La liberté de l’assuré d’une protection juridique de choisir un mandataire soit en raison d’une procédure judiciaire ou administrative, soit en cas de conflits d’intérêts, est prévue par l’ordonnance sur la surveillance1. Et pourtant. «Sans notre accord préalable, vous ne mandatez aucun avocat (...)»: des réserves comme celle-ci, tirée des conditions générales de la DAS (CGA P. 2015), sont fréquentes en Suisse. L’aval préalable de l’assurance de protection juridique privée est aussi prévu dans les CGA d’Assista, l’assurance du TCS «Lorsque l’assuré le demande, il peut, après avoir reçu l’autorisation d’Assista, choisir et mandater librement un avocat (...)», ou à celles de Coop 2010 («Avant de mandater l’avocat, l’assuré doit obtenir l’accord de Coop protection juridique»), par exemple.
S’y ajoute le risque que les frais engagés ne soient pas pris en charge. Assista prévoit ce cas de figure, de même que Dextra («Les frais ne seront pris en charge que si l’intervention est justifiée»), ou encore, parmi d’autres, la CAP («L’assuré prend l’engagement de ne pas consulter un mandataire (...) sans le consentement de la CAP (...). S’il ne respecte pas ces obligations, la CAP peut refuser ses prestations à moins (...) qu’aucune faute ne lui est imputable.»).
L’avocat et professeur à l’Université de Neuchâtel François Bohnet met en doute la validité des clauses de consentement pré-alable, pourtant largement répandues: «L’admettre aurait pour conséquence de permettre à l’assureur de refuser la prise en charge des frais systématiquement, prétextant son absence de consentement préalable. Nous partageons l’avis de Didisheim qui souligne que cette restriction n’est pas conforme à l’art. 167 al. 2 OS et contraire à la nature même de l’assurance de la protection juridique, en vertu de laquelle, dès la réalisation du risque, soit dès la survenance du besoin d’assistance juridique, l’assuré peut prétendre à une garantie de couverture dans les limites prévues par la police2. Ainsi, la décision d’assumer les frais ne dépend pas de la volonté de l’assureur, contrairement à ce que prévoit ce genre de clause, mais bien de la survenance du sinistre, à savoir la réalisation du risque3.»
Un autre argument plaide dans le même sens. Les dispositions de l’OS régissant l’assurance de protection juridique sont, pour l’essentiel, une adaptation autonome de la directive européenne 87/344/CE du 22 juin 1987. Toutes les deux ont pour objectif d’éviter ou de résoudre les conflits d’intérêts qui pourraient diviser l’assuré et son assurance de protection juridique4. Or, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que ce texte avait pour objectif de protéger largement les intérêts des assurés et que, partant, le libre choix de l’avocat par l’assuré ne peut être limité aux seules situations dans lesquelles l’assureur décide qu’il faut faire appel à un conseil externe5. Pour François Bohnet, la seule sanction de l’assureur qui n’accepte pas l’avocat mandaté devrait être de limiter la prise en charge des frais au strict cadre de la couverture prévue.
Limiter le dommage
Le professeur à l’Université de Lausanne Vincent Brulhart admet que «le régime du droit suisse est largement inspiré de la directive communautaire et qu’on ne peut, dès lors, faire totalement abstraction des arrêts de la CJUE concernant la surveillance du régime de l’assurance de protection juridique. Pris de façon isolée, et confronté à la logique de l’arrêt, ce genre de clause est discutable. Mais il faut voir aussi l’intérêt de la collectivité à une saine gestion de la charge de sinistre: accepter systématiquement la désignation d’avocats aux tarifs les plus onéreux pour les cas les plus simples induirait une explosion des primes préjudiciable aux assurés et raisonnablement évitable. Au surplus, dès lors qu’un arbitrage est possible lors de désaccords sur le choix d’un avocat, je pense que ce type de clause est conforme au droit suisse», estime cet auteur, par ailleurs directeur des affaires suisses non-vie et membre du comité de direction de l’assureur Generali.
«Les assurances de protection juridique ont de plus en plus le réflexe de traiter elle-même les dossiers qui leur sont soumis, constate Alexandre Guyaz, spécialiste FSA en droit des assurances. Cela est d’ailleurs prévu par l’art. 161 OS. Il y a néanmoins un droit de prendre un avocat externe en situation de conflits d’intérêts avec l’assurance ou de procédure judiciaire et administrative, selon l’art. 167 OS.» Le fait que l’assureur délivre lui-même le conseil juridique «ne pose pas de problème tant qu’il se soumet à la même obligation de diligence que l’avocat. Or ce n’est pas le cas, par exemple, quand une affaire complexe est confiée à un jeune juriste inexpérimenté», met en garde le spécialiste.
