Les droits humains et le respect de l’environnement sont deux domaines dans lesquels, depuis bien longtemps, les pouvoirs publics se sont heurtés à la puissance des entreprises.
Ayant pris conscience du problème, les Nations Unies ont mandaté en 2005 le Professeur John Ruggie pour rendre compte des responsabilités incombant aux entreprises et aux Etats en matière de droits de l’homme. Il a ainsi été nommé Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies sur la question des droits humains et des entreprises transnationales et autres entreprises. Dans ses rapports, John Ruggie a défini le concept «protéger, respecter et réparer», s’articulant autour des trois piliers suivants: 1) le devoir de l’Etat de protéger les citoyens à l’encontre des violations des droits humains commises par des tiers, y compris les entreprises («State duty to protect»); 2) la responsabilité des entreprises de respecter les droits humains, c’est-à-dire de faire preuve de diligence raisonnable («due diligence») et d’éviter la transgression des droits des tiers; 3) un meilleur accès pour les victimes à des réparations en cas de violations des droits humains commises par les entreprises («access to effective remedy»).
Le 16 juin 2011, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, dont fait partie la Suisse, a adopté, à l’unanimité, le rapport final du Représentant spécial. Basé sur le concept «protéger, respecter et réparer», ce rapport conclut à l’adoption de 31 Principes directeurs (ci-après «les Principes directeurs»). Ce document est depuis devenu une référence dans le domaine de l’économie et des droits de l’homme.
La Suisse soutient ces Principes directeurs, qu’elle a adoptés avec le reste du Conseil des droits de l’homme en 20111. En pratique, toutefois, aucune mesure suffisante n’a été prise pour en garantir l’application effective. Le 9 décembre 2016, le Conseil fédéral a adopté un rapport contenant un plan d’action national sur la mise en œuvre des Principes directeurs2. Ce rapport ne préconise malheureusement aucune modification législative suffisamment importante pour en permettre une meilleure application. Selon le rapport, le Conseil fédéral estime que les instruments légaux existants sont suffisants et préfère compter sur une mise en œuvre volontaire par les entreprises du principe de diligence raisonnable3. Le Conseil fédéral admet tout de même qu’il est de sa responsabilité d’assurer aux victimes de violation des droits de l’homme un accès à des mécanismes de recours suisses lorsque des entreprises domiciliées en Suisse sont impliquées dans des violations des droits de l’homme à l’étranger. Il admet également que les victimes de telles violations n’ont généralement pas accès à des voies de recours efficaces4. Aucune mesure n’est cependant proposée pour concrétiser le devoir de diligence raisonnable.
L’initiative populaire fédérale «Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement» a pour but de concrétiser les Principes directeurs des Nations Unies adoptés à l’unanimité par le Conseil des droits de l’homme en 2011. Elle vise à instaurer dans la Constitution fédérale une obligation pour la Confédération de prendre des mesures pour que l’économie respecte davantage les droits de l’homme et l’environnement (art. 101a al. 1 Cst.)5. Dans cette optique, elle impose aux entreprises ayant leur siège statuaire, leur administration centrale ou leur établissement principal en Suisse, ainsi qu’à leurs filiales à l’étranger, de respecter, en Suisse comme à l’étranger, les droits de l’homme internationalement reconnus et les normes environnementales internationales (art. 101a al. 2 let. a Cst.). Pour ce faire, elle astreint les entreprises à faire preuve d’une diligence raisonnable quant au respect des droits de l’homme et des normes environnementales (art. 101a al. 2 let. b Cst.). Cette obligation de diligence raisonnable consiste à prévenir les violations des droits de l’homme et des normes environnementales, à mettre fin aux violations existantes et à rendre compte des mesures prises. Cette obligation s’applique aux entreprises suisses, à leurs filiales en Suisse ou à l’étranger, ainsi qu’à l’ensemble des relations d’affaires qu’elles entretiennent. La violation de ce devoir de diligence raisonnable pourra engager la responsabilité de la société mère basée en Suisse (art. 101a al. 2 let. c Cst.). Il est précisé que le législateur devra tenir compte des besoins spécifiques des PME dans la mise en œuvre de cette norme et que l’étendue de la diligence raisonnable devra s’apprécier en fonction des risques spécifiques suivant le domaine concerné.
