Les hautes écoles spécialisées (HES) font rarement leur publicité avec l’enseignement du droit. La Haute Ecole Arc a brisé le tabou romand en lançant, en septembre 2013, son bachelor en droit économique (business law). Selon la responsable de filière Nayda Cochet-Sebastian, plus de 120 étudiants suivent ce cursus alliant une bonne moitié de droit, essentiellement des affaires, 35% d’économie et 15% de communication et de langues.
Le but: former des consultants fiscaux, des managers ou des cadres de secrétariats généraux qui aient des réflexes juridiques et sachent rédiger seuls un contrat ou des documents courants. «Il ne s’agit pas de remplacer un avocat pour le règlement de litiges», précise Brigitte Bachelard, directrice générale de la HE-Arc. Mais le droit gagne en importance dans la société et la formule a du succès outre-Sarine.
La Haute €Ecole zurichoise d’arts appliqués, qui propose un bachelor de droit économique à Winterthour depuis 2004, a déjà délivré 750 diplômes, se félicite le responsable de filière Philipp Sieber. «C’est la seule façon pour les titulaires d’une maturité professionnelle de se former en droit sans devoir rattraper une maturité gymnasiale», souligne-t-il. Ce succès a poussé l’école à ouvrir, l’automne dernier, un master en Management and Law. Sauf à Lucerne, le bachelor ne permet pas d’accéder directement à un master en droit de l’université.
Les universités veillent sur leur chasse gardée. La HE-Arc a pu rassurer l’alma mater de Neuchâtel sur son cursus de droit économique. Son Université lui fournit même quelques enseignants. La plupart des cours sont toutefois donnés par des praticiens, comme des avocats ou des spécialistes d’une administration.
Pour les ingénieurs
En HES, le but est d’intégrer des professionnels sur le marché du travail, et l’enseignement se fait surtout par projets et cas pratiques, explique Yves Rey, vice-recteur de la Haute Ecole spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO). L’importance du droit varie beaucoup selon les domaines.
La matière est, par exemple, un classique du programme des futurs ingénieurs en environnement ou en génie civil. Malgré une dotation horaire importante, l’enseignement du droit est réduit aux matières les plus utiles pour la profession: aménagement du territoire, protection de l’environnement, marchés publics et contrats de mandat. Le traitement est souvent approfondi, détaille Jean-Michel Brahier, avocat à Fribourg et chargé de cours à la Haute Ecole d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud.
A Yverdon, il y a régulièrement des élèves ingénieurs étrangers. Malgré d’excellentes capacités scientifiques, certains peinent sur les questions juridiques en raison d’un bagage culturel différent, explique Me Brahier. Mais «de manière générale, le public de HES est un public intéressé. Il ne rechigne pas à participer, et ses questions, souvent pertinentes, font avancer le débat.»
Social et santé
Professeure de droit à l’Ecole d’études sociales et pédagogiques de Lausanne (EESP), Colette Pauchard n’a pas que des étudiants motivés. Les personnes qui se destinent à l’éducation ou à l’animation socioculturelle sont a priori intéressées par la relation et pas par le droit. Une partie d’entre elles a en outre choisi une formation en HES plutôt qu’à l’université pour éviter des études trop théoriques. Pour l’enseignement du droit, cela nécessite un grand travail pédagogique, explique la juriste. Sa méthode pour les intéresser: transmettre son support de cours à l’avance et utiliser les leçons pour résoudre des cas. «Avec un public d’au mieux 70 et d’au pire 200 personnes en première année de bachelor, ce n’est pas toujours évident.»
Le droit tient pourtant bien sa place dans un bachelor en travail social. A l’EESP cela va d’une centaine d’heures de cours pour les éducateurs à 160 heures pour les assistants sociaux. Trois juristes (180%) ont un poste fixe et proposent une intégration dynamique d’heures de droit en lien avec les thèmes au programme. Le plan d’études cadre de la HES-SO ne prévoit, en effet, pas de module réservé au droit. Le poids de cet enseignement varie selon les écoles. «Il a toujours été important pour le travail social», relève Joseph Coquoz, responsable du domaine à la HES-SO. Mais des thèmes nouveaux sont apparus. De nombreuses institutions sociales ont conclu un contrat de prestations avec l’Etat et peuvent se voir couper des subventions si elles ne le respectent pas. Les assistants sociaux notamment doivent s’y connaître en droit administratif et se préoccuper des problèmes de confidentialité.
Grand thème pour les professionnels de la santé aussi: la protection des données figure au menu de l’Unité juridique santé de la Haute Ecole de santé Vaud (Hesav). Les trois juristes de cette entité fondée en 2007 offrent des cours de droit médical et de sécurité sociale, conseillent les étudiants pour leurs travaux et réalisent des expertises juridiques. «Les autres Hautes Ecoles de santé peuvent faire appel à nos services», précise la responsable Claudia von Ballmoos.
Cours plus ciblés
Selon Nicole Seiler, à la tête du domaine santé à la HES-SO, la plupart des établissements ont leurs propres spécialistes. Certains recourent aussi à des experts d’une université ou d’une autre HES, voire à des avocats et des juristes. «Le droit a tendance à devenir plus important dans toutes les filières de la santé, mais cela se traduit surtout par des cours plus ciblés sur les aspects liés à la prise en charge de patients.» Les diététiciennes seront formées d’abord aux législations alimentaires, les techniciens en radiologie médicale aux bases légales de radioprotection. Liberté académique oblige, le volume d’heures de droit varie selon les hautes écoles. Pour le bachelor en soins infirmiers, la fourchette va de 30 à 40 heures, estime Nicole Seiler.
Le poids du droit semble plus mineur dans les formations artistiques. L’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL), par exemple conclut avec chaque nouvel étudiant un contrat réglant les droits d’auteurs sur ses futurs travaux. Mais seuls les cursus de design industriel et de communication visuelle intègrent un cours sur le sujet donné par un avocat spécialisé, expose Xavier Duchoud, directeur adjoint académique. Les étudiants en cinéma peuvent participer à des journées d’information sur la gestion des droits musicaux et des droits d’auteur dans le domaine audiovisuel. Il n’est pas prévu d’aller au-delà en intégrant d’autres matières dans des programmes artistiques déjà très chargés, «fussent-elles extrêmement intéressantes».