Un Suisse sur deux dispose d'une assurance de protection juridique, à en croire l'Association suisse des assurances. Les protections juridiques reçoivent un nombre important de cas et s'organisent pour en traiter une bonne partie de manière standardisée: une systématisation qui permet de fournir de bons services à bas prix. Par ailleurs, ces assurances offrent des conditions satisfaisantes à leurs clients, parce qu'elles appartiennent le plus souvent à une grande société, dont elles peuvent utiliser les canaux de distribution.
Ainsi, on trouve de plus en plus souvent une assurance de protection juridique au côté de la partie adverse, en tant que pourvoyeur de fonds et concurrent. Les avocats et les tribunaux devraient, par conséquent, mieux les connaître et comprendre leur fonctionnement économique, afin d'être mieux à même d'aider leurs mandants, respectivement les parties au conflit, à obtenir les meilleurs résultats possibles.
Bases légales
L'ordonnance sur la surveillance des entreprises d'assurance privées (OS) définit le contrat d'assurance de protection juridique à l'art. 161: « Par un contrat d'assurance de la protection juridique, l'entreprise d'assurance assume, contre le paiement d'une prime, le risque de devoir supporter des frais occasionnés par des affaires juridiques ou de fournir des services dans de telles affaires.» L'ordonnance prévoit encore que le libre choix de l'avocat doit être prévu lorsque l'assuré fera appel à un mandataire en raison d'une procédure judiciaire ou administrative ou en cas de conflits d'intérêts (art. 167 OS). Suivent des règles sur la relation entre le secret professionnel de l'avocat et le devoir d'information de l'assuré, puis l'exigence d'une procédure à mener en cas de divergences d'opinion entre l'assuré et la compagnie quant aux mesures à prendre pour régler le sinistre (art. 169 OS).
Bases contractuelles
Les conditions contractuelles sont plus parlantes que les bases légales. Elles définissent en effet qui est assuré, dans quels domaines juridiques et quelle est l'étendue des prestations. Les conditions de lieu et de temps sont également réglées, de même que les limites de couverture, les règles en cas de sinistre et la procédure en cas de divergences d'opinion.
Réalités du terrain
En pratique, le comportement du service juridique de la compagnie est plus importante que la loi et l'entrelacs des différentes couvertures et restrictions de couverture. Lorsqu'un tel service agit comme un fournisseur de bonne qualité, qui vise la satisfaction du client et dirige ses collaborateurs en conséquence, les clients s'estimeront heureux, la plupart du temps. A l'inverse, les meilleures conditions générales n'y changeront rien quand un service juridique se préoccupe surtout de maintenir des coûts peu élevés, d'engager des collaborateurs bon marché qu'il submerge de cas et de traquer les exclusions de couverture.
Le succès commercial d'une assurance de protection juridique dépend davantage du service des ventes que du service juridique. Ces polices, relativement peu coûteuses, peuvent être facilement écoulées par les canaux de distribution de la maison mère, pour autant qu'elles ne soient pas de nature à irriter les clients intéressants sur le plan économique. En effet, dans le cas contraire, la société préférerait laisser tomber le revenu d'appoint tiré des polices de protection juridique. La qualité du service juridique profite ainsi davantage au groupe que le seul maintien des coûts à un bas niveau.
Partenaire de l'avocat
Une assurance de protection juridique n'accorde la garantie de prise en charge des frais d'un avocat extérieur que si cette intervention est nécessaire pour la procédure devant le tribunal ou l'administration ou en cas de conflits d'intérêts. Ainsi, il peut être énervant pour un avocat de constater qu'un client potentiel lui échappe, car il est assuré.
Il est exceptionnel qu'une assurance fasse appel à un avocat extérieur dès le début d'une affaire. Cela peut arriver lorsqu'elle ne se sent pas à la hauteur, que son service juridique est surchargé ou que le mandataire extérieur peut faire jouer des synergies (par exemple, à la suite d'une autre procédure contre la même partie).