L’initiative pour des multinationales responsables s’appuie sur les Principes directeurs déjà adoptés par la Suisse. Elle vise à adopter des normes contraignantes, afin de garantir leur mise en œuvre effective. L’initiative permettra ainsi non seulement de prévenir les violations des droits de l’homme et des normes environnementales, mais offrira également aux éventuelles victimes la possibilité d’obtenir réparation. La levée du voile corporatif6 est nécessaire dans le but de garantir l’accès à la justice des victimes de ces violations venant de pays qui ne sont pas dotés de voies de recours efficaces.
Cet article démontrera tout d’abord que la Suisse n’est pas le premier pays à vouloir se doter d’une législation favorable à la mise en œuvre des Principes directeurs, à travers des exemples concrets. Il discutera ensuite certains points clés pour la mise en œuvre de cette initiative, qui devra se faire à travers l’adaptation de la législation existante.
1. Situation internationale
L’adoption des Principes directeurs en 2011 a incité de nombreux Etats à se pencher sur la problématique du respect des droits de l’homme par les entreprises multinationales. Différentes mesures ont déjà été adoptées par d’autres Etats, afin de garantir un meilleur respect des droits de l’homme de la part des entreprises. Sans être exhaustifs, certains exemples méritent d’être mentionnés:
• la loi française de 2017 relative au devoir de vigilance en matière de droits de l’homme des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre s’applique à tous les domaines d’activité, aux entreprises basées en France et à leurs filiales basées en France ou à l’étranger à partir d’un seuil minimal d’employés, et instaure l’obligation pour ces entreprises de publier des rapports quant au respect des droits de l’homme et des normes environnementales dans le cadre de leurs activités7. La responsabilité civile de la société mère basée en France peut être engagée en cas de non-respect de cette loi;
• le UK Companies Act, révisé en 2013, instaure l’obligation pour les entreprises d’établir des rapports annuels sur leur politique à l’égard des droits de l’homme, sans toutefois instaurer d’obligation expresse de procédure de diligence suffisante8;
• la directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2014, sur la publication d’information non financières9 oblige les entreprises cotées en Bourse de plus de 500 employés à informer de leur politique et ses procédures de diligence mises en place en matière de droits de l’homme et de l’environnement. Aucune exigence contraignante de diligence suffisante n’est cependant exigée.
On peut encore citer la loi britannique de 2015 sur l’esclavage moderne, la révision de 2011 des Principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques à l’intention des entreprises, la Résolution du Parlement européen de 2016 sur la responsabilité des entreprises dans les violations graves des droits de l’homme dans les pays tiers ou la Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et les entreprises de 201610, qui instaurent toutes différentes obligations à cet égard.
Toutes ces initiatives ont été influencées par les Principes directeurs adoptés par le Conseil des droits de l’homme en 2011. La levée du voile corporatif n’aurait ainsi rien d’inédit, mais s’inscrirait dans la tendance générale initiée par d’autres Etats.
2. Droits de l’homme
L’initiative vise à garantir le respect des droits de l’homme internationalement reconnus (art. 101 al. 2 let. a, b et c Cst.)11. Il s’agit des droits mentionnés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques12 et dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels13 ainsi que des droits fondamentaux mentionnés dans les huit conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT), soit les conventions se rapportant à la liberté syndicale14, au droit d’organisation et de négociation collective15, à l’abolition du travail forcé16, à l’âge minimum d’admission à l’emploi17, aux pires formes de travail des enfants18, à l’égalité de rémunération19 ainsi qu’à la discrimination20.
En se référant aux standards internationalement reconnus, l’initiative vise tout d’abord à garantir la sécurité du droit. Le fait que ces standards soient universellement reconnus empêchera une entreprise concernée d’invoquer le fait qu’elle ne s’attendait pas à devoir les respecter. Qu’il s’agisse d’une entreprise directement basée en Suisse ou de sa filiale à l’étranger, il est légitime d’attendre d’elle qu’elle respecte au moins ces principes universellement acceptés.
