Dès le 1er mars 2012, a été mis en place un système d’attribution des mandats d’expertise aux COMAI (Centres d’observation médicale de l’AI), selon le «principe du hasard» (art. 72bis RAI). Il s’agissait notamment, en rendant aléatoire l’attribution des mandats, de résoudre le problème structurel relatif au potentiel manque d’indépendance des COMAI à l’égard des assureurs sociaux (ATF 137 V 210 c. 2.4.1).
Depuis lors, l’OFAS établit annuellement un rapport relatif à l’attribution des mandats via la plateforme SuisseMED@P1. On croit y lire régulièrement que, globalement, le système répondrait aux préoccupations ayant donné lieu à la modification de jurisprudence du TF, hormis concernant les délais d’attente.
L’OFAS indique, en outre, que le principe aléatoire de l’attribution est garanti par le recours à un «algorithme générateur de nombres aléatoires». On précise que, du seul fait que les machines et leurs algorithmes suivent toujours une logique mathématique, le tirage électronique ne serait pas fortuit à 100%: on parle ainsi de «pseudo-hasard»2. L’administration expose également que le tirage (c’est-à-dire le choix du centre) est effectué «à l’aveugle», en ce sens que personne ne peut voir «dans le pot» et savoir combien de centres d’expertise sont disponibles à un moment donné, ni lesquels3.
De là découle néanmoins un problème, en particulier en Romandie. Les mandats sont en effet logiquement attribués selon un critère de langue de l’expertise4. Par ailleurs, les centres romands sont au nombre de sept, au 1er juillet 20165. Parmi ces centres, Cemedex SA à Fribourg n’a reçu que trois mandats en 2015, puisqu’il s’agit d’un centre nouvellement conventionné; quant au CEM, en Valais, il n’a reçu aucun mandat en 20156. En outre, les centres ont des tailles très différentes, le nombre d’experts y exerçant variant entre cinq et plusieurs dizaines7.
Partant, le nombre de mandats attribués aux mêmes COMAI est patent à la lecture des rapports annuels successifs établis par l’OFAS. Ainsi, en 2014, sur quelque 330 mandats attribués en Romandie, 205 étaient attribués par le «système aléatoire» à un seul centre, à savoir le CeMed. Concrètement, cela représente plus de 62% des cas! Cela s’explique certes par le fait que ce Centre est le plus important en termes de nombre d’experts8. La situation au vu du rapport 2015 est un peu meilleure. En effet, sur 702 mandats attribués en Suisse romande, 323 sont attribués au CeMed (soit 46%), 185 expertises étant attribuées à la Clinique romande de réadaptation, 139 à la Policlinique médicale universitaire, le reste des centres se voyant attribuer le solde. En résumé, en 2015, près d’une expertise sur deux a été réalisée par le CeMed en Romandie et, environ, une sur quatre par la Clinique de la SUVA à Sion.
Au vu des chiffres énoncés ci-dessus, on conclut aisément que le système n’est aléatoire qu’en tant qu’il est régi par un algorithme.
L’OFAS ne croit pas si bien dire en évoquant un «pseudo-hasard», non seulement parce que l’attribution suit une logique mathématique, mais également parce que nécessairement, les mandats sont attribués en fonction de la langue d’expertise, dans un «pot à l’aveugle», qui peut, d’après ce que l’on lit sur le site de l’OFAS, ne contenir qu’un seul centre à un moment donné. Dans la mesure où certains centres sont plus importants que d’autres, il y a de fortes probabilités qu’ils reçoivent l’attribution de mandats d’expertise.
Cela n’est pas adéquat. La jurisprudence du Tribunal fédéral, dans son esprit, avait pour objectif que l’attribution aléatoire de mandats réponde au problème structurel de dépendance des centres conventionnés par rapport à l’AI. On devait ainsi éviter que certains centres ne soient «mis sous perfusion» par les mandats de l’AI (ou d’autres assureurs) et ne puissent être tentés, abstraitement parlant, de rendre des expertises favorables aux attentes de l’assureur (par hypothèse en lui évitant de prester). Or, si en Romandie, près d’une expertise sur deux s’effectue auprès du même centre (indépendamment de tout procès d’intention à son endroit), le problème structurel demeure.
Ce constat, mis en lien avec la lenteur de l’attribution, déjà dénoncée à maintes reprises9, amène à se demander pourquoi il faut attendre parfois près d’une année, pour respecter un système prétendument aléatoire, alors que le résultat du tirage ne l’est pas, ou uniquement en apparence. Il est, sous cet aspect, utile de relever que, selon le Tribunal fédéral, il est impossible, s’agissant d’expertises pluridisciplinaires, de s’entendre avec l’AI de manière consensuelle sur le choix du centre ou des experts (ATF 140 V 507 c. 3.2.1). Ainsi, en dépit du fait que l’on puisse tabler sur l’attribution du mandat à un certain centre, on ne peut même pas tenter de discuter avec l’AI pour pouvoir directement y être envoyé, afin de gagner du temps…
Les rapports annuels de l’OFAS soulignent régulièrement le problème de l’engorgement et de la lenteur du système, mais plus rarement la problématique du caractère véritablement aléatoire de l’attribution du mandat. Il s’agit pourtant d’un élément décisif, s’agissant, en particulier, de l’acceptation des résultats par l’assuré, qui aura moins le sentiment, dans l’hypothèse où les résultats de l’expertise n’induiraient pas l’octroi de prestations, que «tout était joué d’avance».
En définitive, le système n’est, aujourd’hui, pas satisfaisant. Plus que sur l’attribution aléatoire, il conviendrait de se focaliser sur le «contenu du pot» dans lequel on choisit le centre d’expertise. Or, c’est précisément ce que le système en soi ne fait pas10.
Pour reprendre les termes d’Anne-Sylvie Dupont, le cœur de la problématique se situe dans le fait que le hasard soit «facilement influençable»11. y