enfants suisses? La Constitution fédérale préconise, à son art. 25, l’interdiction de l’expulsion d’un citoyen suisse. Jusqu’en 2009, les autorités fédérales ont toutefois régulièrement accepté l’expulsion d’un enfant suisse (en bas âge) et l’ont considérée comme conforme à l’article 8 CEDH22 et à la Cst. Dans un arrêt de principe de mars 200923, le TF a admis que le droit de l’enfant suisse de vivre en Suisse, et partant le droit de son parent gardien, était le principe. Ce droit n’est néanmoins assuré que pour autant qu’il n’y ait pas un intérêt public prépondérant à l’éloignement, dont la dépendance à l’aide sociale fait partie. Ainsi en 201824 encore, une enfant suisse s’est vu refuser l’entrée en Suisse avec sa mère turque puisque celle-ci n’avait, durant les quatre ans de vie commune passées en Suisse, quasiment pas travaillé et que la famille avait largement dépendu de l’aide sociale.
Au regroupement familial inversé plus large…
Après avoir examiné les situations où l’enfant a un droit propre de vivre en Suisse, risquant d’être mis en danger si le parent gardien n’obtient pas un droit dérivé, il reste à régler l’épineuse question des droits fondés sur sa relation à l’autre parent. A quelles conditions le parent non gardien étranger peut-il, alors qu’il est bénéficiaire d’un droit de visite avec son enfant installé en Suisse auprès du parent gardien, obtenir une autorisation de séjour?
Dans l’hypothèse où un étranger marié avec un•e ressortissant•e suisse ou un bénéficiaire d’un permis C se sépare, il a droit au renouvellement de son permis s’il exerce un droit de visite, a un lien économique avec l’enfant et que son comportement est irréprochable. Dans un tel cas, il pourra invoquer non seulement l’art 8 CEDH, mais aussi l’art. 50 al. 1 let. b LEI25. En effet, les raisons personnelles majeures prévues par cette disposition peuvent être invoquées, pour protéger des relations entre parents et enfants, bien que cela ne ressorte pas explicitement du texte. L’application du seul art. 8 CEDH apparaît dans les constellations soit de demande de premier permis à la suite de la naissance d’un enfant, soit en cas de séparation d’un couple de concubins.
Avant d’examiner la nature du lien permettant à un parent ressortissant d’un État tiers26 de demander un permis de séjour par regroupement familial inversé sur la base de son droit de visite, regardons plus en détail quels enfants peuvent faire valoir un droit de séjour en Suisse qui puisse fonder un droit dérivé. Selon le TF27 et le SEM28, la notion de résidence durable en Suisse suppose que la personne ait la nationalité suisse, une autorisation d’établissement ou un droit certain à une autorisation de séjour.
En pratique, quand l’enfant est titulaire d’une autorisation de séjour, différentes appréciations semblent possibles. Ainsi, le TF admet qu’un enfant de nationalité monténégrine ayant un permis B, vivant avec sa mère macédonienne, a un droit de séjour durable29. Dans un autre cas, un droit durable a été admis pour une ressortissante camerounaise titulaire d’une autorisation de séjour, mère d’un enfant suisse issu d’une première relation et d’un enfant camérounais, dont le père sollicite une autorisation de séjour30. En revanche, le TAF a nié un tel droit de séjour durable à un enfant équatorien avec permis B en Suisse31 et le TF a jugé irrecevable le recours d’un ressortissant sénégalais, père d’un enfant avec permis B32.
Or, considérer qu’une autorisation de séjour (B voire L ou F) ne donne pas de droit de séjour durable est discutable au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci a, par exemple, estimé que, en expulsant un père divorcé, alors qu’aucun droit de visite n’a été fixé malgré sa demande, les Pays-Bas n’ont pas respecté les intérêts du requérant garantis par l’article 8 CEDH33. La Suisse a également été condamnée par la CrEDH dans une affaire où l’enfant, de nationalité équatorienne, était titulaire uniquement d’une admission provisoire34 puisque la Suisse n’avait pas tenu compte des intérêts de l’enfant qui serait privée de son père en cas d’expulsion de ce dernier.