De plus, le fait de s’appuyer sur les standards internationaux évite à la Suisse le reproche de vouloir imposer un impérialisme des valeurs21. Ces standards sont unanimement acceptés et il est dès lors légitime d’en garantir l’application par tous les moyens possibles.
3. Droit de l’environnement
Le deuxième volet de l’initiative pour des multinationales responsables concerne la protection de l’environnement.
En droit public suisse, plusieurs lois fédérales régissent la protection de l’environnement, des eaux, des forêts ainsi que de la nature et du paysage. Elles sont complétées par une multitude d’ordonnances du Conseil fédéral22. Cependant, il est admis aujourd’hui que le droit de l’environnement fait partie de ces matières qui ne peuvent plus être attribuées au seul droit public23. La volonté des particuliers de disposer également de voies de droit en cas d’atteintes à l’environnement s’est manifestée à de nombreuses reprises ces dernières années24.
Par ailleurs, des textes internationaux consacrent le droit de l’individu à vivre dans un environnement sain et imposent aux Etats de mettre en place des instruments juridiques à disposition des particuliers. Tel est, par exemple, le cas de la Convention d’Aarhus25 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement26. Cette Convention a été ratifiée par la Suisse au mois de mars 2014. Selon les commentaires à son propos de la Commission économique sur l’Europe des Nations Unies (CEE), elle lie les droits environnementaux et les droits humains entre eux. Elle impose à cet effet aux autorités publiques des obligations relatives à la participation du public et à l’accès à la justice27.
Le droit de l’environnement est une discipline encore jeune. Ainsi, la formulation ouverte de l’initiative vise à permettre au législateur et aux tribunaux de la concrétiser conformément à l’évolution internationale en la matière28.
En pratique, la protection de l’environnement se recoupe avec la protection des droits de l’homme. La CrEDH a déjà admis que l’obligation étatique de protéger les droits humains comprend celle de prendre des mesures pour prévenir la pollution engendrée par des entreprises privées29. Ainsi, dans l’arrêt «Fadeïeva c. Russie»30, la CrEDH a retenu que «dans les affaires de l’environnement, la responsabilité de l’Etat peut être engagée du fait de l’absence de réglementation adéquate de l’industrie privée»31. Dans cet arrêt, la CrEDH a lié à l’art. 8 CEDH l’obligation de l’Etat de protéger la population contre les atteintes liées à la pollution32. Ainsi, la protection de l’environnement est déjà garantie aujourd’hui à travers l’application des droits fondamentaux. Pour les normes environnementales qui iraient au-delà des standards internationalement reconnus en matière de droits de l’homme, l’initiative vise avant tout un effet préventif33.
4. Responsabilité de la société mère
L’initiative pour des multinationales responsables prévoit qu’elle sera applicable aux entreprises suisses ainsi qu’à leurs filiales basées à l’étranger (art. 101a al. 2 let. a Cst.).
Cette disposition est l’un des points les plus sensibles de l’initiative, dès lors qu’il soulève la question de la compétence des tribunaux suisses pour des actes commis à l’étranger par des sociétés basées à l’étranger. Par cette disposition, une société mère ayant son siège en Suisse pourra être tenue pour responsable, à certaines conditions, des violations des droits de l’homme commises à l’étranger par les entreprises qu’elle contrôle. Il conviendra d’analyser au cas par cas le contrôle effectif d’une société mère sur sa filiale en tenant compte de l’indépendance réelle de cette dernière (art. 101a al. 2 let. a Cst.).
