Deux ouvrages de droit comparé paraissent aujourd’hui et font le point sur la jurisprudence relative à la liberté d’expression. Ils sont très différents et complémentaires.
La thèse genevoise de Begüm Bulak s’intéresse au droit de la presse en droit italien et suisse et, en particulier, à la pesée des intérêts qui doit s’opérer entre respect de la liberté d’expression et présomption d’innocence, lors de la médiatisation de procès pénaux. L’auteur relève que chaque Etat contractant a sa propre vision de la résolution de ce conflit. Passant en revue les droits en cause (droit à l’image, protection de l’honneur et de la réputation selon l’art. 8 CEDH dans le cas d’atteinte d’une particulière gravité, interdiction de l’abus de droit), cet ouvrage relève que la CrEDH a régulièrement privilégié la liberté d’expression dans ce conflit de valeurs, même si elle semble, depuis peu, adopter une ligne jurisprudentielle plus sévère. L’analyse des cas où le non-respect de la présomption d’innocence par une autorité de l’Etat, donnant des informations sur une affaire pénale en cours, peut engager sa responsabilité est aussi intéressante. Les limites de la critique admissible sont toujours plus étendues s’agissant des politiciens et des personnalités.
Certains développements paraîtront peut-être superflus (ainsi de la théorie sans utilité concrète de la «concordance pratique»). D’autres commentaires théoriques sont contredits par la pratique de la chronique judiciaire. L’auteur, qui souhaite élargir l’influence de la CrEDH en matière de conflits de droits fondamentaux et limiter la marge d’appréciation reconnue aux autorités nationales, s’oppose ainsi à Luc Gonin.
Dans son travail de postdoctorat rédigé à la Faculté de droit de Neuchâtel, ce dernier auteur analyse de manière originale les contours donnés par la CrEDH, la Cour interaméricaine des droits de l’homme, la Cour constitutionnelle allemande et la Cour suprême des Etats-Unis aux rapports entre droit à la vie et peine de mort, liberté religieuse et tolérance de certains symboles dans l’espace public (voile, crucifix), liberté d’expression et discours politique. Constatant que, en matière de droits de l’homme, les juges effectuent un travail non seulement juridique mais aussi politique, Luc Gonin estime qu’une évolution s’est fait jour, remplaçant la distinction classique entre juge et législateur par la figure du «jugislateur», qu’il définit comme un magistrat créant véritablement de nouvelles règles de droit. A cet égard, il s’inquiète du «gouvernement des juges» auquel serait actuellement soumise la région européenne. Il est possible de ne pas le suivre lorsqu’il critique la légitimité démocratique de la Cour de Strasbourg et en redoute les dangers au point de réclamer l’exigence de majorités qualifiées lorsque celle-ci fait œuvre de «jugislatrice» ou la possibilité, pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, de s’opposer à certains de ses arrêts.
La liberté d’expression face à la présomption d’innocence
Begüm Bulak
Genève, Schulthess Editions romandes, 2014,
540 pages, 90 fr.
Les droits de l’homme en pratique
Luc Gonin
Bâle, Helbing Lichtenhahn, 2013,
435 pages, 82 fr.