Un an après l'entrée en vigueur de la procédure fédérale, certains cantons n'ont pas encore adapté leurs règlements ou leurs pratiques aux nouvelles dispositions sur la publicité des décisions. Pourtant, à son article 54, le Code de procédure civile (CPC) prévoit sans détour que «les décisions doivent être accessibles au public». Quant au Code de procédure pénale (CPP, art. 69 al. 2), il indique que les personnes intéressées peuvent consulter les décisions rendues par écrit (ordonnances pénales et jugements dans les procédures où les parties ont renoncé à un prononcé en audience publique).
En matière civile, les exigences de publicité sont plus larges, puisque même les jugements communiqués publiquement doivent par la suite rester accessibles. Tandis que, pour les affaires pénales, seules les décisions n'ayant pas été rendues publiquement doivent pouvoir être consultées. Mais en matière civile tant que pénale, il n'est pas nécessaire de justifier d'un intérêt légitime pour demander à voir un arrêt. La «personne intéressée» en procédure pénale (art. 69 al. 2 CPP), est en réalité «toute personne qui fait une demande», avait décidé le Parlement fédéral, écartant une proposition visant à réserver l'accessibilité aux personnes faisant valoir un intérêt légitime*.
Les codes de procédure laissent ouverte la question du mode de publicité. Ainsi, rien n'oblige un tribunal à publier tous ses jugements, par exemple sur internet. Il peut se contenter d'adresser une copie à l'auteur de la requête ou même de prévoir une consultation au greffe. Et, bien entendu, les règles habituelles sur la protection de la personnalité restent de mise, se traduisant généralement par l'anonymisation des arrêts livrés au public.
Justifier d'un intérêt
Certains cantons tardent à se plier à ces exigences de transparence. C'est le cas du canton de Vaud, dont l'Ordre judiciaire annonce la révision du règlement sur l'information pour le premier trimestre 2012, en vue de s'aligner sur le nouveau droit fédéral. En attendant, les personnes souhaitant prendre connaissance d'un jugement doivent justifier d'un «intérêt pertinent», selon les termes du règlement actuel. Cependant, Vaud joue la carte de la transparence pour les décisions cantonales, qui sont toutes publiées sur internet: une politique plus ouverte qu'ailleurs en Suisse romande (lire en page 12). En outre, le Ministère public vaudois a pris les devants et met, de son côté, les ordonnances pénales en libre accès au greffe, sans anonymisation, pendant au minimum un mois. Dans les faits, les demandes sont néanmoins peu nombreuses.
Fribourg n'a pas non plus adapté sa pratique. Il est encore nécessaire d'avancer un intérêt légitime pour consulter une décision de justice (intérêt scientifique ou historique notamment). Un règlement sur l'information est en cours d'élaboration, indique Hugo Casanova, juge cantonal et président du groupe de travail chargé de cette tâche: «Il est vrai qu'il devient urgent d'organiser l'accessibilité des décisions. Une démarche qui nécessite pas mal de réflexion, car il faut trouver des solutions pour concilier les différents intérêts en jeu, à savoir les exigences de transparence et la protection de la personnalité.» Au Ministère public fribourgeois, un pas a tout de même été franchi avec une nouvelle directive à l'attention des médias, qui peuvent consulter toutes les ordonnances pénales entre le 25e et le 35e jour après qu'elles ont été émises: une opportunité qui suscite passablement d'intérêt. Une directive pour la consultation par les particuliers est en préparation.
Pas de règlement en vue
Certains cantons ne prévoient pas d'adopter un règlement ad hoc pour se conformer au nouveau droit fédéral. C'est le cas de Neuchâtel qui, en application de sa loi sur la transparence des activités étatiques (LTAE), délivre, sur requête écrite, une copie anonymisée des arrêts ne se trouvant pas sur internet. Ces requêtes sont plus fréquentes en première instance, dans la mesure où celle-ci ne publie rien sur internet. Faut-il justifier d'un intérêt légitime pour obtenir satisfaction? La réponse est non, si on lit entre les lignes la réponse du greffe du Tribunal cantonal neuchâtelois, qui se limite à renvoyer aux codes de procédure, auxquels se réfère la LTAE...
En Valais, on ne prévoit pas non plus de règlement spécifique et on permet la consultation des jugements civils au greffe du tribunal, après anonymisation et sans avoir à justifier la demande. En matière pénale, les modalités de la publicité ne sont pas encore déterminées. Comme ailleurs, les demandes sont si rares qu'elles n'ont pas incité les autorités à développer une pratique. Néanmoins, pour Françoise Balmer, présidente de la Cour pénale cantonale valaisanne, il n' y a pas lieu de refuser la consultation d'un jugement pénal qui n'a pas été rendu publiquement. Même transparence pour les ordonnances pénales, qui sont désormais à disposition des personnes souhaitant les consulter, selon Olivier Elsig, premier procureur du Valais central: «Avec le CPP, même la curiosité malsaine doit être satisfaite!» Mais pour l'heure, souligne-t-il, il n'y a guère que les assurances pour demander à voir des ordonnances pénales, dans un but de vérification de droit aux prestations.
