Quelques contours du secret professionnel
Il y a quelques années, Me Doï a été consulté par trois amis, X, Y et Z, afin de les conseiller dans le cadre de l’achat d’une société et de rédiger le contrat d’acquisition. Plus tard, ils lui ont demandé de siéger au conseil d’administration. Aujourd’hui, les relations entre X, Y et Z sont si conflictuelles qu’ils sont en procès. X a cité Me Doï, afin qu’il témoigne sur des éléments ayant conduit à l’achat de la société et leur volonté à l’époque. X dit que rien ne s’oppose au témoignage de Me Doï, vu qu’il est administrateur et que X l’a délié du secret. Convaincu que Y a perdu sa capacité de discernement depuis un récent accident, X affirme aussi que Me Doï doit, selon l’art. 397a CO, le signaler à l’autorité compétente. Que va faire Me Doï?1
Sommaire
Plaidoyer 03/2016
18.05.2016
Dernière mise à jour:
23.05.2016
Mercedes Novier, Dr en droit, avocate.
Le respect du secret professionnel de l’avocat, condition indispensable à l’exercice de la profession, est dans l’intérêt de l’administration de la justice et essentiel à la concrétisation effective des droits matériels du justiciable (par exemple TF 2C_587/2012 c. 2.5), qui doit pouvoir compter sur la discrétion de son mandataire. Ce devoir est imposé par l’art. 13 LLCA (cf. aussi art. 398 al. 2 CO et 15 CSD...
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AbonnementLe respect du secret professionnel de l’avocat, condition indispensable à l’exercice de la profession, est dans l’intérêt de l’administration de la justice et essentiel à la concrétisation effective des droits matériels du justiciable (par exemple TF 2C_587/2012 c. 2.5), qui doit pouvoir compter sur la discrétion de son mandataire. Ce devoir est imposé par l’art. 13 LLCA (cf. aussi art. 398 al. 2 CO et 15 CSD), selon lequel «l’avocat est soumis au secret professionnel pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l’exercice de sa profession; cette obligation n’est pas limitée dans le temps et est applicable à l’égard des tiers». L’art. 321 CP sanctionne pénalement la violation du secret professionnel par l’avocat. Pour pouvoir témoigner, l’avocat doit être relevé du secret par son client ou, si ce n’est pas possible, être autorisé à témoigner par l’autorité compétente. L’avocat est seul maître du secret et son client ne peut l’obliger à témoigner (art. 13 al. 1 in fine LLCA). La position de son Bâtonnier n’y change rien (ATF 136 III 296). En cas de pluralité de mandants, l’avocat doit être délié du secret par chacun d’eux. Dans la procédure relative à la levée du secret, les clients s’opposant à cette levée ont la qualité de partie (TF 2C_587/2012). Ce secret est considéré comme un privilège de l’avocat, dont il ne peut toutefois se prévaloir dans l’exercice d’activités atypiques2 de l’avocat (administration de société, gestion de fortune, etc.).
Me Doï est cité ici comme témoin dans le cadre de ses activités typiques d’avocat (conseils juridiques, rédaction du contrat). Le fait qu’il soit devenu par la suite administrateur n’y change rien. Il doit respecter le secret professionnel envers X, Y et Z et être délié du secret aussi par Y et Z pour pouvoir témoigner. A défaut, seule l’autorité compétente pourra lever le secret.
Quant à une éventuelle obligation de Me Doï de signaler aux autorités que Y est incapable de discernement, rappelons que, selon l’art. 397a CO, «lorsque le mandant est frappé d’une incapacité de discernement probablement durable, le mandataire doit en informer l’autorité de protection de l’adulte du domicile du mandant pour autant que la démarche paraisse appropriée au regard de la sauvegarde de ses intérêts». Sur la base des faits ci-dessus, on ne peut savoir si cette disposition pourrait s’appliquer ici, ni même si Me Doï est encore mandataire de Y. Mais, comme l’affirme à juste titre Benoît Chappuis3, l’avocat ne saurait informer l’autorité de protection de l’adulte sans avoir été autorisé au préalable à le faire par l’autorité compétente pour lever le secret professionnel de l’avocat, autorité qui déterminera si les conditions de l’art. 397a CO sont remplies. Si la réserve du secret professionnel n’est pas mentionnée à l’art. 397a CO4, c’est vraisemblablement un oubli du législateur. Celui-ci a en effet montré sa volonté de renforcer le secret professionnel de l’avocat5 (qui subsiste même au-delà de la mort du mandant6), et cette disposition du CO ne saurait y déroger. Compte tenu de son fondement et de son rôle, le secret professionnel de l’avocat ne s’appréhende pas comme le secret bancaire, par exemple.