Quel lien faut-il avoir avec l’enfant?
De manière générale, le TF a considéré que, en principe, il n’existait pas de droit à une autorisation de séjour sur la base d’un droit de visite, vu qu’il suffisait qu’il soit exercé dans le cadre de séjours brefs35. Ce droit n’existe que s’il existe des relations étroites et effectives au niveau tant affectif qu’économique, qu’il serait impossible de garder ces liens en raison de la distance; de surcroît, le parent doit avoir fait preuve d’un comportement irréprochable.
Le TF a donc longtemps estimé que l’existence d’un droit de visite ordinaire et le paiement d’une pension alimentaire ne suffisaient pas pour fonder un droit de séjour sur la base d’un droit de visite36. Puis en 2013, dans un arrêt de principe37, le TF a admis le droit d’un parent non gardien fondé sur l’art. 8 CEDH en cas de droit de visite ordinaire. A contrario, cela signifie que, par exemple, un droit de visite sans nuit n’est pas considéré comme suffisant38. En outre, un lien affectif récent n’est pas non plus suffisant39. En ce qui concerne le droit de visite exclusivement exercé de manière surveillée dans le cadre d’un point rencontre, ou dans le cas d’un droit de visite exercé sous la surveillance d’une curatelle éducative, en raison de l’instabilité du père, le TF a régulièrement dit qu’il ne pouvait pas être considéré comme un droit de visite usuel40. Cependant, un lien affectif fort a été admis malgré l’existence d’un droit de visite surveillé, relatif à des situations exceptionnelles. Dans le premier cas, la mère faisait preuve d’une attitude oppositionnelle face au droit de visite du père41; dans le deuxième, une mère s’était vu retirer le droit de garde, au profit d’un droit de visite, uniquement en raison du statut précaire de son permis de séjour42.
Les liens que le parent non gardien doit avoir avec l’enfant sont donc de double nature, affective mais aussi économique. Si la condition du lien économique n’est pas remplie, le TF estime d’ailleurs, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les autres conditions43. Pendant longtemps, il a jugé que la question de l’absence de versement de la pension alimentaire devait être appréciée de manière objective, sans égard aux raisons d’un tel manquement44. Mais, dans des arrêts plus récents, il a renvoyé des affaires à l’instance inférieure justement pour examiner les raisons de l’absence de liens économiques45 et a considéré que l’étendue de la prise en charge économique doit rester dans l’ordre du possible et du raisonnable46.
Dans des cas exceptionnels, il a même été fait abstraction de l’exigence du lien fort au niveau économique. Cela a été admis dans le cas, déjà cité plus haut, d’une mère d’origine kosovare, qui s’était occupée quasiment exclusivement de son enfant durant les trois premières années de vie, mais s’était vu retirer la garde au profit du père suisse par les autorités civiles valaisannes, en raison de la précarité de son titre de séjour47. L’absence de prise en charge économique n’a pas non plus joué un rôle dans un cas où le père n’avait jamais pu obtenir l’autorisation de travailler, malgré ses demandes répétées48.
Si le refus d’autorisation de séjour risque de rendre pratiquement impossible le maintien des liens avec l’enfant par la distance séparant la Suisse d’avec le pays d’origine, il faut tenir compte de cet élément. L’éloignement avec la Guinée
a été par exemple – dans un cas limite en raison d’une dépendance à l’aide sociale –, considéré comme étant trop important pour justifier un éloignement du parent détenteur d’un droit de visite49. La distance est pondérée en fonction des autres circonstances. Ainsi, la distance entre la Suisse-Touraine50 n’est pas suffisante pour permettre l’octroi d’un premier permis de séjour au père d’une enfant suisse, alors que la distance Suisse-Italie est considérée comme rédhibitoire dans le cas du renouvellement du permis d’établissement d’un père italien, né en Suisse, permis remis en cause en raison de plusieurs infractions51.