Sur simple demande
Dans le Jura, le manque d'intérêt pour certaines décisions de justice étonne Jean Moritz, à la fois juge cantonal et greffier. «Dans les domaines de l'aménagement du territoire, de l'environnement et de la fonction publique par exemple, des affaires pourraient intéresser le public, les avocats ou les journalistes.» Le Jura a adapté son règlement sur l'information du public par les autorités judiciaires, permettant une consultation au greffe sur demande préalable, avec certaines limites (comme l'anonymisation). Et les arrêts importants sont généralement remis d'office à la presse. Là aussi, la réflexion sur la notion de «personne intéressée» de l'art. 69 al. 2 CPP n'a guère été menée, faute de cas concrets. «Selon moi, cette notion englobe la presse et le public en général, sous réserve de la protection de la personnalité», commente Jean Moritz.
Pour sa part, Genève a anticipé les exigences fédérales en matière d'accessibilité des décisions de justice. En effet, la loi sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles (Lipad) est également applicable aux différentes juridictions et services du pouvoir judiciaire. On peut ainsi recevoir une décision de justice après avoir rempli un formulaire (disponible sur internet), sans qu'il soit nécessaire de motiver la requête. Et à condition qu'elle ne soit pas déjà publiée sur internet et que la consultation ne heurte pas un intérêt public ou privé prépondérant.
La transparence genevoise a-t-elle déjà porté ses fruits en matière judiciaire? Le secrétariat général du pouvoir judiciaire ne livre pas de statistiques, mais il est le seul, en Suisse romande, à signaler que «les demandes de consultation de décisions adressées aux greffes sont de plus en plus fréquentes, particulièrement dans les juridictions qui n'ont pas en ligne toute leur jurisprudence. Elles émanent tant du public en général que des personnes concernées par leur propre jugement.»
Le logiciel du Tribunal fédéral divise
Le Tribunal fédéral propose aux tribunaux cantonaux d'utiliser son propre logiciel judiciaire, OpenJustitia, financé par les pouvoirs publics. Cette mise à disposition est gratuite, mais les cantons doivent procéder eux-mêmes à l'intégration des programmes ou charger des entreprises informatiques privées de le faire, ce qui a évidemment un coût.
L'offre informatique du TF a déplu à la société Weblaw, qui a saisi la Commission de gestion du Conseil des Etats en invoquant l'absence de base légale et une concurrence du secteur privé par le TF au moyen de l'argent des impôts. Mais Weblaw n'a pas été entendue.
OpenJustitia pourrait représenter un premier pas en direction d'une banque de données unifiée du TF et des tribunaux cantonaux. C'est du moins le souhait du TF. Mais les différents tribunaux cantonaux apparaissent divisés sur la question, rapporte notre confrère alémanique plaedoyer. Certains voient d'un bon œil une unification de la consultation des décisions, tandis que d'autres mettent en avant les difficultés pratiques qui en résulteraient, notamment la nécessité de s'entendre sur les modalités de la publication.
Davantage de jugements en ligne
Rares sont les tribunaux qui, comme le Tribunal fédéral, livrent toutes leurs décisions sur internet. Mais la tendance est à une mise à disposition toujours plus large par les tribunaux cantonaux, après anonymisation. En première instance en revanche, on est rarement équipé pour une telle opération. Voici les pratiques des tribunaux cantonaux romands.
Fribourg: le site du TC publie des arrêts portant sur des affaires considérées comme dignes d'intérêt par les différents présidents de section. Le choix est plutôt strict: neuf décisions en 2011 pour la Cour pénale, quatre pour la Cour civile... Certaines sont publiées avant leur entrée en force, mais après leur notification aux parties.
Genève: le Tribunal cantonal met en ligne une sélection de sa jurisprudence récente, à savoir les arrêts définitifs qui présentent un intérêt juridique particulier, parce qu'ils explicitent un point de droit ou sont le reflet de la jurisprudence et des pratiques en cours. Pour la Chambre pénale, cela ne représente que cinq décisions en 2011, pour la Chambre civile quatorze. La Chambre des assurances sociales et celle administrative ont décidé, en revanche, de publier toute leur jurisprudence, y compris des arrêts non définitifs.
Jura: une sélection de jugements récents (datant généralement de moins d'une année) présentant un intérêt scientifique ou de politique juridique est disponible. Cela va de deux ou trois arrêts pour la Cour pénale à plus de 25 pour la Cour administrative.
Neuchâtel: les arrêts cantonaux présentant un intérêt jurisprudentiel sont publiés sur le net. Le panel est assez large: plus de 3000 en tout depuis 1995, soit quelque 180 par année. La banque de données est constamment mise à jour.
Valais: il n'est actuellement pas possible de consulter de la jurisprudence valaisanne sur internet, à moins d'être abonné à Swisslex et d'avoir ainsi accès à l'édition électronique de la Revue valaisanne de jurisprudence (70 à 80 jugements par année). Mais tout va changer l'été 2012, avec un accès gratuit à un choix d'arrêts présentant un intérêt jurisprudentiel (environ 150 par an).
Vaud: le Tribunal cantonal vaudois est le seul, en Suisse romande, à mettre tous ses arrêts en ligne. Rien de tel cependant en première instance, à l'image des autres cantons romands.