Dans une contribution de 2011 parue dans Plaidoyer2, le professeur Franz Werro recommandait une prudence particulière à tout acquéreur intéressé par un achat sur plan d’une part de PPE. La pratique contractuelle n’ayant que peu évolué depuis lors, une telle recommandation est toujours d’actualité, et ce, non seulement pour l’achat sur plan d’une part de PPE, mais aussi de manière générale pour toute acquisition immobilière faite à titre privé.
L’acquisition d’un bien immobilier neuf résulte presque systématiquement de la coopération entre plusieurs intervenants. Souvent, l’acheteur désireux d’acquérir une villa neuve ne s’adresse pas directement aux constructeurs de sa future demeure. Il aura plutôt affaire, comme unique partenaire contractuel, à un intermédiaire (qu’on appelle souvent un «promoteur immobilier»), lequel va se charger de coordonner les différents corps de métiers qui réaliseront le bien immobilier en question.
L’acquéreur d’une villa est donc directement lié au promoteur par un contrat de vente immobilière (ou parfois un contrat mixte comprenant des éléments du contrat de vente et des éléments du contrat d’entreprise si le promoteur se charge lui-même d’une partie des travaux3), et indirectement lié aux entrepreneurs qui se chargent de construire la maison. L’acquéreur se trouve ainsi au bout d’une chaîne de contrats ou, pour reprendre l’expression consacrée dans de nombreuses contributions doctrinales, d’un «réseau contractuel».
Malgré le fait qu’on y recourt souvent, une telle chaîne de contrats est susceptible de générer de nombreuses difficultés pour l’acquéreur dont voici quelques illustrations.
Comment l’acquéreur peut-il faire valoir les garanties contractuelles?
En principe, en tant qu’unique partenaire contractuel de l’acquéreur, le promoteur immobilier devrait être seul à assumer une responsabilité en cas de défauts de la villa livrée. En particulier, il devrait prendre seul à sa charge la garantie pour les défauts.
Il est cependant fréquent pour le promoteur de céder à l’acquéreur de la villa les droits à la garantie qu’il a contre les entrepreneurs4. Ce faisant, l’acquéreur peut engager directement une action en garantie contre les entrepreneurs ayant effectué les travaux. Ce procédé simplifie les relations juridiques existantes dans des rapports tripartites, puisqu’il permet «de faire l’économie (…) des recours en garantie «en cascade» pour atteindre l’auteur du dommage»5. La question se pose alors de savoir ce qu’il advient de la responsabilité que devait initialement assumer seul le promoteur à l’endroit de l’acquéreur de la villa.
Selon le Tribunal fédéral, la cession à elle seule n’est pas suffisante pour réduire l’étendue de garantie assumée par le promoteur6. Ainsi, une cession des droits de garantie a pour effet d’étendre la protection de l’acquéreur de la villa7. En effet, celui-ci a le choix entre se prévaloir de la garantie en raison des défauts auprès des constructeurs ou du promoteur8. Pour sa part, ce dernier fait en soi déjà une opération intéressante étant donné qu’avec la cession, il n’assume plus tout seul le risque d’un éventuel défaut, la responsabilité étant diluée entre lui et les constructeurs.
Cependant, parce qu’elles conviennent d’une cession des droits de garantie, il est fréquent, pour les parties, d’exclure la garantie du promoteur en assortissant la clause de transfert des droit par une clause exonératoire9. L’acquéreur accepte une telle déresponsabilisation parce qu’il devient simultanément titulaire des droits cédés. A la place d’avoir des droits contre le promoteur immobilier, il a des droits contre les constructeurs, ce qui peut lui paraître équivalent. Il n’en est pourtant rien. En réalité, la combinaison «cession des droits et exonération de garantie» affaiblit la position de l’acquéreur10, en particulier pour les deux raisons suivantes.
1 Il y a plusieurs constructeurs. Lorsque le promoteur transfère les droits à la garantie qu’il détient contre plusieurs constructeurs, la situation de l’acquéreur est affaiblie. Alors que celui-ci avait initialement pour projet de ne traiter qu’avec un seul cocontractant (le promoteur), il se trouve face à une multitude de partenaires contractuels, ce qui complique l’exercice de ses droits à la garantie. En effet, il devra éventuellement assumer un rôle de coordination entre les différents constructeurs, alors qu’il était originairement prévu que ce rôle serait assumé par le promoteur. Par la cession des droits de garantie, le promoteur se décharge donc de son rôle de coordinateur.
2 Les constructeurs sont des partenaires contractuels moins forts que le promoteur. Souvent, le promoteur fait figure de partie forte tant dans sa relation contractuelle avec l’acquéreur que dans celle qu’il a passée avec les différents constructeurs. Ainsi, l’acquéreur ne court que peu de risques de voir son partenaire contractuel tomber en faillite11. En revanche, en reprenant les droits à la garantie du cédant, il se trouve face à des partenaires contractuels moins forts, qui sont davantage susceptibles de tomber en faillite12. Ceci alors que, sauf convention contraire, le promoteur ne garantit pas à l’acquéreur la solvabilité des entrepreneurs.