Quelles limites au regroupement familial inversé?
Le droit à un regroupement familial inversé, comme le regroupement familial ordinaire, n’est pas absolu. Si les conditions d’une révocation au sens des art. 51 en lien avec les art. 62 et 63 LEI sont réunies, le droit tombe (art. 51 LEI). Cela concerne en particulier les cas d’infractions pénales, ainsi que la dépendance à l’aide sociale, voire les situations financières obérées. Ainsi un ressortissant kosovar marié à une Suissesse avec cinq enfants s’est vu refuser la prolongation de son permis de séjour malgré la vie commune, en raison de sa dépendance à l’aide sociale de longue date et diverses condamnations pénales en matière de LCR52. Des assouplissements de la condition du comportement irréprochable du parent ont cependant été admis, comme dans le cas d’un père qui a commis plusieurs infractions LCR, mais rembourse l’aide sociale et paie les pensions courantes; il a été considéré que l’intérêt de l’enfant prime53. Dans d’autres affaires, des infractions en matière de droit des étrangers remontant à sept ans n’ont pas été prises en compte54; de même que des infractions datant de quatre ans et liées uniquement à la consommation de stupéfiants dont le recourant s’est éloigné55. Dans un arrêt récent, malgré une dépendance à l’aide sociale, un troisième et dernier avertissement est donné à un père de famille divorcé qui entretient des relations particulièrement étroites avec ses filles56.
Conclusion
Si s’intéresser au droit de l’enfant pour en tirer un droit dérivé pour l’un ou l’autre parent n’est pas nouveau57, il ne fait aucun doute que ces situations sont en forte augmentation dans la pratique, tant du fait de l’éclatement du modèle de famille nucléaire que d’une attention plus grande et plus systématique portée aux droits propres des enfants.
Mais on l’aura compris, le droit de l’enfant au regroupement familial inversé, pris dans les objectifs restrictifs de la politique migratoire, fait l’objet d’une pondération de tous les éléments. Si cette manière de faire respecte le principe fondamental de proportionnalité, il comporte aussi le risque – ou la chance, c’est selon – de laisser aux juges une grande marge de manœuvre, et donc possiblement aussi un risque de subjectivité et d’imprévisibilité. La diversité des arrêts cités en est le reflet.
Compte tenu de l’importance prise par ce genre de situation, il serait souhaitable que le droit de ces enfants puisse être concrétisé dans la législation et ne soit plus seulement construit à partir de développements jurisprudentiels aussi touffus que contradictoires. On se montre aussi préoccupées de voir certains juges ne pas s’appuyer sur les relations mises en place par les parents et les autorités civiles58, dont le seul guide devrait être l’intérêt de l’enfant59, mais prendre des décisions en matière de droit des étrangers qui impliquent une modification de la garde, ce qui sort non seulement de leurs attributions, mais semble peu compatible avec l’application de l’art. 8 CEDH ou de la CDE. ❙
Magalie Gafner, Sociologue et juriste au Centre social protestant Vaud
Claudia Frick, Juriste au Centre social protestant Vaud
1 Frick Claudia et Gafner Magalie, Droit des enfants suisses et européens à l’établissement et à la libre circulation: Quels droits pour leurs parents ressortissants d’États tiers? In Plaidoyer 3/2011 p. 38-41.
2 Actualité OFS, Motivation de la migration et conditions à l’arrivée: différences selon les groupes de nationalités, page 9, Neuchâtel, novembre 2019.
3 Message du CF concernant la révision du Code civil suisse (entretien de l’enfant) du 29 novembre 2013.
4 Art. 3 al. 2 Annexe I ALCP/art. 42 al. 2 Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI). Contrairement à Valentina Poloni, dans son article intitulé
Le regroupement familial inversé des mineurs non accompagnés, in: Jusletter 15 avril 2019, nous proposons de faire la différence entre un regroupement familial ascendant qui concerne le regroupement d’un adulte avec un autre adulte, et le regroupement familial inversé qui concerne la situation où le regroupant est un enfant qui souhaite obtenir un titre de séjour pour son parent étranger.