Le principe de tenir pour responsable la société mère de certains actes commis par ses filiales, juridiquement distinctes, a déjà été abordé par la doctrine et par le Tribunal fédéral. Ainsi, selon Arthur Meier-Hayoz et Peter Forstmoser, la société mère elle-même «peut, le cas échéant, voir sa responsabilité engagée à raison d’actes d’administration et de gestion au sein de filiales, notamment lorsqu’elle s’immisce directement ou indirectement dans l’administration et la gestion de la filiale (indirectement, en influençant par exemple les personnes déléguées au conseil d’administration de la filiale)»34. Les mêmes auteurs affirment par ailleurs que «la responsabilité de la société mère peut éventuellement être fondée sur la levée du voile corporatif ou transparence (…). Une levée du voile permettant d’atteindre la société mère se justifie notamment lorsque le fait de se prévaloir de l’autonomie juridique de la filiale apparaît constitutif d’abus de droit (art. 2 al. 2 CC).»35
Le TF, quant à lui, a admis le principe de la levée du voile corporatif dans l’ATF 120 II 331 du 15 novembre 1994. Dans cet arrêt, il a appliqué les principes de la culpa in contrahendo pour engager la responsabilité d’une société mère pour des actes commis par une de ses filiales juridiquement distincte. Plus récemment toutefois, le TF s’est montré réticent à appliquer ce principe et a, à plusieurs reprises, souligné le caractère exceptionnel de l’imputation à la société mère des actes de l’une de ses filiales36.
En matière pénale, le Ministère public de la Confédération (MPC) avait, en 2011, ouvert une instruction pénale contre deux sociétés du groupe Alstom, la société mère et une de ses filiales en se basant sur l’article 102 al. 2 CP qui réprime le fait pour une entreprise de ne pas prendre toutes les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher la commission de l’une des infractions y mentionnées37. Le MPC avait à l’époque considéré qu’un groupe de sociétés forme un tout et que la société mère du groupe doit s’assurer que ses filiales respectent les obligations de diligence38. Une ordonnance pénale a finalement été rendue à l’encontre de la société mère basée en Suisse la condamnant à une amende de 2,5 millions de francs suisses et à une créance compensatrice de 36,4 millions de francs suisses39.
La responsabilité de la société mère basée en Suisse pourra être mise en œuvre de manière semblable à la responsabilité de l’employeur pour le dommage causé par ses auxiliaires (art. 55 CO40). Cette disposition impose à l’employeur de prendre toutes les dispositions nécessaires pour empêcher la survenance d’un dommage. Il ne peut être libéré de sa responsabilité que s’il démontre qu’il a fait preuve de toute la diligence nécessaire. Selon Franz Werro, «le législateur a prévu la responsabilité de l’employeur en se fondant avant tout sur des considérations d’équité. Il a en effet estimé que celui qui tire profit de l’activité d’employés doit répondre des manquements de ces derniers (respondeat superior). De plus, l’auxiliaire n’a souvent pas les moyens économiques de réparer le dommage qu’il cause dans l’exécution de son travail.»41
Le même raisonnement mérite d’être appliqué dans le cas des filiales basées à l’étranger d’une société domiciliée en Suisse. La société mère en Suisse tire profit de l’activité de ses filiales à l’étranger et il serait choquant qu’elle ne réponde pas des violations commises par les entreprises qu’elle contrôle lorsque celles-ci commettent des violations des droits de l’homme ou de l’environnement du fait d’un manque de diligence de sa part. L’accès à la justice étant souvent difficile dans les pays dans lesquels sont commis les pires violations de ces droits universellement reconnus, il se justifie d’imposer aux entreprises suisses, soumises aux tribunaux nationaux, de prendre toutes les mesures en leur pouvoir pour empêcher de telles violations de se produire.
5. For et droit applicable
L’initiative a pour but de s’appliquer aux sociétés mères basées en Suisse. Selon les art. 129 LDIP42, 2 CL43 et 5 al. 3 CL, les tribunaux suisses du domicile du défendeur sont compétents. La compétence du juge suisse ne pose ainsi pas de problème significatif.
Quant au droit applicable, deux cas de figure peuvent se présenter. Tout d’abord, si l’acte illicite a été commis en Suisse, il ne devrait y avoir aucun problème particulier et le droit suisse sera applicable. En revanche, si l’acte illicite a été commis à l’étranger, le droit applicable est déterminé par l’article 133 LDIP. En principe, le droit applicable sera celui de l’Etat dans lequel l’acte illicite a été commis. Cependant, le texte de l’initiative mentionne expressément que les dispositions édictées seront applicables quel que soit le droit applicable désigné par le droit international privé (art. 101a al. 2 let. d Cst.). Ce mécanisme est prévu par l’art. 18 LDIP selon lequel «sont réservées les normes impératives de droit suisse qui, en raison de leur but particulier, sont applicables quel que soit le droit désigné par la présente loi».