Ces deux derniers points mettent en exergue certains effets collatéraux de la combinaison «cession des droits et exonération de garantie». Ces effets collatéraux ne sont pas toujours facilement décelables pour l’acquéreur, et ne sont donc pas forcément toujours voulus. Dans la majorité des cas en effet, on peut douter que l’acquéreur saisisse véritablement la portée de son consentement à la clause d’exonération. S’il savait qu’elle entraînera, pour lui, une péjoration conséquente de ses intérêts, il ne l’accepterait peut-être pas, ou du moins sous restrictions.
Ainsi, pour éviter tout problème de vice de consentement (en particulier d’erreur de déclaration; art. 24 al. 1 ch. 1-3 CO), le promoteur serait bien inspiré d’expliquer à l’acquéreur ce qu’implique, pour lui, une clause exonératoire totale, en particulier lorsqu’une des situations décrites ci-dessus se présente. Le notaire devrait également attirer l’attention de l’acquéreur sur les effets collatéraux de la clause d’exonération du promoteur.
Si l’acquéreur est parfaitement conscient des risques que représentent pour lui une combinaison «cession des droits et exonération de garantie», il sera en mesure de négocier une diminution du prix. En effet, la combinaison dont il est question entraîne, d’une part, un affaiblissement de sa position et, d’autre part, un renforcement de celle de son cocontractant. Elle justifie dès lors de mettre l’acquéreur au bénéfice d’un prix réduit.
Comment se défendre face à l’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs?
Une difficulté supplémentaire pour l’acquéreur qui se trouve au bout d’une chaîne de contrats vient du fait qu’il n’a aucun contrôle sur la façon dont le promoteur immobilier exécute les contrats qu’il a passés avec les différents constructeurs.
Si ceux-ci livrent les différents ouvrages qu’ils se sont engagés à exécuter, ils sont en droit d’exiger le paiement du prix convenu avec le promoteur immobilier (art. 372 al. 1 CO). Et, si celui-ci ne paie pas le prix, les différents constructeurs peuvent demander l’inscription d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs (art. 839 CC) sur la villa de l’acquéreur final. Qu’il soit ou non déjà propriétaire de l’immeuble importe peu; le bien qu’il a acquis (ou est sur le point d’acquérir) se voit grever d’une hypothèque du fait que le promoteur n’a pas honoré ses contrats de sous-traitance.
Ainsi, la relation tripartite acquéreur – promoteur – constructeur a pour effet que le moyen de pression que représente l’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs s’exerce en fait sur la mauvaise personne, l’acquéreur, lequel n’est pas responsable de l’inexécution contractuelle du promoteur.
Pour l’acquéreur, une façon de s’éviter, tant que faire se peut, de se retrouver dans cette situation délicate, est de ne pas libérer tous les acomptes qu’il doit verser au promoteur. Tant que le bien immobilier n’est pas entièrement terminé, l’acquéreur devrait retenir au moins le paiement de l’ultime acompte.
Cette façon de procéder revêt un double intérêt pour l’acquéreur. D’abord, 1 elle lui offre un moyen de pression efficace sur le promoteur. Celui-ci fera dès lors potentiellement preuve de plus de diligence dans l’exécution des différentes obligations contractuelles liées à la livraison finale de la villa. Et ensuite, 2 elle peut s’avérer très utile lorsque des constructeurs menacent de requérir l’inscription d’une hypothèque légale parce que le promoteur ne les a pas payés (ils sont donc au bénéfice d’une créance contre celui-ci). En effet, dans cette situation, l’acquéreur pourra utiliser le montant des acomptes retenus pour racheter aux constructeurs les créances qu’ils ont contre le promoteur (cf. art. 164 ss CO). Ce faisant, les constructeurs seront désintéressés et ne menaceront plus de requérir l’inscription d’un quelconque gage. L’acquéreur pour sa part, toujours débiteur de payer les acomptes, pourra compenser les dettes qu’il a envers le promoteur avec la créance qu’il aura acquise des constructeurs (art. 120 CO).
Conclusion
Les difficultés que nous avons présentées en relation avec l’acquisition d’un bien immobilier viennent essentiellement du fait qu’une telle acquisition procède d’un effort commun qui juridiquement se traduit par la formation d’un réseau de contrats et, plus précisément, d’une chaîne contractuelle.
Ainsi, parce qu’il se trouve au bout d’une chaîne de contrats, l’acquéreur court un certain nombre de risques, parmi lesquels on compte le risque de ne pas pouvoir faire valoir efficacement ses prétentions en garantie et le risque de voir l’immeuble grevé d’un gage à cause de l’inexécution du promoteur.
Ces risques viennent du fait qu’une inexécution contractuelle au sein de la chaîne de contrats (même à son extrémité) aura très souvent un impact négatif pour le destinataire final du bien – en l’occurrence l’acquéreur –, alors que celui-ci a parfaitement exécuté ses propres obligations contractuelles. Les intermédiaires quant à eux (le promoteur par exemple), ne devraient ressentir que dans une moindre mesure l’inexécution contractuelle des différents membres de la chaîne.
Ces risques inhérents aux chaînes de contrats mettent en lumière que la pratique contractuelle suisse est peut-être trop ancrée dans l’idée qu’un contrat se conclut exclusivement entre deux parties. En effet, au modèle traditionnel du contrat liant deux parties vient, aujourd’hui, s’ajouter le modèle du réseau de contrats liant une multitude de sujets de droit13. Il s’agit alors de sérieusement se demander si la reconnaissance du réseau de contrats pourrait entraîner une redistribution plus équitable de la responsabilité contractuelle des différents intervenants.