5 Arrêt Zhu et Chen de la CJCE du 19 octobre 2004 (C-200/02).
6 Arrêt Zhu et Chen, no 41 et 45.
7 Arrêt du TF du 15 novembre 2010 (2C_574/2010) consid. 2.2.2: renvoi au TAF pour examen des moyens financiers de la mère. Voir aussi arrêts du TF du 16 mars 2016 (2C_943/2015) et 1er mars 2016 (2C_840/2015).
8 ATF 135 II 265 du 24 mars 2009.
9 Dans l’ATF 144 II 113 du 15 janvier 2018, un droit au séjour pour parents boliviens d’une enfant espagnole a été reconnu, malgré une interdiction d’entrée et même si les moyens financiers obtenus l’étaient sans autorisation de travail. Même conclusion dans un arrêt de la CJUE du 2 octobre 2019 (Affaire Bajratari C-93/18).
10 Arrêt du TF du 8 juillet 2020 (2C_987/2019).
11 Arrêt du TF du 16 mars 2016 (2C_943/2015). Voir aussi Arrêt du TAF du 16 mars 2017 (F-826/2015) où le tribunal taxe de témérité le refus du SEM qui avait exigé que l’enfant ait fait usage de la libre circulation. Dans le même sens, arrêt de la CJUE du 2 octobre 2019 (C-93/18).
12 Arrêt de la CJCE du 17 septembre 2002 (C-413/99).
13 Art. 9 al. 2 Annexe I ALCP. Voir aussi: «D’une manière générale, le manque de moyens financiers ne constitue pas, à lui seul, un motif suffisant pour adopter des mesures visant à la protection de la sécurité et de l’ordre publics.» (Directives OLCP 10.4.4. Version janvier 2021).
14 Arrêt du TF du 12 avril 2005 (2A.130/2005)/ATF 139 II 393.
15 Arrêt du TF du 25 mai 2005 (2A.475/2004).
16 Arrêt du TF du 3 décembre 2019 (2C_673/2019).
17 rrêt du TF du 7 mai 2019 (2C_439/2018 it./non publié).
18 rrêt du TF du 13 mai 2019 (2C_870/2018 all./non publié).
19 Dans un récent arrêt du TF du 29 septembre 2020 (2C_448/2020), pour une affaire qui aurait dû être traitée sous l’angle de l’abus de droit, concernant un père ayant entretenu des vies familiales parallèles et gravement porté atteinte à l’ordre public, il est préoccupant de lire, sous la plume du Tribunal fédéral, qu’un enfant de 15 ans peut parfaitement continuer de vivre en Suisse sans ses parents.
20 Valentina Poloni, op cit.
21 Approbation du SEM du 28 septembre 220 (SYMIC 020.545.185-3).
22 Notamment ATF 122 II 289 du 31 mai 1996; arrêt du TF du 26 mai 2008 (2C.657/2007).
23 Arrêt du TF du 27 mars 2009 (2C_353/2008).
24 Arrêt TF du 10 septembre 2018 (2C_7/2018).
25 Voir par exemple ATF 139 I 315 du 14 juin 2013, cons. 2.1. ou arrêt du TF du 5 septembre 2013 (2C_318/2013) cons. 3.3. et les références. Pour les titulaires de permis B voir art. 77 OASA.
26 La grande majorité des situations concernent un parent ressortissant d’États tiers, puisqu’un parent européen peut en général fonder un droit propre au séjour sur son emploi et n’a pas besoin de s’appuyer sur sa relation à l’enfant.