Si l'assuré tient à se faire représenter par son propre avocat plutôt que par sa protection juridique, on peut essayer d'obtenir de l'assurance qu'elle participe volontairement aux coûts du mandat extérieur. Ou alors, l'assuré peut se faire représenter par son assurance, mais se faire conseiller par derrière, à ses frais, par son avocat habituel. Cela peut renforcer la confiance de l'assuré dans sa protection juridique, mais aussi conduire à ce que l'assurance finisse tout de même par accorder sa garantie de prise en charge.
A mon avis, cela fait partie du devoir de diligence de l'avocat de se renseigner sur l'existence d'une assurance de protection juridique dans les domaines habituellement couverts, du moins en cas de représentation de personnes privées. Négliger cette démarche peut avoir de sérieuses conséquences pour le mandant et, par conséquent, aussi pour l'avocat.
Retard dans l'annonce du sinistre
Il arrive malheureusement qu'un cas ne soit annoncé à l'assurance qu'après l'échec d'une tentative de résolution à l'amiable menée par un avocat. Or, les conditions générales de l'assurance exigent que les cas lui soient déclarés immédiatement ou dans un délai très bref. L'observation de cette incombance est importante pour la compagnie, car elle ne veut pas devoir payer pour des frais qui auraient éventuellement pu être évités par une annonce faite à temps.
Les assurances investissent beaucoup dans la résolution extra judiciaire de cas hors procès et parviennent étonnamment bien à leurs fins. Quand un avocat tente, sans l'accord de la protection juridique, une résolution à l'amiable d'un cas et qu'il échoue, l'assurance considère souvent que son propre service juridique aurait obtenu un succès, s'il avait été chargé du cas. Cette supposition n'est pas infondée: s'il est financièrement intéressant pour un avocat d'aller en justice, il est, pour l'assurance, financièrement intéressant d'éviter d'y aller... Le fait qu'une personne soit au bénéfice d'une assurance de protection juridique peut étouffer un litige dans l'œuf, car cette couverture influence le rapport de forces financier entre les parties.
Par ailleurs, une assurance peut offrir beaucoup d'un point de vue qualitatif: bon nombre de ses juristes sont spécialisés dans les domaines couverts par le contrat, ce qui n'est pas possible dans bien des études d'avocat.
Refus de prestations
Lorsqu'un avocat a travaillé sans l'accord de l'assurance, celle-ci ferme souvent les yeux, par esprit de collégialité envers l'avocat et par sens commercial vis-à-vis de son assuré. Si elle refuse de prendre en charge les prestations, totalement ou en partie, cela devient problématique. Dans le meilleur des cas, l'avocat et l'assuré s'en sortent avec un refus formel de prestations, en raison d'une déclaration de sinistre tardive. Si cela ne réussit pas, la compagnie va argumenter qu'elle aurait pu éviter des frais. Pour l'avocat, cela devient potentiellement un cas de responsabilité civile et constitue régulièrement un conflit entre l'avocat et l'assurance. Le client et assuré se retrouve alors entre deux chaises. Il ignore s'il doit attaquer seulement son assurance ou aussi son avocat, mais il veut surtout quelqu'un pour s'occuper de son premier litige, sans en avoir un deuxième sur le dos.
D'après mon expérience, le problème se résout plus facilement quand l'assurance et l'avocat se soucient prioritairement du bien de son assuré, respectivement son client. En tant qu'avocat, mieux vaut cependant éviter ce genre de situation et s'enquérir de l'existence d'une protection juridique dès le début du mandat.
Attribution du mandat et honoraires
Le mandant est la seule et unique personne assurée. La loyauté de l'avocat envers lui vaut aussi lorsque les honoraires sont réglés par l'assurance. Et l'avocat risque de se trouver dans un conflit d'intérêts personnel dans le cas de figure où il reçoit régulièrement des garanties de prise en charge ou des recommandations émanant d'une assurance de protection juridique donnée. Il peut ainsi considérer comme étant dans son intérêt que la compagnie maintienne des coûts bas, en contradiction avec les intérêts de son client. Mais, comme dans tous les conflits d'intérêts, la limite est toutefois difficile à poser. Un bon rapport de confiance entre l'assurance et l'avocat est la plupart du temps dans l'intérêt du mandant.
Les honoraires de l'avocat sont établis en premier lieu d'après le contrat de mandat. Ils doivent être couverts par l'assurance, qui n'a généralement pas fixé de limite dans ses conditions générales, pour des motifs relevant du marketing.
