Quelle publicité pour l’avocat?
Me Yvon vient d’ouvrir son étude d’avocat et il entend se faire connaître rapidement. Son amie lui propose d’apposer sur la façade de l’immeuble une énorme enseigne lumineuse très colorée, visible loin à la ronde. Il vient aussi d’être approché par le président du club de foot dans lequel il joue, qui lui suggère de soutenir son club. Lors des matchs, il serait annoncé que chaque but et carton est «présenté» par Me Yvon; le logo et d’autres indications sur son étude seraient alors projetées dans le stade sur grand écran, avec la mention «Le droit est partout». Alors qu’il hésite, Me Yvon croise son ancien maître de stage et lui demande si cela est autorisé…1
Sommaire
Plaidoyer 05/2015
22.09.2015
Dernière mise à jour:
02.10.2015
Mercedes Novier, Dr en droit, avocate.
Alors que pendant longtemps, toute publicité de l’avocat était proscrite, au point où il ne devait même pas apparaître dans les journaux2, la publicité de l’avocat est autorisée par la loi3. L’avocat bénéficie de la liberté économique de l’art. 27 Cst. et doit pouvoir se faire connaître. Toutefois, compte tenu de l’intérêt public à un exercice de la profession d&r...
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Alors que pendant longtemps, toute publicité de l’avocat était proscrite, au point où il ne devait même pas apparaître dans les journaux2, la publicité de l’avocat est autorisée par la loi3. L’avocat bénéficie de la liberté économique de l’art. 27 Cst. et doit pouvoir se faire connaître. Toutefois, compte tenu de l’intérêt public à un exercice de la profession d’avocat conforme aux règles et de haute qualité (ATF 139 II 173; TF 2C_259/2014) ainsi que pour maintenir la confiance du public, la publicité de l’avocat doit répondre aux exigences de l’art. 12 lit. d LLCA: se limiter à des faits objectifs et satisfaire à l’intérêt général, soit répondre à un besoin d’information du public4. Alors que de nombreuses voix considèrent que le métier d’avocat est une activité économique comme une autre et prônent une liberté quasi totale, le TF affirme que la publicité de l’avocat doit être empreinte de retenue, tant dans le contenu que dans la forme et les méthodes de publicité utilisées, et qu’il faut aller plus loin que les exigences de la LCD. L’avocat ne saurait recourir à une publicité éveillant de fausses attentes dans le public, ni à des méthodes racoleuses, tapageuses, agressives ou importunes. Le TF a ainsi considéré (ATF 139 II 173) qu’un panneau lumineux volumineux a un aspect visuel ne répondant pas aux règles de retenue et d’objectivité. Il a en outre conclu (2C_259/2014) que le recours à des flashs publicitaires (avec annonce d’un speaker et lien de l’étude avec les pénalités) durant une manifestation sportive va au-delà du besoin d’information des spectateurs d’un match, les informations sur l’avocat données dans ce cadre étant importunes. Il faut tenir compte de l’effet global de la publicité en fonction de toutes les circonstances de l’espèce et du besoin d’information du public présent. Me Yvon devrait donc vraisemblablement renoncer à ces projets, mais pourra recourir à une publicité ou du sponsoring répondant aux exigences légales.
Il est vrai que d’autres pays ont assoupli leur réglementation5 – ce qui pose la question de la concurrence entre les avocats au niveau international – et que les technologies d’information rendent difficile le maintien d’un cadre6. Mais n’est-ce pas précisément dans un tel contexte qu’il convient de réaffirmer que les avocats doivent, afin de conserver leur crédibilité et la confiance du public, et pour maintenir une haute qualité des prestations, faire preuve d’une retenue dans leur publicité? Il nous paraît que le «libéralisme tempéré7» de la loi et du TF est à saluer. Comme pour les médecins, il ne s’agit pas d’une relation commerciale comme une autre. De plus, compte tenu de la nature des prestations de l’avocat, le client peut difficilement obtenir, par le biais de la publicité, les informations quant à la qualité de la prestation offerte et les compétences réelles de l’avocat. Les comparaisons entre prestataires dans ce domaine sont difficiles et une publicité tapageuse et sans retenue risque, selon nous, d’accroître ce phénomène que les économistes qualifient de «sélection adverse» (situation où il y a une anomalie du marché résultant en particulier d’une asymétrie d’information entre les fournisseurs et les consommateurs8), avec un effet pervers sur la qualité de la prestation de l’avocat.