27 ATF 137 I 351 consid. 3.1.
28 Directives du SEM LEI 6.17.2.2.
29 Arrêt du TF du 8 janvier 2015 (2C_613/2014).
30 ATF 137 I 351 du 23 novembre 2011 (2C_349/2011).
31 Arrêt du TAF du 3 mai 2016 (C-425/2014).
32 Arrêt du TF du 2 décembre 2019 (2D_66/2019).
33 Arrêt de la CourEDH du 11 juillet 2000 dans l’affaire Ciliz vs P.-B. (requête no 29192/95).
34 Arrêt de la CourEDH du 8 juillet 2014 dans l’affaire M.P.E.V. vs CH (requête no 3910/13).
35 Voir par exemple ATF 144 I 91 du 2 février 2018 cons. 4.2, en l’occurrence positif, et références. Cette manière de voir contredit toutes les études relatives au besoin d’une coparentalité exercée de manière directe, et non pas uniquement par téléphone, Skype, WhatsApp. «Un enfant qui n’entretient que des contacts superficiels avec un parent s’éloigne progressivement de lui»: Guillaume Kessler «La coparentalité à l’épreuve de la mobilité: réflexions comparatistes» in FamPra 2/2018 p. 333ss, citant une étude de Tétrault: la garde partagée, Congrès annuel du Barreau du Québec, 2014.
36 Voir par exemple arrêt du TF du 8 novembre 2012 (2C_858/2012).
37 ATF 139 I 315 du 14 juin 2013 (2C_1112/2012).
38 Arrêt du TF du 13 janvier 2017 (2C_520/2016).
39 Arrêt du TF du 27 juin 2019 (2C_378/2019).
40 Arrêts du TF du 22 janvier 2019 (2C_54/2019) et du 18 juillet 2014 (2C_165/2014).
41 Arrêt du TF du 5 janvier 2015 (2C_547/2014).
42 Arrêt du TF du 26 octobre 2015 (2C_497/2014).
43 arrêt du TF du 23 janvier 2015 (2C_794/2014).
44 Voir arrêts du TF du 13 février 2015 (2C_797/2014) consid. 4.4; du 23 janvier 2015 (2C_794/2014) consid. 3.3; du 10 septembre 2009 (2C_173/2009) consid. 4.2.
45 Voir arrêts du TF du 2 février 2018 (2C_821/2016) et du 19 septembre 2018 (2C_402/2018).
46 Arrêt du TF du 1er octobre 2015 (2C_420/2015) consid. 2.4. Voir aussi arrêt du TF du 16 mai 2019 (2C_340/2019): le versement d’une pension de 50 € par mois alors que le père est hébergé par Emmaüs en France permet d’admettre une relation économique. Mais si, malgré un revenu certes modeste, l’intéressé ne verse rien, alors qu’une pension a été fixée et n’entreprend rien pour modifier la pension, il doit se voir opposer ce fait (arrêt du TF 2C_947/2015 du 10 mars 2016).
47 Arrêt du TF du 26 octobre 2015 (2C_497/2014). Cette affaire rappelle des faits dans lequel la CourEDH avait admis une violation de la garantie de la vie familiale par rapport à l’expulsion de la mère de l’enfant par les Pays-Bas – Arrêt de la CourEDH du 31 janvier 2016 dans l’affaire Rodriguez Da Silva et Hoogkamer vs P.-B. (requête no 50435/99).
48 Arrêt du TAF du 8 décembre 2017 (F-3799/2015).
49 Arrêt du TAF du 6 mars 2017 (F-52/2016).
50 Arrêt du TF du 16 mai 2019 (2C_340/2019).
51 Arrêt du TF du 24 avril 2015 (2C_784/2014).
52 Arrêt du TF du 25 novembre 2019 (2C_818/2018); voir aussi arrêt du TF du 5 avril 2016 (2C_853/2015).
53 Arrêt du TF du 6 août 2015 (2C_723/2014).
54 Arrêt du TAF du 28 mars 2018 (F-2681/2016).
55 Arrêt du TAF du 11 juin 2018 (F-7761/2016).
56 Arrêt du TF du 11 mars 2019 (2C_23/2018).
57 Arrêt de la CourEDH du 21 juin 1988 dans l’affaire Berrehab vs P.-B. (requête no 10730/84) et ATF 120 Ib 1 du 25 février 1994.
58 Voir note 47.
59 Voir références aux notes 18 et 19.