Il convient de souligner que ce principe changera peu la pratique déjà existante. L’art. 17 LDIP mentionne en effet que l’application de dispositions de droit étranger est exclue si elle conduit à un résultat incompatible avec l’ordre public suisse. Cette réserve d’ordre public permet «d’évincer le résultat non conforme aux droits fondamentaux de l’application d’une loi étrangère désignée par les règles de conflit»44. Il est admis par la doctrine et par le Tribunal fédéral que les droits de l’homme constituent une part intégrante de la réserve d’ordre public45. Leur application est ainsi déjà impérative quel que soit le droit étranger applicable. L’initiative n’apportera dès lors rien de nouveau à cet égard.
6. Devoir de diligence raisonnable
Le critère qui permettra de retenir qu’une entreprise remplit ses obligations en matière de respect des droits de l’homme et des normes environnementales sera celui de la diligence raisonnable (art. 101a al. 2 let. b).
Ce principe de diligence raisonnable découle directement des Principes directeurs46.
Le devoir de diligence est un standard objectif pouvant fonder la responsabilité délictuelle lorsque le risque associé au comportement était prévisible pour l’auteur du dommage et lorsque ce dernier n’a pas pris les mesures nécessaires à empêcher le dommage de se réaliser47.
En droit suisse, le devoir de diligence a une grande importance dans l’application de l’art. 55 CO. Les mêmes critères pourraient être retenus pour établir le degré de diligence requis des entreprises. D’après la pratique tirée de l’art. 55 CO, le devoir de diligence s’analyse objectivement et en fonction de toutes les circonstances du cas concerné. Il doit être réalisé dans le choix de l’auxiliaire par l’employeur, dans les instructions qui sont données par l’employeur, dans la surveillance mise en place ainsi que dans l’organisation rationnelle de l’entreprise48.
Ces principes pourraient fort bien être repris lors de l’élaboration des dispositions légales de mise en œuvre de l’initiative. Il conviendra alors de veiller à l’organisation spécifique des petites et moyennes entreprises. A ce sujet, l’initiative prévoit un traitement différent pour les PME qui ne présentent de tels risques que dans une moindre mesure (art. 101a al. 2 let. b Cst.).
7. Conclusion
Cette initiative pourra être mise en œuvre en s’appuyant sur les principes déjà existants en droit suisse et sur les concepts dégagés par la jurisprudence. Ceux-ci devront toutefois être adaptés par le législateur, afin de pouvoir être appliqués à la problématique de la responsabilité des entreprises suisses pour les actes de leurs filiales à l’étranger.
Dans son Message relatif à l’initiative, le Conseil fédéral admet que cette dernière «(…) livre un certain nombre de critères relativement détaillés qui faciliteraient la mise en œuvre au niveau légal»49. Selon le Message, l’initiative pourrait être concrétisée dans une loi spéciale ou dans le CO50.
Une récente contribution arrive à la conclusion que la situation juridique actuelle n’offre pas de protection suffisante des droits de l’homme contre les activités des acteurs privés51. Bien que l’initiative semble à même de répondre à cette situation, le Conseil fédéral conclut à son rejet et propose aux Chambres fédérales, qui devront se prononcer prochainement sur ce sujet, de la soumettre au vote du peuple et des cantons sans lui opposer de contre-projet52. La Commission des affaires juridiques du Conseil national s’est néanmoins d’ores et déjà exprimée en faveur de l’adoption d’un contre-projet indirect à l’initiative53. Dans le Message relatif à l’initiative, le Conseil fédéral admet que la Suisse «pourrait (…) s’investir davantage en faveur des droits humains et de la protection de l’environnement dans le domaine de l’économie en Suisse et à l’étranger»54, mais il préfère toutefois, de manière pour le moins optimiste, «laisser la possibilité aux entreprises d’appliquer des mesures volontaires dans ces domaines»55.