Révision réduite
Il faut dire que les dispositions plus protectrices prévues par le Message, comme l’interdiction de limiter le choix des avocats à un certain arrondissement judiciaire6, ne sont tout simplement pas entrées en vigueur, car la révision totale prévue a été abandonnée par les Chambres au printemps de 2013 au profit d’une révision partielle.
Ainsi peuvent subsister des clauses stipulant que l’assuré peut proposer «un avocat établi dans la juridiction du tribunal compétent pour votre litige» (Protekta, CGA PJ privée 4.2013) ou que «si vous choisissez un avocat en dehors de l’arrondissement judiciaire, les frais supplémentaires sont à votre charge» (DAS, CGA P. 2015). Cet assureur précise qu’«il ne s’agit, dans ce cas, que d’appliquer l’obligation faire à l’assuré de minimiser le dommage».
«La plus libérale»
L’Helvetia se vante d’être la plus libérale s’agissant du choix de l’avocat: «Contrairement à d’autres prestataires, Helvetia ne stipule aucune restriction en la matière.» Les autres assureurs disent s’en tenir à la lettre ou être plus généreux que l’art. 167 II OS. «Si la voie de la négociation n’aboutit pas et qu’une procédure judiciaire apparaît inévitable, les assureurs de protection juridique en Suisse sont obligés, compte tenu du monopole des avocats, de garantir le libre choix de celui-ci», résume la DAS, qui estime que «la décision Sneller n’a aucun impact sur la situation juridique en Suisse, le cadre juridique étant par trop différent». «Les conditions générales d’Assista autorisent l’intervention d’un avocat au-delà des seules procédures judiciaires et administratives prévues par l’art. 167», se vante son concurrent. «Nous allons plus loin que l’art. 167 II OS. Hormis ces cas, nos clients ont droit au recours à un avocat externe de leur propre choix», surenchérit Dextra, alors que, AXA-ARAG précise que «les termes de l’art. 167 OS sont repris dans ses conditions générales» (A 11, 06.2014) et que l’ordonnance étant une adaptation autonome de la directive, elle n’est pas liée par l’interprétation qui en est faite au niveau européen.
Lorsqu’un avocat externe doit être mandaté, certains assureurs conseillent aux assurés les mandataires adéquats (Coop; AXA-ARAG, en fonction de différents critères (lieu du litige, spécialisation de l’avocat, langue, qualité de service) ou fixent des limites («un refus est cependant notifié lorsque l’avocat ne serait pas autorisé à plaider devant le tribunal compétent et des recommandations sont faites lorsque cet avocat est spécialisé dans un tout autre domaine que celui dont relève le litige ou encore lorsqu’il est réputé demander des honoraires élevés» (Assista). Ce dernier cas de figure peut aussi retenir AXA-ARAG, «dans des cas très rares» ou Coop «lors de tarifs horaires exorbitants et extraordinaires, nous en appelons au devoir de limiter le dommage de l’assuré». L’assuré risque aussi de devoir payer une partie des frais dépassant le tarif local (Dextra).
Pression sur les tarifs
La pression exercée par les assurances de protection juridique sur les tarifs est problématique, car en acceptant de travailler pour des montants très réduits, l’avocat risque de se lier les mains, indique Gilles-Antoine Hofstetter, avocat à Lausanne. «Un assureur de protection juridique exigeait que je travaille au même tarif que le premier avocat, soit à 220 fr./heure. Or, le tarif officiel vaudois est de 350 fr./heure. Pour finir, en négociant, l’assureur a accepté un tarif de 300 fr./heure, mais j’ai trouvé le procédé cavalier.» L’avocat estime que cela pose «des problèmes d’indépendance, de concurrence et de compétence si des jeunes inexpérimentés acceptent de casser les tarifs». «Pour que la représentation soit adéquate, ajoute François Bohnet, l’avocat doit veiller à ne pas s’engager dans la voie d’un accord global sur un tarif horaire inférieur aux usages cantonaux avec l’assurance, au risque, sinon, de perdre son indépendance, le rabais convenu ne pouvant s’expliquer que par le souhait d’obtenir d’elle une certaine masse de dossiers. L’assurance peut certes limiter sa couverture à un tarif horaire entrant dans la fourchette reconnue par les tribunaux du canton, mais aller en deçà porte non seulement atteinte à l’indépendance de l’avocat, mais également au principe du libre choix qui s’impose à elle.»