Voilà pour la théorie. En pratique, l'assurance demande régulièrement à l'avocat s'il est d'accord de prendre en charge un cas pour un montant fixé d'avance. Si ce dernier accepte, elle le propose ensuite à l'assuré. Si ce dernier aimerait confier son affaire à un autre avocat, l'assurance tentera de lui donner satisfaction en négociant les honoraires avec l'avocat en question. D'après les conditions générales, les compagnies ont cependant le droit de refuser le mandataire souhaité.
Gestion des coûts
Une assurance de protection juridique est au service de l'assuré, pas de l'avocat. Si la solution à un conflit coûte davantage que l'objet de la controverse, il faut, à mon avis, y renoncer: l'assurance verse alors à l'assuré un montant raisonnable. Certains assurés, avocats et même des juristes de compagnies d'assurances critiquent de tels versements. De manière, selon moi, partiellement injustifiée: les assurances n'assurent pas le droit ni des principes. Elles assurent des coûts et des services occasionnés par des affaires juridiques. Un avocat consciencieux doit considérer ce point lucidement et en discuter avec le mandant. Cela vaut même la peine de penser au fait que le règlement économique d'un cas peut aussi avoir une valeur financière pour l'assurance de la partie adverse.
Les avocats qui considèrent les protections juridiques comme intéressées à la résolution d'un conflit peuvent parfois aider leur mandant - et indirectement l'assurance - à obtenir des résultats remarquables. Les assurances participent à la résolution de cas particulièrement onéreux en versant une somme déterminée. En même temps, elles veillent évidemment, de manière justifiée, à ne pas devoir passer à la caisse sans raison valable.
La protection juridique en tant que partie adverse
En pratique, les avocats et leurs mandants reçoivent régulièrement des écrits comminatoires des assurances, dans lesquels des exigences peu claires sont posées avec des affirmations qui le sont tout autant. Ce qui fait rapidement douter des compétences juridiques de leurs auteurs. Mais la cause du phénomène est, la plupart du temps, tout autre: les protections juridiques sont confrontées à des cas pour lesquels aucune personne sensée ne mandaterait un avocat à ses frais. Elles doivent parfois aussi intervenir sur la base d'instructions peu crédibles de l'assuré, dont les requêtes ont peu de chances de succès. Au stade précoce de la procédure, l'assurance ne dispose pas des connaissances nécessaires pour se faire une véritable idée de l'affaire et relativiser les attentes de l'assuré.
En pareille situation, il vaut la peine de se demander de quoi a besoin l'assurance de la partie adverse pour clore le cas. A-t-elle besoin d'informations supplémentaires pour mieux conseiller son assuré ou, plutôt, de compréhension sur un point secondaire pour sauver la face? On peut souvent résoudre ce genre de question par téléphone. Un juriste d'assurance expérimenté est ensuite à même de transmettre le sens de la conversation à l'assuré, tenant ainsi parfois le rôle d'un médiateur. Certains juristes parviennent de cette manière à trouver de bonnes solutions. Il vaut la peine de profiter de ces compétences lorsqu'on les détecte.
Mais les assurances prétendent aussi souvent que leurs clients ne sont pas soumis à la pression des coûts en raison de leur couverture d'assurance: elles se montrent alors prêtes à lutter jusqu'à l'extrême. Il ne faut pas trop se laisser impressionner par ce genre de discours: la compagnie va faire tout son possible pour ne pas en arriver là. Elle va s'informer des intérêts de son assuré et voir avec lui dans quelle mesure ils peuvent être transposés sur le plan juridique. Elle va discuter des coûts immatériels d'un procès, en évaluer le risque et, parfois aussi, envisager le versement d'une indemnité à l'assuré.
Il arrive qu'une protection juridique ne soit pas au courant de faits qui amèneraient à une exclusion de couverture ou que l'examen de cette couverture n'ait pas été fait correctement. Quand la partie adverse prétend être couverte, il vaut donc la peine de vérifier si c'est bien le cas. L'avocat qui procède de cette manière aura beaucoup gagné s'il reçoit de l'assurance de la partie adverse des informations permettant de conclure à un refus de prestations.