L’espoir du Conseil fédéral de voir les entreprises s’astreindre, de manière volontaire, à respecter le principe de diligence raisonnable est honorable. Il est néanmoins justifié de présumer que l’adoption de normes contraignantes permettant aux victimes de violations des droits de l’homme et de l’environnement d’obtenir réparation aura plus d’impact que l’attente d’une démarche volontaire menée par les entreprises elles-mêmes. Pour cette raison, l’initiative pour des multinationales responsables offre une réelle possibilité d’appliquer de manière effective les Principes directeurs des Nations Unies en matière de responsabilité des entreprises. y
1ONU, A/HRC/17/31.
2Rapport sur la stratégie de la Suisse visant à mettre en œuvre les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme du 9 décembre 2016.
3Ibid., p. 15.
4Ibid., p. 38.
5Projet du nouvel art. 101a Cst., https://www.bk.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis462t.html
6Voir infra point 4.
7https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2017/3/27/2017-399/jo/texte
8Sylvain Savolainen, Gérald Pachoud, La responsabilité civile de l’entreprise en cas d’atteinte aux droits de l’homme, Revue de l’avocat 2017, pp. 490 ss; https://www.legislation.gov.uk/uksi/2013/1973/contents/made
9https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32014L0095
10Savolainen, Pachoud, pp. 490 ss et les réf. citées.
11Rapport explicatif de l’initiative populaire fédérale «Entreprise responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement», pp 22 et 23.
12Pacte ONU II, RS 0.103.2.
13Pacte ONU I, RS 0.103.1.
14RS 0.822.719.7.
15RS 0.822.719.9.
16RS 0.822.713.9.
17RS 0.822.723.8.
18RS 0.822.728.2.
19RS 0.822.720.0.
20RS 0.822.721.1.
21Rapport explicatif (voir note 11), p. 23.
22François Membrez, Les remèdes juridiques face aux violations des droits humains et aux atteintes à l’environnement commises par les filiales des entreprises suisses (étude mandatée par Droit sans Frontières), 2012, p. 13.
23Ibid. et les réf. citées.
24Ibid. et les réf. citées.
25RS 0.814.07.
26Conclue à Aarhus, Danemark, le 25 juin 1998, en vigueur dès le 30 octobre 2001.
27Membrez, p. 13 et les réf. citées.
28Rapport explicatif (voir note 11), pp. 27 et 28.
29Ibid. et les réf. citées.
30CrEDH, arrêt N° 55723/00 «Fadeïeva c. Russie» du 9.6.2005.
31 Ibid., § 89.
32Ibid., § 92 ss.
33Rapport explicatif (voir note 11), p. 27.
34Arthur Meier-Hayoz, Peter Forstmoser, Droit suisse des sociétés avec mise à jour 2015 – Edition française par Peter Iordanov, 2015, Stämpfli, Berne, 2015, p. 878.
35Ibid., p. 879.
36Ibid., pp. 879 et 880 et les réf. citées.
37Savolainen, Pachoud, pp. 492 et 493.
38Ibid.
39https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-42300.html
40RS 220.
41Franz Werro, La responsabilité civile, 3e éd., Stämpfli, Berne, 2017, N. 497.
42Loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987, RS 291.
43Convention de Lugano du 30 octobre 2007, RS 0.275.12.
44CR-LDIP, Bucher, art. 17 N. 39.
45Ibid.
46ONU, A/HRC/17/31, principes 15 let. b et 17 ss.
47Rapport explicatif (voir note 11), p. 35.
48Werro, N. 523 ss.
49Message relatif à l’initiative populaire «Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement» du 15 septembre 2017, FF 2017-1107 5999, p. 6026.
50Ibid.
51Evelyne Schmid, Exigences internationales de prendre des mesures législatives, PJA 2017, p. 941.
52Message p. 6042.
53Communiqué de presse du 20 avril 2018, «Initiative pour des multinationales responsables: oui à un contre-projet indirect dans le droit de la société anonyme», https://www.parlament.ch/press-releases/Pages/mm-rk-n-2018-04-20.aspx?lang=1036.
54Ibid., p. 6017.
55Ibid., p. 6042.